Corinne Tehetia : L'actualité ces derniers jours met en avant des problèmes sanitaires après l'incendie d'Agritech à Faaa. On parle de fumées toxiques. La baignade dans les rivières et canaux sur tout le littoral de Faaa est désormais interdite... Des analyses sont en cours sur les sites affectés. Il faudra attendre combien de temps pour un retour à la normale et quelle sera la suite à donner à cette affaire ?
Moetai Brotherson : D'abord, il y a une enquête en cours au niveau de la gendarmerie, donc là-dessus moi je ne peux pas me prononcer. Des analyses ont été faites, d'autres sont en cours (...) sachant que liste d'attente est un peu longue malheureusement. Je ne peux pas vous donner de date sur les résultats. Pour l'instant, il ne faut pas non plus sombrer dans la psychose, on a connu un autre incendie il n'y a pas si longtemps que ça avec Technival. On a évacué personne, on n'a pas interdit les baignades à Papeete et pourtant on pouvait sentir les fumées jusqu'en ville. Bon voilà, il ne faut pas céder à la psychose mais il faut rester prudent.
On va aborder à présent la question des Jeux du Pacifique. Vos propos au sujet de la tenue ou pas de ces Jeux en fonction du budget alloué en ont choqué plus d'un. Le monde du sport est inquiet. Le haut-commissaire a pourtant assuré qu'il n'y avait aucun souci à ce niveau et que tout est rentré dans l'ordre. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
Je partage cet espoir. Maintenant, je suis comme St Thomas, tant que je ne vois pas les tableaux, les chiffres (...).
En tout près de 18 milliards, c'est le budget dont on a besoin pour organiser ces jeux. Durant votre mission à Paris, vous avez également abordé ce dossier. Qu'en est-il ressorti concrètement ?
(...). Le président, le gouvernement, les parlementaires qui sont autour de nous font tout ce qu'ils peuvent pour s'assurer que ces lignes soient préservées. Maintenant si demain on nous annonce que ce n'est pas le cas, il faudra s'adapter.
Les jeux c'est dans 2 ans et demi, est-ce qu'on sera prêt à accueillir toutes les délégations ?
Sous réserve de disponibilité de l'ensemble des crédits qui ont été programmés, oui. Vous savez on a eu les mêmes questions quand on est arrivés pour les Jeux Olympiques, rien n'était prêt. On s'est cloné, on s'est divisé, on s'est multiplié et on a fait en sorte que ces Jeux olympiques se tiennent dans de bonnes conditions.
Mr le Président, durant votre déplacement à Paris, le mois dernier, vous vous êtes rendus également à Bruxelles, au Parlement européen pour faciliter l'accès aux financements de l'Union européenne. Mais pour y arriver, il va falloir réviser notre statut et passer de PTOM à RUP (région ultra-périphérique). Est-ce que vous êtes prêt à discuter avec l'Etat à ce sujet ?
Je ne comprends pas que cette information soit toujours là, puisqu'il n'a jamais été question pour moi de faire passer la Polynésie du statut de PTOM à RUP. Le constat financier aujourd'hui c'est que les RUP, dont nous ne faisons pas partie, bénéficient en moyenne de 22 fois le montant des financements dont bénéficient les PTOM hors Groënland parce qu'il prend à lui tout seul les financements des PTOM. Il s'agit pour nous d'étudier une révision du format d'association des PTOM. Il ne s'agit pas de devenir RUP mais d'améliorer les conventions d'associations des PTOM et notamment, sur les mécanismes de financements auxquels on a accès ou pas aujourd'hui et sur le montant de l'enveloppe en elle-même.
Lorsque vous parlez d'une révision sur les PTOM, c'est-à-dire revoir peut-être notre statut d'autonomie ?
