Le ministre de la Santé "veut développer la télémédecine" pour pallier le manque de médecins dans les îles

Cedric Mercadal, ministre de la Santé, sur notre plateau radio le 10 février 2025.
À l'occasion de la journée mondiale de l'épilepsie, le ministre de la Santé Cédric Mercadal était l'invité café de la rédaction ce lundi 10 février. L'opportunité de faire un état des lieux des prises en charge pour cette maladie mais aussi du cancer, la situation des évasans et d'exprimer sa volonté de développer la télémédecine dans les îles. Il a également abordé les sujets de la réforme de la PSG en projet depuis deux ans, de l'ice et du diabète.

Corinne Tehetia, journaliste : On va s’intéresser tout d’abord à la situation des évasanés. La situation est catastrophique pour les habitants des archipels éloignés. Les tavana montent au créneau et dénoncent les conditions d’évacuation sanitaire chez eux. Un exemple, fin janvier, avec une mère de famille de Makemo refusée sur un vol domestique pour venir se faire dépister de la coqueluche sur Tahiti, alors que son bébé avait été évasané quelques jours plus tôt. Quelle solution proposez-vous à nos malades dans les archipels éloignés ?  

Cédric Mercadal, ministre de la Santé : C'est quelque chose de difficile, on a un territoire grand comme l'Europe qui aujourd'hui demande à faire du soin partout et auprès de tous. On a 39 000 evasans interîles par an. C'est énorme. Cela veut que des gens viennent quasiment tous les mois à Papeete se faire soigner dans le cadre de maladies graves mais aussi pour des dépistages ou pour de la visite de routine. Il faut qu'on continue à travailler le système des evasans parce que ce qui s'est passé à Makemo est une situation particulière où on n'a pas voulu prendre en compte un dépistage sur Tahiti pour ne pas contaminer les membres de l'avion. C'est une décision du commandant de bord qui est tout à fait compréhensible au regard du principe de précautions. Mais il faut pouvoir dépister les gens au plus près. On a envoyé ce jour-là l'ensemble des traitements. Le dimanche l'ensemble des kits de dépistage est arrivé pour pouvoir dépister sur place. Il faut avoir une logistique particulière pour mieux soigner dans les îles.

C.T : Ne serait-il pas possible de créer des postes de soignants pour renforcer les équipes dans les archipels éloignés ? 

C.M : Oui il faut aussi des postes de soignants mais il ne faut pas que ça. Parce qu'on ne peut pas avoir un docteur dans chaque île. On sait que les Tuamotu sont bien dispersés avec beaucoup d'îles et on se retrouve avec une population qui a besoin d'un taote très vite, ou un auxiliaire de soin ou un infirmier. On veut développer la télé médecine. On pourra, derrière un écran évaluer la situation d'un malade. C'est en cours. Ca va être mis en place cette année, un texte est en préparation et devrait arriver à la session avril à l'assemblée de Polynésie. Il y aura aussi les protocoles de soins partagés parce qu'un taote pourra ordonner l'acte d'un côté et le praticien pourra aussi faire l'acte de médecin. Aujourd'hui ils le font tous mais sans être couvert en matière de responsabilité. Là ils seront couverts. Et dernière chose, on va mieux former nos personnels des îles. Il y a des DU urgences mis en place cette année et 15 personnes viennent d'avoir un DU pour avoir les gestes d'urgence au plus près de la population. 

C.T : Encore faut-il avoir de bonnes conditions internet, est-ce qu'on est prêts à ce niveau ?

C.M : Déjà, les câbles sont arrivés sur chaque île. On fait maintenant les raccordements des dispensaires, ça été l'objet du dernier collectif budgétaire. Donc on aura la télémédecine dans les dispensaires. Et pour les zones grises on fera en sorte que one web puisse s'installer et pouvoir avoir un meilleur accès pour tous dans les îles, ce qui va simplifier la vie des gens. 

C.T : Monsieur le ministre, vous avez présenté le projet de modification du statut de l’hôpital du Taaone. Le personnel a l’impression qu’on se tourne vers la privatisation. Est-ce que c'est réellement le projet du Pays ? 

C.M : Ce n'est pas une privatisation de l'hôpital, pas du tout. On n'a pas encore présenté le projet à l'ensemble des personnes mais c'est prévu. C'est surtout de donner plus de souplesse dans la gestion. Aujourd'hui la gestion est longue, compliquée, on met deux mois pour faire le recrutement d'un médecin donc on veut donner plus de souplesse dans le recrutement et la gestion parce que ça ne se gère pas comme un établissement administratif classique. On doit avoir du soin toute l'année, tout le temps et ce n'est pas le budget qui doit conditionner l'achat ou non de médicaments. On veut assouplir le système pour recruter plus vite, plus facilement et des soignants derrière chaque patient.

