Corinne Tehetia, journaliste : la Fape regroupe cinquante associations qui défendent les causes environnementales. La semaine dernière, vous avez lancé le fonds Porinetia Natura. En quoi cela consiste ?
Winiki Sage, président de la fédération des associations de protection de l'environnement : ce fonds vise à aider toutes les associations. Aujourd'hui, ce n'est pas toujours évident pour les associations de vivre et de survivre. Il y a des aides qui arrivent mais c'est très difficile de les capter. Souvent il faut constituer un dossier. Quelquefois c'est en anglais quand on veut aller capter des fonds à l'étranger. Il faut pratiquement être scientifique. Les associations qui réussissent sont souvent celles qui ont des retraités, des professeurs, des personnes comme ça. Il faut qu'on trouve un moyen de venir en aide à toutes ces associations. On a tous fait du bénévolat longtemps, je tiens à remercier et féliciter toutes les personnes qui ne font que du bénévolat des années, c'est vrai aussi dans le social, c'est vrai aussi dans le sport, il y a des gens qui toute leur vie entraînent des personnes sur des stades de foot etc. Donc il y a une vraie réflexion à mener à ce niveau-là. Et nous au travers de ce fonds ce qu'on veut c'est aller aider les associations. Le deuxième axe qui est vraiment important c'est qu'on a signé une convention avec Tahiti tourisme et l'idée c'est d'aider les associations à trouver un modèle financier pour qu'elles puissent survivre grâce à des rencontres avec les touristes. Et aujourd'hui, beaucoup de touristes viennent en Polynésie et aimeraient participer plus concrètement à la sauvegarde des choses. On s'aperçoit que la compensation carbone qui est proposée ne fonctionne pas vraiment. Par contre proposer à des touristes de planter des arbres endémiques, d'aller participer à du bouturage de coraux etc., ce sont des choses intéressantes. Mais les associations ont besoin de calibrer ces actions pour les recevoir. Donc au travers de ce fonds, on va pouvoir les aider et ceux qui vont pouvoir proposer un projet parce qu'on vient de lancer l'appel à projets. Ceux parmi lesquels il y a effectivement un volet touristique bénéficieront d'une aide un peu plus forte et peut-être au travers de Tahiti Tourisme puisque leur projet sera affiché sur le site de Tahiti Tourisme et les touristes pourront participer et les aider directement en faisant des dons.
C.T : En plus des associations, les acteurs économiques se lancent aussi dans l'environnement. Ils se sont réunis pour réfléchir sur les dispositifs à mettre en place pour préserver notre environnement. C'est la première fois que cela se fait. Vous n'êtes pas insensible à cela ?
W.S : J'ai été très content d'être avec eux hier et j'étais très surpris d'entendre tous ces chefs d'entreprise qui aujourd'hui emploient des mots qu'on utilisait simplement dans les associations. Les entendre parler de faire évoluer leur business, ils ont aujourd'hui pris conscience de l'impact qu'ils avaient sur la nature, sur l'environnement, sur toutes ces choses. Beaucoup ont déclaré et se sont même engagés à réfléchir à développer des business plus soucieux de l'environnement et dans une vision d'économie circulaire, à savoir, ne pas tout jeter, faire en sorte de recycler, et mettre en place ce qu'il faut pour créer ces flux-là qui sont aussi d'ailleurs générateurs d'emploi. Je tiens vraiment à féliciter toutes ces entreprises et notamment les personnes qui mènent ce mouvement-là, un mouvement national et international, et qui permettra enfin de changer tout doucement le monde. Parce nous les associations, c'est difficile sans moyens.
C.T : Justement on le voit un peu partout au fenua, les déchets s'amoncellent... On a l'impression que les mentalités ne changent pas. Qu'est-ce qu'il faudrait faire de plus selon vous ?
Je pense que les mentalités ont évolué, on voit qu'il y a une différence mais je pense qu'il y a un temps pour chaque chose. Il y avait avant un reportage sur la religion... Il y a un temps pour chaque chose. Le temps de l'information est passé, il faut passer aujourd'hui à la sanction, on ne peut pas faire autrement.
C.T : Les communes ont aussi leur responsabilité dans tout ça ?
Oui, c'est une prise de conscience de chacun. C'est d'abord moi dans ma famille, comment je fais, comment je traite mes déchets. Comment je fais pour avoir moins de déchets. C'est ensuite les tavana, au niveau des communes. Il faut absolument qu'il y ait du tri partout. Et bien sûr les entreprises et tout le reste. Le sujet des déchets c'est un sujet important, crucial. Les océans sont complètement envahis de déchets. On estime que tous les ans c'est 10 millions de tonnes de déchets. 80% des déchets qui arrivent dans l'océan proviennent des rivières. Donc commençons déjà à nettoyer nos rivières. Les 20% restant proviennent directement de la pêche. Et ça aussi c'est un combat que l'on mène puisqu'on subit aujourd'hui une pêche intensive provoquée surtout dans les zones internationales. C'est un combat qu'on essaie de mener. On a la chance aujourd'hui d'avoir une ZEE qui est bien menée avec une pêche relativement écologique puisqu'on pratique la longline alors que nos voisins qui sont à côté acceptent encore des senneurs avec des filets et ça, c'est une catastrophe. Donc il y a un grand travail à faire notamment sur les eaux internationales.
C.T : L'Ademe, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie était en séminaire au musée des îles cette semaine. Un moment important pour parler notamment de l'économie circulaire dans le Pacifique. Est-ce que la Polynésie fait partie des bons élèves en matière d'économie circulaire ?
