TEMOIGNAGE. "Obligée de se faire jolie pour ne pas montrer qu'on est malade" Hiriata de Moorea atteinte d'un cancer

Ce visage, il n'y a que les proches de Hiriata Rota qui le connaissent. Elle a accepté de témoigner sur le quotidien difficile des personnes atteintes de cancer.
Cancer rime avec galère, et ce n'est pas Hiriata Rota qui dira le contraire. Pour ses rendez-vous médicaux et sa chimiothérapie, elle traverse le chenal entre Moorea et Tahiti. Son témoignage, dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre le cancer ce mardi 4 février, met en lumière les difficultés de coordination des soins pour les malades en Polynésie française.

"La préparation pour une femme cancéreuse, c'est une longue histoire." Hiriata Rota, habitante de l'île sœur de Moorea, doit se rendre régulièrement au CHPF pour ses consultations médicales et sa chimiothérapie. Elle témoigne du parcours du combattant pour effectuer la traversée maritime, afin de se faire soigner.

Avant de se rendre à Tahiti pour ses soins médicaux, il y a toute une préparation pour Hiriata. "Entre le maquillage, puis j'ai des électrodes à brancher sur ma tête, puis la perruque. Sans compter si chapeau ou casquette, avec la tenue assortie. [...] J'ai dû apprendre toute seule à me maquiller. Je ne suis pas coquette, mais là, obligé le réveil aux aurores pour se faire "jolie visage", pour ne pas montrer aux gens qu'on est malade. Ça fait honte d'être malade" témoigne Hiriata. Mais cette pensée, elle ne l'a plus désormais.

J'avais honte d'être malade, mais maintenant je m'en fiche complètement. La maladie m'a rendue forte et m'a redonné confiance en tant que femme

Hiriata Rota

Diagnostiquée en avril 2024, suite à ces premières chimiothérapies, elle se plaignait de maux de tête, en août 2024. Son médecin lui a prescrit plusieurs traitements, avant de lui donner de la morphine. Pendant trois mois, elle a pris ces cachets à haute dose, mais rien n'y a fait, les maux de tête persistaient nuit et jour.

Elle se renseigne alors et trouve un appareil à électrodes, à brancher sur la tête. "C'est un TENS [un appareil d'électrostimulations, NDLR]. Il permet de brouiller l'information au niveau du cerveau. Ça fait comme des chatouilles et du coup, il n'y a plus de douleur. Grâce au traitement et à cet appareil, mes maux de tête diminuent."

Ce n'est qu'après avoir branché son appareil à électrodes que Hiriata entame la phase du maquillage.

Parcours d'une combattante

Ce mardi 4 février, elle a rendez-vous à 11h30 pour sa consultation dans le service d'oncologie. C'est le parcours du combattant pour cette femme de 46 ans. Elle doit penser à prendre tous ses médicaments. Ceux pour les maux de tête, ceux contre le mal de mer et surtout ses traitements contre le cancer, indispensable en tout temps, pour éviter une crise et d'atterrir aux Urgences.

"Je dois prendre le bateau Aremiti 6, qui quitte Moorea à 9h. Mon rendez-vous est à 11h30. Mais comme je n'ai pas droit à l'ambulance, je dois prendre ma voiture, chercher une place de parking et à Moorea, c'est difficile, car les parkings sont full." détaille Hiriata.

Une fois stationnée, elle se dirige vers les guichets du quai."Je récupère mes bons Evasan au guichet du bateau. Heureusement que les filles aux guichets sont très gentilles et tu ne fais pas la queue" confie-t-elle.

Grâce au maquillage et à sa perruque, Hiriata est fin prête pour se rendre à sa consultation d'oncologie, sans attirer le regard ou la pitié des gens.

La traversée Moorea - Tahiti : une épreuve 

Hiriata ne mâche pas ses mots pour décrire la traversée entre les deux îles du Vent. "Si la mer bouge, c'est horrible ! Tu peux avoir le mal de mer" s'exclame-t-elle.