C.T : On entend parler d'une répartition des tâches, en quoi cela consiste ? 

On veut redonner au CHPF ses lettres de noblesse. Il est l'hôpital de premier et dernier recours. Premier recours car lorsque vous avez une urgence le CHPF est là et il est le service le mieux doté pour pouvoir le faire. Il a la réanimation, un service d'urgences performant et un soin ultra-spécialisé. Vous avez des médecins très forts capables d'avoir plusieurs spécialités d'ailleurs. C'est une spécificité de notre Pays. On veut valoriser ce travail-là. Mais quand il y a des opérations classiques, on va les déporter vers les hôpitaux publics ou les cliniques privés, pour une meilleure répartition du soin.

C.T : C'est la raison pour laquelle, à Taravao, ce sera un pôle santé public-privé ? 

C.M : Complètement. Parce qu'on peut constater que certaines maternités de cliniques ne tournent pas à plein sur le grand Papeete. Par contre, on voit des femmes de Taiarapu ou de toute la presqu'île qui mettent 1h30 et qui des fois accouchent dans leur voiture le temps d'arriver. Donc on veut faire une maternité à Taravao et des blocs qui seront gérés par les privés mais qui seront en correspondance avec le public, ce qui va faire une interaction public-privé puisqu'après tout c'est la santé de tous qui compte. 

C.T : Une affaire fait le buzz sur les réseaux sociaux depuis hier. Il s'agit d’un malade évasané en métropole depuis plus de 4 ans, et qui va perdre sa couverture sociale début avril. Il devra désormais s’affilier à la sécurité sociale. Pourquoi cette décision ?  

C.M : J'ai eu l'information aussi par les réseaux sociaux. J'ai les screenshots des conversations qui ont eu lieu. J'ai demandé un complément d'information sur cette situation particulière. Parce que cinq ans en evasans c'est beaucoup mais il y a des moyens pour continuer donc il faut que je fasse le point avec la CPS et les services pour savoir où ça en est et j'en informerai la famille. 

C.T : Est-ce que le fait d'être affilié directement à la Sécurité sociale pourrait être un moyen de retrouver un équilibre à la CPS ?

C.M : Ce n'est pas une question financière. L'affiliation en métropole c'est quand on passe en métropole pour avoir plus de soins, le tiers payant et tout le système de soin métropolitain. Ce sont les accords de coordination mais c'est vieux ! Ça été en 1995. Il faut revoir tout ça. Mes équipes revoient tout ça. J'en ai discuté aussi avec l'Etat pour faire en sorte que ce soit plus fluide, plus simple et pouvoir mieux traiter les gens sur place. 

C.T : Parmi les malades évasanés en métropole ou en Nouvelle-Zélande, on retrouve beaucoup de malades du cancer qui eux sont confrontés à un turn-over incessant des oncologues. Quelle est votre stratégie pour les garder plus longtemps ?

C.M : Il va falloir revoir le statut des professionnels de santé, c'est la première chose. Mais aussi développer l'ICPF. On veut faire un "oncopole" avec l'ICPF dans l'ancien site du centre 15. On a décidé de mettre la gestion de l'oncologie avec l'ICPF parce que c'est son cœur de métier, et le soin. Donc l'ICPF recrute déjà pour pallier au manque d'effectifs qu'il peut y avoir des fois au CHPF, des fois à Uturoa mais aussi à Taravao et demain pouvoir faire un maillage plus important du traitement du cancer sur tout le territoire porté par l'institut du cancer.

C.T : Où est-ce qu'on en pour le Tepscan ? La machine est installée depuis 2024 au CHPF et pourrait soigner 3 000 patients qui souffrent du cancer. Mais il n'est toujours pas en fonctionnement.

C.M : Il est en cours de mise en place puisque c'est technique, on a eu toutes les autorisations ça a mis du temps, il a fallu que l'agence nationale de sécurité pour dire qu'il n'y aura pas de problèmes avec les rayonnements du tepscan. Là il est en plein calibrage, il y a des tests là-dessus. Deux médecins nucléaires travaillent dessus, dont un polynésien et on en est très fiers. En principe, ça devrait être fin du premier trimestre, ça prend un peu de retard mais dès qu'il sera en place ce sera un vrai plus pour les Polynésiens, pour un meilleur traitement. 

C.T : Le président du Pays a réagi sur ce plateau vendredi dernier concernant l'ice. Qu'est-ce qui sera fait concernant cette drogue dure qui touche le Pays ? 