W.S : l'Ademe fait un grand travail et c'est bien. Elle nous permet de quantifier ce qui se passe, notamment les émissions de gaz carboniques. C'est bien qu'elle fasse ce genre de séminaire. Il y a encore des choses à faire dans le Pays. Il faut que les patrons d'entreprise jouent le jeu. Et on voit qu'il y a des choses qui commencent à se faire, il y a des associations aujourd'hui montent des associations, ressourceries, le linge on jette on ne sait pas quoi en faire, dès que c'est en panne on jette, alors qu'il y a énormément de choses qui pourraient être faites, réparées.
C.T : Une loi du Pays sur la réduction des produits à usage unique a été votée, et un Schéma territorial de prévention et de gestion des déchets a été défini. Un schéma qui encourage justement cette économie circulaire, avec plusieurs objectifs, dont la réduction de 30% des déchets à enfouir d'ici 2032. Pensez-vous que ces projets soient faisables ?
W.S : Effectivement, je félicite le Pays. Je pense qu'il faut absolument inscrire le Pays. Longtemps, quand on demandait de l'aide -que ce soit aux banques ou au pays- on se souciait surtout du retour d'investissement. Ce qui se passe un peu sur la planète et c'est Christine Lagarde, directrice du fonds européen qui lançait cet appel il y a déjà quelques années, si demain on rajoute des critères "green", on peut changer les choses. C'est-à-dire que si vous voulez que le pays vous aide, qu'une banque vous aide pour monter un projet, si on rajoutait effectivement des critères environnementaux avec des volets économie circulaire, ces choses-là, on peut y arriver.
C.T : Croyez-vous en la résilience écologique en Polynésie ?
W.S : Cette résilience il faut la construire. Elle commence aussi par l'autonomie alimentaire dans les îles, il faut faire en sortie qu'effectivement les îles, qui seront les premières impactées par le réchauffement climatique, puissent préserver l'autonomie alimentaire. On a parlé plusieurs fois de ça, faire en sorte de développer une agriculture soucieuse de l'environnement mais c'est aussi dès à présent, construire sur pilotis. À Hawaï où ils ont subi des tsunamis, ils construisent à deux mètres de hauteur. Il faut commencer à construire différemment, à protéger les berges et à reboiser ces berges parce qu'on sait aujourd'hui qu'il y a des plantes, des arbres qui permettent de résister. Donc cette résilience se construit d'une manière intelligente. Il faut effectivement que chaque tavana, chaque citoyen s'inscrive dans cette démarche.
C.T : L'océan est malade, vous l'avez dit. Et cette année, il est à l'honneur. Vous allez participer à la conférence des Nations Unies sur l'Océan à Nice en juin. Quelle est l'urgence selon vous ? Quel message allez-vous porter là-bas ?
W.S : L'océan est malade, mais il n'est pas devenu malade tout seul. Il est devenu malade à cause de tout ce qu'on y déverse tous les jours. Des millions, des tonnes de plastique, des tonnes de choses. Donc un : il faut d'abord travailler sur la partie terrestre, faire en sorte que les écoulements anthropiques, tout ce qui concerne l'homme sur la terre soit propre. Et il faut trouver des moyens pour sauvegarder ces océans. C'est lié, la vie vient de l'océan, tout est lié entre nous. Cette année, c'est l'année de l'océan, on s'y prépare depuis quelques mois déjà. On organise fin mars un événement qui va s'appeler Te reo o te moana. Il y a des personnes qui se déplacent de tout le Pacifique, l'idée c'est d'aller porter un message parce qu'on est absolument légitime nous dans le Pacifique notamment. Rien qu'avec notre ZEE et si on rajoute toutes celles de tous les pays du Pacifique Sud, je pense qu'on est largement légitime dans le Pacifique à aller crier et lutter justement contre cette pêche absolument anormale. Parce que ce sont des zones internationales on ne dit rien ? Non on n'est pas d'accord. On est contre le fait également d'aller dans les fonds sous-marins, tout ce qui est extraction des fonds marins c'est quelque chose que l'on redoute, quand on voit comment on a traité les mines sur terre, imaginez quand l'Homme va commencer à aller creuser à 4000 mètres de fond, on ne sera pas là pour voir ce qui se passe avec les impacts qui peuvent être terribles. Les îles Cook sont prêtes à le faire ; il y aura un impact aussi sur notre Pays ! C'est ça qui est grave.
C.T : Le haut-commissaire a déclaré également sur ce plateau que la Polynésie pouvait être un exemple pour le monde entier avec ces dispositifs mis en place pour préserver la faune et la flore. On pense notamment au Swac, à la préservation des tortues marines ou au Rahui. Ça vous rassure que quelque part, on n'est pas si mauvais que cela ?
W.S : Je pense qu'il y a dans notre pays des projets extraordinaires. Vous parlez des rahui, c'est vrai qu'aujourd'hui on a su concilier les savoirs ancestraux pour les adapter à ce qu'on fait aujourd'hui. Cela n'a pas été facile. Aujourd'hui il y a une fédération -que je salue- spéciale pour les rahui, qui a besoin d'aide aussi. Mais il y a une vraie prise de conscience. Les projets comme le SWAC sont extraordinaires et peuvent répondre à des vrais besoins parce qu'on peut produire de la climatisation... Et il y a d'autres projets qui pourraient permettre de produire de manière plus "green".