Non pas du tout. Il ne s'agit pas de toucher à notre statut d'autonomie. Nous sommes une collectivité française à statut particulier. Ça, ça ne bouge pas. Et comme nous ne faisons pas partie intégrante de l'Union européenne nous avons une convention d'association au travers du statut de PTOM. C'est ce statut de PTOM et cette convention d'association que nous voulons réviser à la hausse.
Est-ce qu'en tant que PTOM, on utilise tout ce dont on a à notre disposition aujourd'hui ?
En tout cas, depuis qu'on est là, on n’est plutôt pas mauvais. Même du temps de nos prédécesseurs. On ne peut pas dire que la Polynésie soit la mauvaise élève de l'utilisation des fonds européens mais c'est plus le format en lui-même qui est très limitant.
Mr le Président, quel type de relation recherchez-vous avec l'Etat ? Vous avez été élu avec le Tavini, qui prône l'indépendance. Lorsque vous allez à Paris, comment se passent les discussions avec le Gouvernement central ?
Ces échanges depuis le début, avec le président de la République et les ministres se passent très très bien. D'abord je vais rappeler que je n'ai pas été élu avec les seules voix du Tavini. Les chiffres sont là pour démontrer que de nombreuses personnes qui ne sont pas Tavini, pas indépendantistes, ont également voté pour la liste du Tavini aux territoriales. Aujourd'hui je suis président de la Polynésie, je ne suis pas président du Tavini. C'est en tant que tel que je me déplace à Paris sans jamais oublier et en rappelant à chaque fois à tous mes interlocuteurs que celui qu'ils ont en face d'eux est un indépendantiste déterminé mais ça n'obère pas le dialogue qui s'est installé.
Mr le Président, nous avons reçu cette semaine le procureur général du parquet qui nous a parlé de sa feuille de route. Parmi les dossiers importants, le trafic de drogue et vous avez justement une annonce à nous faire sur l'ice qui est un fléau qui détruit nos familles polynésiennes.
Je ne vais pas complètement spoiler les annonces mais en tout cas, notre ministre de la Jeunesse et des Sports a fait faire un diagnostic sur l'ice qui est très alarmant. Ce n'est pas un phénomène nouveau l'ice, ça fait vingt ans que c'est chez nous. Maintenant, l'évolution que ça prend est très inquiétante, c'est une gangrène et nous avons décidé de prendre le sujet en main.
C'est-à-dire ?
C'est-à-dire qu'il ne suffit pas de faire des grands schémas, il faut mettre les moyens derrière. Et donc cette année et vous le verrez au prochain collectif, des moyens seront mis pour lutter contre l'ice.
Est-ce que vous pouvez nous donner des chiffres Mr le Président ?
Si vous voulez quand on parle de l'ice et de l'addiction en général, c'est toute une chaîne. Ça commence en amont et ça se termine en aval. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. Je pense qu'il faut, et ça, ça relève de l'Etat, révise le quantum des peines appliquées aux trafiquants d'ice. Aujourd'hui si vous trafiquez de l'ice vous allez prendre 2, 3, 4 ans, et à votre sortie, vous allez trouver des centaines de millions Fcfp. Finalement, ce n'est pas cher payé. 4 ans pour des centaines de millions. Donc, ça ne fait peur à personne. Si demain, on change le quantum des peines et on dit "si vous trafiquez de l'ice vous allez prendre 30 ans", là vous allez réfléchir. Et donc le prochain conseil des ministres délocalisé de Raivavae va former un vœu qu'on va transmettre ensuite à l'Assemblée de Polynésie puis à Paris, pour qu'il y ait ensuite un travail de révision spécifique du quantum des peines liées au trafic d'ice. Ça, c'est un des éléments de la chaîne. Ensuite, dans les compétences du pays, il y a la partie prévention. Il faut faire plus et mieux. Il y a l'aide aux associations qui sont nombreuses à se former pour essayer de lutter contre ça et aider les familles, les foyers qui sont touchés par l'ice. Il y a la partie prise en charge médicalisée. C'est sur toute cette chaîne-là que nous allons mettre des moyens.
