Vêtu de sa chemise fleurie, la moustache bien dessinée, Bruno est fin prêt pour son ultime spectacle à Tahiti. À 17 heures tapantes sa voix grave résonnera dans le chapiteau jaune et rouge du cirque du Samoa, installé depuis le 23 décembre à Outumaoro. La dernière représentation était bien programmée au 09 février. Ce sera aussi la dernière de Bruno. Après une vie entière consacrée au cirque, il n'animera plus le show. "Aujourd'hui, c'est un peu triste... Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. J'irai en Nouvelle-Calédonie une dernière fois pour faire le show mais ensuite ce sera fini. J'ai plein de problèmes de santé, je vais consulter des spécialistes pour mes douleurs neurologiques qui me font perdre l'équilibre… J'ai mangé trop de sucre et aujourd'hui j’en paie le prix ! Je vais prendre des vacances parce que je n'en n'ai jamais eu finalement. Et j’espère revenir à Tahiti, cette île est très spéciale à mes yeux" confie-t-il dans son petit conteneur sans fenêtre qui lui sert de maison pendant ses tournées. Il l'a transporté à Tahiti, aux Seychelles, à Fidji, à la Réunion, aux Maldives ou encore en Nouvelle-Calédonie.
Bruno n'annoncera pas la nouvelle au public. Il préfère propager la joie, toujours. Mais son équipe et ses collaborateurs savent. "Qui est-ce ?" lance-t-il alors que quelqu'un toque à la porte du conteneur. Son associée Sonia Aline tenait à le voir avant sa dernière. "Oh mon Dieu, viens, entre !" s'exclame Bruno, ravi de sa visite. "J'ai un pincement au cœur que ce soit la dernière" lui lance la patronne de SA Productions. Une véritable amitié s'est créée entre les deux collègues au fil des années. "J'ai la meilleure avec moi, Sonia Aline... Je n'ai jamais eu d'aussi bonne relation dans le business qu'avec elle. C'est un plaisir, elle est si gentille, si honnête. Vous savez dans le business, il faut faire attention parce que les gens ne sont pas tous bienveillants. Mais Madame Aline est incroyable ainsi que toute son équipe et ça m'a facilité la vie" livre Bruno.
Une vie de cirque
Il est le premier à avoir emmené le cirque à Tahiti, il y a 25 ans. Né aux Etats-Unis d'une famille de saltimbanques, l'homme a vogué de pays en pays jusqu'à découvrir les îles du Pacifique. Il tombe amoureux des Samoa et s'y sent chez lui. Il offre du travail aux habitants grâce au cirque. La population lui attribue même un nom de chef, "Tupa'i". Il s'exprime aujourd'hui parfaitement bien en samoan. Bruno a aussi une bonne compréhension du français, tout comme son fils. Mais son langage préféré, c'est l'allégresse, la joie, l'enthousiasme. "Peu importe si j'ai 50, 100 ou 1000 spectateurs, je mets autant de cœur à l'ouvrage. Ça va me manquer de venir et de sentir l'amour des gens, c'est extraordinaire de voir l'émotion des gens. Certains venaient quand ils étaient enfants et aujourd'hui ils sont adultes et viennent toujours. Certains sont même grands-parents et viennent encore !" sourit-il.
Le boute-en-train ne s'entoure que de personnes qui lui inspirent confiance. Certains acrobates et membres de sa team le suivent depuis près de vingt ans. Récemment, son instinct l'a d'ailleurs mené jusqu'à Kauilani Tom Sing Vien, premier Tahitien à intégrer le Globe de la mort. "C'est important de recruter des personnes bienveillantes qui vont bien s'intégrer. Avec la vie que nous menons et tous les voyages que nous faisons ensemble, il faut qu'il y ait une bonne entente" explique Bruno.
Je ne choisis pas seulement les gens pour leurs compétences mais aussi et surtout pour la beauté de leur âme.
Bruno Loyal
Il restera en coulisses et laissera désormais le soin à son fils de mener les spectacles. "J'ai entraîné mon fils. Il est jeune, il n'a que 21 ans. Toute l'équipe le soutiendra. Avec Bruno, ils peuvent orchestrer le spectacle. Ils savent comment je fonctionne, comment je traite les gens, comment j'entre en contact avec eux. (...) La gentillesse. Pas d'alcool, pas de drogue" rappelle le père de famille.
Son fils porte le même prénom que lui. Bruno Lionheart Loyal. Le jeune Samoan ne connaît pas sa mère. Il a toujours insisté pour suivre les pas de son père. D'abord réticent, Bruno embarque son fils dans l'aventure il y a un peu moins de dix ans. L'adolescent, plutôt réservé en apparence contrairement à son père, s'avère être un très bon pilote de moto et surtout un excellent clown. "Je n'arrive toujours pas à y croire d'ailleurs, je suis tellement fier de lui. Je peux trouver des acrobates, des jongleurs, mais pas des clowns. C'est très difficile de trouver des clowns" commente Bruno Loyal.
Bonne "retraite" Tupa'i !