A 89 ans, Paul Vergès est le doyen de la Haute Assemblée. Il a présidé la séance inaugurale.
Voici l'intégralité du discours prononcé par le sénateur Paul Vergès lors de la séance inaugurale le 1er octobre 2014 au Sénat
Mesdames, Messieurs, mes chers collègues,
Permettez-moi, tout d’abord, en ouvrant cette session inaugurale, de saluer et de féliciter toutes celles et tous ceux qui ont été élus ou réélus dans notre assemblée.
Si je peux m’adresser à vous, c’est au nom du seul privilège qu’on ne peut abolir : celui de l’âge.
Et le faire une deuxième fois est un privilège très rare et qu’on ne peut plus renouveler, je le suppose.
Mais déjà, pour nous élus, le problème est posé : comment faire le choix entre l’action dans l’immédiat et l’action pour l’avenir ?
L’action pour faire face à toutes les conséquences économiques, sociales et politiques d’une crise qui dure déjà depuis plus de 8 ans et dont on ne voit pas la fin ;
L’action pour faire face aux redoutables défis déjà posés pour l’ensemble de la planète.
Or, on se trouvait déjà, lors de notre assemblée inaugurale, il y a 3 ans, devant le même choix.
Depuis, les éléments se sont amplifiés, aggravés, dans l’immédiat comme pour l’avenir.
Nous avons la chance, mes chers collègues, si l’on peut s’exprimer ainsi, de vivre un siècle qui apparaîtra dans l’Histoire, comme l’un des plus importants de l’Humanité.
Tout d’abord, des signes annonciateurs nous permettent de fixer déjàdes rendez-vous historiques de notre siècle.
Je veux dire par là que pour l’essentiel, nous prévoyons des dates historiques, de changements durables, à l’échelle de la planète.
Permettez-moi, mes chers collègues, de nommer la première force dynamique et durable qui me semble souvent sous-estimée : celle de la transition démographique mondiale.
Tous les démographes nous ont annoncé une population mondiale de 7 milliards d’habitants en 2013 et l’ont estimée à 9 milliards 500 millions en 2050, donc dans une génération.
Or 2 milliards 500 millions de plus, en quelques décennies, c’est l’équivalent de toute la population mondiale en 1950.
Ces chiffres nous font prendre conscience que nous vivons à un moment crucial de toute l’histoire du genre humain.
Toute l’histoire humaine a accumuléun total de 2 milliards 500 millions d’habitants pour toute la planète, après des centaines de millénaires, des dizaines de milliers de générations, en 1950.
Ce chiffre est multiplié par 2,8en 63 ans, entre 1950 et 2013.
Et ce même chiffre – 2 milliards 500 millions –sera atteintde nouveau cette fois dans 36 ans, en 2050.
Dans le même temps, ce phénomène exceptionnel dans l’histoire humaine sera accompagné de ce qui a fait l’objet de la conférence de Washington, il y a quelques semaines, et qui sera au centre du rendez-vous mondial, l’année prochaine à Paris : la conférence sur le climat.
Là encore, les dates sont évoquées pour le siècle : 2020 ; 2030 ; 2050 et 2100.
Je n’insisterai pas plus longtemps sur ce rendez-vous essentiel pour tous les habitants sur toute la terre.
Ce rendez-vous fait partie de l’actualité par toutes les conséquences sur la vie des êtres humains.
Déjà le réchauffement climatique au cours du siècle a des conséquences dans tous les domaines pour la vie humaine: climat, santé, vie économique, sociale et politique, environnement terrestre, aérien et maritime ; et l’adaptation nécessaire à ce nouvel ordre.
Rien n’est acquis, tout est à faire.
Et l’enjeu est une nouvelle civilisation planétaire.
Ces deux forces planétaires et durables agissent dans un contexte particulier qui voit les progrès de la recherche, de la découverte, de l’innovation, de la mise en valeur de ces découvertes, se réaliserà un rythme accéléré qui sera la marque de notre siècle, dans tous les domaines de l’activité humaine.
Dans cette vision des nouvelles données à l’échelle mondiale, nous revenons à l’immédiat : que faire dans cette crise de ce que l’on appelle la mondialisation ?