"Je mange dans le bateau, parce qu'il me faut prendre mon petit déjeuner. Que je n'ai pas pu prendre à la maison, parce qu'il me faut 90 minutes pour me préparer, avec les médocs à prendre et le reste que j'ai cité avant."

Hiriata Rota - malade du cancer et habitante de Moorea

Lorsque le bateau accoste enfin à Tahiti, Hiriata se presse pour descendre et surtout, ne pas faire attendre son chauffeur. "Arrivée au quai, un transporteur privé me récupère. C'est le même depuis août et à force, c'est devenu un copain. Il me dépose à l'hôpital de Taaone et j'attends de 9h45 à 11h30, l'heure prévue de mon rendez-vous."

Huit oncologues différents en moins d'un an

Ce n'est pas sans appréhension que Hiriata se présente au CHPF ce mardi 4 février. En moins d'un an, elle a connu huit oncologues différents. "Ça me faisait peur, y avait trop de changement. On me disait tout et son contraire et du coup, j'étais perdue" confie-t-elle.

Entre fin août et début novembre 2024, les patients n'avaient plus d'oncologue pour assurer leur suivi. Les deux premiers spécialistes sont arrivés en novembre. Trois autres sont en poste depuis janvier. Des contrats à durée déterminée, qui causent un turn-over important dans le service d'oncologie et affectent la relation de confiance avec les patients, comme le soulignait la présidente de l'association Amazone Pacific dans notre matinale du 4 février.

Après les chimiothérapies, Hiriata a enchaîné avec la radiothérapie. Cette nouvelle consultation doit déterminer la suite de son traitement. Hiriata est plutôt satisfaite de ce rendez-vous. Elle doit suivre une hormonothérapie désormais. Une piqûre toutes les trois semaines, pendant sept ans.

Retour à Moorea

Après l'hôpital, Hiriata doit faire le chemin inverse pour rentrer à Moorea.

"Pour le retour au quai des ferries, j'appelle le même copain transporteur et je le paye, car non pris en charge."

Hiriata Rota - malade du cancer et habitante de Moorea

 

Même si elle n'a pas de prise en charge pour son transport, Hiriata ne s'en plaint pas, bien au contraire. Elle le dénonce non pour elle, mais pour ceux qui ont encore moins de moyens. "Selon l'heure où tu sors de ton rendez-vous, tu ne sais pas à quelle heure tu pourras rentrer" relate-t-elle.

"Au mieux, le docteur me prend à l'heure et je prends le bateau de 12h25 ou de 14h25. Si je le rate, j'attends au restaurant du quai en haut, parce que je peux me le permettre. Les autres attendent en bas, dans la chaleur. Ou si tu as des sous, tu prends une autre compagnie maritime" explique Hiriata.

Lors de ses nombreux allers et retours entre Moorea et Tahiti, elle a connu quelques mésaventures. L'une d'entre elles l'a particulièrement marquée et Hiriata raconte :"Quand tu sors de la chimiothérapie, c'est dur ! Après comme je suis jeune [46 ans, NDLR], le gars du bateau m'a dit : "l'accès se fait par le haut". J'ai répondu "je suis en Evasan". Il m'a rétorqué "montre-moi une preuve." Et ça, c'était juste après une chimio ! J'ai eu envie de pleurer. Finalement, il m'a laissé passer."

"J'ai envie de vivre"

Le plus dur est derrière elle, veut croire Hiriata . Grâce à sa nouvelle oncologue, elle retrouve l'espoir de mener la vie qu'elle souhaite. "J'ai envie de vivre. J'ai ma maman, mes enfants et mon chéri. Elle me donne toutes les cartes pour pouvoir vivre, et c'est ce que je veux. Elle m'a vraiment rassurée et là, je sens que ça prend une bonne tournure" conclut-elle.