C.M : Ah, l'ice... C'est une préoccupation majeure. Je remercie Nahema Temarii, la ministre de la Jeunesse qui a vraiment porté le dossier à bout de bras, parce qu'elle m'a demandé au début de la mandature, de pouvoir porter ce dossier parce que c'est quelque chose qui lui tient à cœur et j'avoue que tout le travail qu'elle a fait nous permet d'élaborer une stratégie, en matière de prévention et en matière de santé. Le pôle de santé mentale va ouvrir dans le courant de l'année pour le suivi des addictions pour que ce soit plus près plus concret dans le cadre du soin et on va avoir aussi une stratégie de prévention plus forte dans les quartiers. C'est tout le plan de prévention qui s'annonce 2026-2036 qui sera fait avec les tavana, les confessions religieuses, l'ensemble des partenaires de santé pour pouvoir mettre l'ice dans un axe principal de lutte parce qu'on en aura pour dix de lutte contre ce fléau. On va faire ça, l'obésité et le cancer. Ce sont les trois axes de la prévention des dix prochaines années et il va falloir mettre les moyens conséquents. 

C.T : Concernant la réforme de la PSG, où est-ce qu'on en est aujourd'hui ?  

C.M : La réforme de la protection sociale généralisée qui permet d'avoir une couverture pour tous, il faut rappeler à quoi ça sert. La PSG, c'est la couverture maladie pour tous, c'est aussi la retraite, c'est aussi les prestations familiales. Aujourd'hui on est dans la réforme du RNS : on veut remettre les gens dans les bonnes cases et valoriser l'activité. Ce n'est pas pour couper les droits aux gens. Pour un petit travailleur, ça ne va pas changer grand-chose à sa vie. Mais aujourd'hui quand il est au RSPF, il n'a pas droit aux indemnités. Il se casse une jambe, il ne peut pas avoir d'indemnités d'arrêt de travail. Tu es enceinte, tu ne peux pas avoir d'indemnités parce que tu es au RSPF et tu gagnes mois de 87 346 Fcfp. On veut plus de justice. Quand tu es actif, tu dois avoir plus de droits. On va les mettre au RNS, on va prendre en charge leurs cotisations, le Pays va aider les petits travailleurs donc ça ne changera pas mais on va valoriser le travail. Les cotisations s'élèvent aujourd'hui à 600 millions xpf que le Pays va débourser pour ça. Mais on s'assurera que le RNS sera toujours à l'équilibre parce que la garantie du Pays existe pour les prestations familiales au RNS et elle existera en matière d'assurance maladie aussi. 

C.T : Aujourd'hui, c'est la journée mondiale de l'épilepsie, quelle est la situation aujourd'hui ?

C.M : Ce n'est pas une maladie comme une autre parce qu'en fin de compte tu es bien toute la journée -on ne parle pas des cas graves- et puis d'un coup tu as une crise. D'une part, elle sera reconnue en longue maladie. Il y a une réforme de la maladie qui sera votée en avril à l'Assemblée. Elle sera dans la liste de l'arrêté donc ça va continuer à être pris à 100% et pour l'épilepsie légère on fera une prise en charge des cachets dans le cadre des paniers de soins pour que ces cachets puissent être pris à 100%.

C.T : On va parler de diabète. Le Fifo a fermé ses portes hier à la maison de la Culture. Cette année, le diabète était également au cœur de cette 22e édition. Une maladie chronique qui touche beaucoup de Polynésiens. Est-ce qu’il n'y aurait pas d'autres moyens à part le fait de taxer sur le sucre ou autres produits, pour aider notre population. La maison du Diabétique a connu un réel succès auprès des malades. On le sait, c’est cher. N’y a-t-il pas d’autres alternatives ? 

C.M : C'est une priorité pour moi en matière de prévention. Il va falloir prévenir de deux manières : soit la taxe, qui permet de rendre moins abordable les produits sucrés. La politique, ce n'est pas taxer le sucre, c'est orienter les gens vers les produits moins sucrés. De l'autre côté il va falloir accompagner les gens, via des cooking class, via des kits potagers, via plein de choses qui sont pris en charge par le pays. Le plan de transition alimentaire est là pour ça. Mais il va falloir aussi avoir des actions de terrain parce qu'il va falloir modifier les comportements. C'est ça le plus dur. On a les aratai ora qui vont arriver bientôt. C'est tout l'objet des ateliers de prévention le 23 mars qui vont durer trois jours avec les communes et les confessions religieuses et les professionnels pour mettre en place ces aratai ora dans les quartiers pour accompagner les gens dans les écoles et faire de la prévention de terrain. C'est ça qui fonctionne : apprendre à manger, faire de l'activité physique. Le diabète est une problématique que l'on vit tous. 70% de notre population est en surpoids, 40% en obésité.

 Le ministre de la santé, Cédric Mercadel, était interviewé par Corinne Tehetia

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