Victimes de braconnage ou de pollution, les tortues sont les témoins de l'état de nos océans

Bien loin des zones de transit et de pontes des tortues, s’est ouvert, à Paris ce 8 septembre 2015, à la Maison des Océans, le second colloque national sur les tortues marines.
La bâtisse ressemble à une maison portuaire. Un phare compliqué domine l’ensemble architectural aux détails marins figés dans la pierre comme dans une vague temporelle. Et pourtant, nous sommes rue Saint-Jacques dans le 5ème arrondissement de Paris : la Maison des Océans, autrement dit la partie parisienne de l’Institut océanographique de Monaco. Les scientifiques se pressent dans des salles majestueuses où sur les murs peints, des marins de voiliers transpercent des baleines. Des bibliothèques surannées semblent attendre les fantômes de savants à la Jules Verne et les ombres du prince Albert 1er croisent les traces du Prince Albert II, tout aussi passionné que son trisaïeul par la protection des océans. Un goéland empaillé semble ricaner dans une vitrine pendant que passe le cortège de la centaine d’invités à débattre sur le sort des « Chelonioideae ».
 
Un colloque important : il a d’ores et déjà permis de définir que la tortue marine, « Chelonioidea » de son nom de famille, doit être considérée comme un marqueur de la pollution et du changement climatique des Océans. " Une tortue Luth qui naît sur la plage de Awala-Yalimapo en Guyane peut se retrouver à Saint-Pierre et-Miquelon ", explique-t-on au Muséum d’Histoire Naturelle, co- organisateur du Colloque, " c’est un animal fédérateur  et qui est aussi un symbole : celui des efforts que fournit la France dans les outre-mers pour protéger les tortues marines, de la Guadeloupe à Mayotte en passant par la Guyane ou la Martinique et la Réunion ".
 
Ces reptiles sont donc au Centre de l’attention d’une centaine de scientifiques spécialisés. Première base de travail et de réflexion : les tortues sont les témoins de la pollution marine.

« La tortue marine est un indicateur de la qualité des mers et des océans, explique Jean-Philippe  Siblet, directeur du Patrimoine Naturel au Muséum d’Histoire naturelle de Paris.  A l’instar de l’économie où on dit quand le bâtiment va tout va ; on pourrait dire que quand la tortue va bien, les océans vont bien…Or, aujourd’hui on constate que les tortues marines sont dans des situations difficiles »
  
Ce scientifique, blanchi sous le harnais, n’élude pas les difficultés : la tortue est un enjeu mais il y a peu de crédits publics, que ce soit pour la protection, la prévention ou... l’information.
Pour organiser ce colloque, le Ministère de l’Environnement a débloqué les fonds seulement quinze jours avant. Pourtant, faire le point sur les connaissances accumulées à propos des tortues, c’est important. " On n’a pas tout le temps les moyens de bien connaître tous les organismes marins soumis à la pression des pollutions modernes qui nous entourent pour faire le point sur la qualité des océans. Etudier les tortues, c’est faire la synthèse de la qualité des mers et des océans ". 

Pourtant la situation s’aggrave pour les reptiles car  plus de  la moitié des tortues  retrouvées mortes entre Atlantique, Océan Indien et Pacifique avaient ingéré des déchets et des ordures : plastiques, engins de pêche, hameçons…

Mais la pollution ne s’arrête pas à l’ingestion de déchets. Il s’agit aussi de la pollution qui touche les sites de ponte. Pollution lumineuse et sonore qui gêne considérablement les tortues et qui peut les empêcher de pondre, pollution chimique de plages situées près de ports industriels.

A Paris, les scientifiques vont se préoccuper du sort de la Tortue-Luth, si familière en Guyane, sur la plage des Hattes ou de la carette en Guadeloupe. La préservation et la protection des zones de ponte est primordiale pour la survie de l’espèce.
 
Entre lutte contre le braconnage des œufs et des tortues et nettoyage des zones de ponte pour les préserver des pollutions chimiques ou lumineuses, les associations ont un travail énorme à fournir, en cette période de restrictions budgétaires, il va falloir faire mieux avec moins d’argent.

« Pourtant, les douanes vienne d’arrêter des trafiquants d’écailles de tortues imbriquées…On voit bien qu’il reste un effort énorme à fournir pour persuader les gens qu’il faut protéger les tortues marines, précise Jean-Philippe Siblet, car nous parlons d’espèces qui rassemblent très peu d’individus : à peine quelques centaine de milliers de tortues marines sillonnent les océans. Leur situation est donc très fragile. »

«A l’institut Océanographique de Monaco, Nous avons décidé de favoriser les études par grandes espèces. Il y a eu les requins et maintenant nous avons choisi les tortues marines parce qu’elles sont un témoignage unique de l’état des océans. Pour protéger les requins, c’est simple, il suffit d’arrêt la surpêche. Il n’y a pas de solutions simples pour protéger les tortues ". explique un grand monsieur très digne. Robert Calcagno est directeur général de l’Institut Océanographique de Monaco, ancien Ministre de l’Environnement de la Principauté. Son apparence calme cache mal le feu qui scintille dans ses yeux. Pas de doute : c’est un militant acharné de la protection des océans.
" Et comme il nous faudra sans aucun doute plusieurs dizaines d’années pour réussir à assainir les océans, il faut aider les tortues marines à survivre à cette période " conclut-il.

Aider et protéger les tortues marines, c’est  un voyage dans le passé de ces fossiles vivants. Une exploration au milieu d’animaux extraordinaires qui vivent jusqu’à 150 ans, qui peuvent passer six heures sous l’eau sans respirer et dont 1 pour 100 seulement survit à la naissance…

Pour rappel, trois espèces de tortues marines, en plus de la tortue imbriquée ci-dessus, fréquentent nos eaux tropicales :
  • la tortue-Luth, la plus grosse et la plus voyageuse des tortues marines. Elle est protégée par la convention de Washington comme les autres espèces
  • La tortue caouanne
  • et la tortue verte