Cheval de bataille de la droite conservatrice — Les Républicains ont déposé en décembre dernier une proposition de loi visant à les suspendre pour les parents de mineurs récidivistes — le souhait de toucher aux allocations familiales des responsables légaux de délinquants juvéniles est revenu dans le débat à La Réunion cette semaine, dans la foulée d'une nouvelle flambée de violences urbaines à Saint-André.
Pas forcément du côté d'où on pouvait s'y attendre, puisque c'est la Plateforme de gauche de la maire socialiste de Saint-Denis Erick Bareigts qui s'est emparée du sujet lundi 20 janvier, cette dernière affirmant que "les allocations qui sont versées ne sont pas à destination des enfants. Et donc les enfants deviennent des proies."
Patrice Selly veut "durcir les modalités" des prestations familiales
Autre figure du mouvement, le maire de Saint-Benoît Patrice Selly allait plus loin en assurant qu'"il y a des mineurs envoyés de Mayotte vers La Réunion par leurs parents, censés être placés sous la responsabilité d'adultes qui, au final, n'exercent aucune autorité parentale ni aucune surveillance." Un constat partagé par de nombreux observateurs.
Cependant, Patrice Selly suggérait un durcissement de l'obtention des allocations familiales, laissant entendre qu'elles étaient plus faciles à obtenir à La Réunion qu'à Mayotte. "Il faudrait durcir les modalités de ces prestations familiales en adoptant les mêmes dispositions qui existent à Mayotte. C’est-à-dire, en faisant dépendre le versement d'un jugement du juge aux affaires familiales (JAF)", proposait alors Patrice Selly.
"Ni à Mayotte, ni à La Réunion, le JAF n'attribue les allocations"
Un juge qui déciderait du versement des allocations familiales ? Une source judiciaire interrogée par Réunion la 1ère est catégorique : "ni à Mayotte, ni à La Réunion, ni ailleurs, le JAF n’attribue les allocations familiales. C’est une prérogative de la CAF qui a ses propres conditions pour verser ses prestations, étant précisé qu’à Mayotte il n’y a pas de CAF."
À Mayotte, dans le cadre de la départementalisation, il n’y a pas encore de CAF à proprement parler. C’est la Caisse de sécurité sociale de Mayotte qui gère les prestations. Et les allocations sont toutes minorées, cela fait partie des droits dérogatoires à Mayotte...
Là où le juge intervient, c'est éventuellement pour déléguer l'autorité parentale à une tierce personne à la place des parents qui en seraient empêchés. "Le JAF ne fait que déléguer l’autorité parentale en se fondant sur l’intérêt de l’enfant que les titulaires de cette autorité ne peuvent assurer pour des raisons de santé, de manque de disponibilité, d’éloignement ou autre. Celui qui se voit déléguer l’autorité parentale va à la CAF avec le jugement, et c’est à ce moment-là que la CAF calcule ses droits", reprend cette même source.
"Il y a toujours des personnes pour abuser du système"
Pour le cas de parents mahorais ayant délégué leur autorité parentale à une personne vivant à La Réunion — un membre de la famille ou un proche — "celui qui se voit déléguer l’autorité parentale peut également être bénéficiaire des allocations familiales (c’est une faculté non un droit) que perçoivent ou percevraient les parents", précise ce magistrat.
"En réalité, ce sont les résidents réunionnais qui touchent plus d’allocations et, il faut être lucide, il y a toujours des personnes pour abuser du système et prendre en charge un peu beaucoup d’enfants", note cette source, rappelant cependant que "les JAF sont attentifs à cela lorsqu’ils délèguent l’autorité parentale."
Sollicitée également, la CAF de La Réunion bat en brèche l'idée qu'il serait plus facile d'obtenir les allocations familiales à La Réunion qu'à Mayotte.
"Une politique de contrôle a posteriori"
"La CAF de la Réunion met en œuvre les principes d'accès aux prestations familiales tels qu’ils sont prévus par les textes et réglementations en vigueur. Ces règles sont les mêmes que celles valables sur l'ensemble des départements de France, Mayotte ayant un statut particulier lié à sa départementalisation et aux opérations menant à la convergence des droits", souligne Isabelle Bourdin, cheffe de cabinet du directeur général de la Caisse d'allocations familiales de La Réunion.
Si elle confirme que, à La Réunion, "l'accès aux droits aux prestations est basé sur un système déclaratif, simplifiant ainsi les démarches des allocataires", la CAF rappelle que "la contrepartie est à la fois l'obligation pour l'allocataire de déclarer l'ensemble de sa situation mais aussi une politique de contrôle à postériori menée par nos soins."
"Il est inexact de dire qu'il est plus facile d'avoir des prestations à La Réunion qu'à Mayotte, puisque nous appliquons les mêmes principes de droit"
Isabelle Bourdin, cheffe de cabinet de la direction de la CAF Réunion
"La CAF étudie toutes les demandes et en fonction des situations, des pièces justificatives complémentaires peuvent être réclamées à l'allocataire. Il est donc inexact de dire qu'il est plus facile d'avoir des prestations à La Réunion qu'à Mayotte, puisque nous appliquons les mêmes principes de droit. En effet, dans le cadre d'accès aux droits, la production d'un jugement lié à l'enfant est parfois nécessaire en fonction de la prestation demandée et/ou de la situation familiale concernée", précise Isabelle Bourdin.
Allocations trois à quatre fois inférieures à Mayotte
Patrice Selly semble donc se tromper lorsqu'il affirme que le versement des allocations dépend d'un juge à Mayotte, sous-entendant que leur obtention serait plus facile à La Réunion.
En revanche, il est certain que le niveau des prestations sociales à La Réunion est plus avantageux que celui de Mayotte, faute de convergence des droits pour le 101e département. Selon les calculs de Corail, observatoire social des outre-mer, "en moyenne, les allocations perçues par une famille mahoraise sont trois à quatre fois inférieures à celles perçues par une famille de La Réunion ou de l’Hexagone."