Alors le sujet cette fois-ci de la péréquation, c'est le cheval de bataille du député Moerani Frebault...
...Un cheval marquisien !
Est-ce que vous êtes prêts à renoncer à la compétence énergie ?
Déjà, il faut souligner la volonté qui est celle du député. Maintenant, il enfonce des portes ouvertes. Ce n'est pas le premier à poser la question de la péréquation. Nuihau Laurey en son temps, Vincent Dubois, moi-même. Beaucoup de parlementaires ont posé la même question avec la même réponse que celle qui lui a été faite. Je souhaitais également corriger une information : j'ai entendu notre député dire que la donne a changé depuis 2021, puisque depuis 2021 il y a deux collectivités à statut particulier, Saint Martin et Saint Barthélémy, qui bénéficient de cette péréquation. Non : c'est depuis 2012. Depuis le 1er janvier 2012, Saint Martin et Saint Barthélémy bénéficient de cette péréquation. Pas depuis 2021. Et d'autre part il faut lire les statuts. Nous n'avons pas du tout la même répartition de compétences sur la question de l'énergie que Saint Martin et Saint Barthélémy où l'Etat a dès le départ gardé une grande partie des compétences sur la régulation, sur la fixation des tarifs, sur la politique générale de l'énergie. Donc ce n'est pas comparable. Mais l'effort est louable.
Est-ce qu'une contribution du type solidaire pourrait être envisageable en matière d'énergie ?
Il faut la demander. Maintenant, regardez les montants auxquels on arrive rapidement : 8 milliards par an... Dans la situation financière actuelle de l'Etat, je reprends le titre d'une émission : "Faut pas rêver".
Vous avez déclaré lors de l'ouverture du salon du tourisme : Air France et Delta ont obtenu des fréquences supplémentaires en Polynésie. Une idée qui fait grincer des dents du côté du patronat qui s'inquiète de l'avenir de notre compagnie, Air Tahiti Nui. Et pour maintenir l'équilibre, c'est une question de stratégie selon vous, à quoi est-ce que vous pensez ?
Déjà dire à ceux qui grincent des dents aujourd'hui que j'aurais préféré qu'ils grincent des dents au moment de l'ouverture totale du ciel polynésien qui a conduit aux difficultés auxquelles est confrontée aujourd'hui notre compagnie Air Tahiti Nui. Maintenant, il faut être sérieux, nous avons effectivement la compétence sur le papier en tout cas, sur la régulation des fréquences aériennes. Mais cette compétence s'inscrit dans la hiérarchie des normes, et au-dessus de cette compétence il y a une convention qui a été signée par l'Etat français en 1998, qui nous oblige à certaines choses. Notamment : on ne peut pas refuser des demandes supplémentaires de fréquences sauf s'il y a de très très bonnes raisons, très précises, précisées dans un article précis de cette convention. Quand nous avons reçu les demandes de fréquences, nous avons procédé à une analyse approfondie de ces demandes. Nous avons demandé à ADT de nous prouver par A+B qu'il n'y aurait pas de congestion liée à ces demandes supplémentaires. Si ADT nous avait dit si, on aurait pu refuser ces fréquences. Le deuxième argument que nous avons étudié, c'est celui de la capacité du réceptif hôtelier. On n'a pas augmenté considérablement le nombre de clés pour l'instant. Et il y a l'accroissement du réceptif des navires de croisière. Il s'avère que sur cette année il n'y a pas vraiment d'augmentation de clés sur la croisière, mais par contre à partir de 2026, il va y avoir de la croissance. Donc sur la base de ces deux éléments, on ne pouvait pas refuser ces nouvelles fréquences sauf à s'exposer à des mesures de rétorsion sévères de la part des autorités américaines et je ne pense pas que ce soit au bénéfice de notre compagnie.
Retrouvez l'interview en français de Moetai Brotherson :
Retrouvez l'interview de Moetai Brotherson en langue tahitienne :