C’est à dire la mise en application du système économique actuel – le capitalisme – à son stade ultime de développement : la mondialisation.
Dans sa logique, ce système remet en cause l’existant : le marché national ou régional, l’expansion économique, sociale, financière et politique adaptés à ces critères.
Cette remise en cause provoque dans le niveau du développement économique, social et politique de tel État ou de tellerégiondes réactions de contestation ou d’alignement.
Il est évident que tous ces phénomènes - démographiques, climatiques, révolutions scientifiques et techniques, mise en place du marché mondial - ont des interactionsdont les conséquences sont de plus en plus importantes.
Tel est, à ce début d’une nouvelle mandature de notre assemblée, ce qui marquera toute sa durée.
Et cela, quel que soit le domaine de l’action et quel que soit l’objectif poursuivi. C’est une liaison logique, obligatoire, même si elle n’est pas toujours évidente.
Permettez-moi de citer brièvement pour la démonstration, une situation que je pense connaître : celle de l’île de La Réunion.
Une île dans le sud ouest de l’océan Indien, inhabitée, montagneuse, tropicale, de taille modeste, de très grande diversité végétale et animale. Un vrai paradis, un véritable laboratoire.
Trois siècles et demi après son peuplement, où en est-on ?
Sur le plan démographique, la population est passée de 240.000 habitants en 1946 à 840.000 en 2014, et atteindra un million dans 15 ans.
Sur le plan démographique, dans le même délai, la population de Madagascar, voisine de La Réunion, estimée à 4 millions en 1947 se monte à plus de 23 millions en 2013 et sera de 55 millions 500.000 en 2050.
Dans le même délai, dans une génération, un quart de la population mondiale vivra en Afrique.
Sur le plan de la mondialisation, c’est le pilier canne / sucre, séculaire dans l’île qui estmenacé de disparition.
Sur le plan social, ce sont près de 30% de chômeurs (ce qui correspondrait en France à 10 millions de personnes, en égalité de taux de chômage), dont près de 50% pour les jeunes, 46% de la population sous le seuil de pauvreté, 240.000 personnes vivant des minima sociaux.
Le gouvernement a décidé, dès le 1er janvier 1947, une sur rémunération de 53% actuellement de plus qu’en France, au nom du coût de la vie, et cela seulement pour la fonction publique d’État.
Sur le plan du réchauffement climatique, l’île est frappée actuellement par une très grave sécheresse et un déficit en eau dans tous les bassins.
Dans un pays tropical, et de cyclones dévastateurs, sur le plan de l’environnement et de la biodiversité, le littoral est menacé à terme par l’élévation du niveau de l’océan.
Et c’est là qu’est projeté un grand chantier sur la mer !
Si j’ai cité cet exemple d’une île de l’océan indien, à 10.000 km de l’Europe, c’est pour démontrer que pour une île modeste, les conséquences de l’action des grandes forces durables présentes sur le plan mondial sont capitales.
Il en est de même pour tout pays, pour toute région dans le monde.
A l’aube de ce nouveau mandat, j’ai conscience de la responsabilité de chacune et de chacun siégeant sur ces bancs, devant la complexité, la difficulté et l’urgence des défis à relever.
Que la question posée soit à l’échelle locale, nationale, européenne ou mondiale, elle est portée dans une perspective globale, donc solidaire, soulignant par là, que pour la première fois, l’Humanité a conscience de ce destin commun de toutes les fractions de la population mondiale.
C’est en cela que les destins des uns et des autres apparaissent de plus en plus liés et solidaires, faisant apparaître notre conviction et donc notre espérance commune de voir la fin des luttes du 21e siècle ouvrir unenouvelle ère à la nouvelle civilisation qui s’annonce.
Peut-on évoquer Jean JAURÈS lorsqu’il déclarait : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l'avenir ».
Que cette nouvelle ère illustre la volonté de voir se réaliser – enfin - pour le monde la devise denotre République - Liberté, Égalité, Fraternité.
Je vous remercie.
En extrait de son intervention diffusé sur Public Sénat et sur ce site.