Le Paris-Madrid, un bâtiment chargé d'histoire bientôt transformé en centre d'hébergements

Le Paris-Madrid, ancien commerce de vêtements et d'articles divers et variés, en cours de réhabilitation. Le bâtiment a été construit à la fin du 19e siècle.
L'ancien Paris-Madrid a été construit il y a plus de 150 ans. Le bâtiment aura été la propriété des familles Robinson, Maufroy puis Pérez, toutes spécialisées dans le commerce. Plusieurs habitants de Saint-Pierre et Miquelon ont bien connu les lieux. Les descendants, les amis se souviennent également de moments inoubliables

Aux abords de la rue du 11 Novembre, une grande bâtisse jaune et brune en état de délabrement. En fait le bâtiment, propriété de "Ô soleil Boréale SPM" depuis 2023, est en cours de réhabilitation. La société a pour projet la création d'un lieu hébergement de groupes jeunesse, sport, culture et un lieu de coliving. L'établissement va donc avoir une nouvelle vie, plus de 150 ans après sa construction.

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Le bâtiment, à l'origine en bardeaux gris, aurait été construit à la fin du 19e siècle pour les établissements Bardou & Walsh, qui auraient été des armateurs dans les années 1890-1900. Puis il sera acheté par Auguste Maufroy à des Américains, les Robinson.

Le commerce Maufroy aura marqué les esprits

Auguste Maufroy est bien connu dans l'archipel puisqu'il est né à Langlade en 1895. Il avait acquis la propriété dans les années 20 avec son épouse Anita Legasse, pour en faire un magasin spécialisé dans la vente aux détails d'articles divers et variés et dans l'alimentation. Il était aussi représentant en automobile.

Mr Auguste Maufroy avec sa fille Raymonde.

Michel Legasse, le neveu d'Anita et d'Auguste Maufroy, se souvient que "le commerce était en bas. Il y avait un grand escalier où il y avait des portemanteaux en bambou et à gauche la salle à manger, le salon, la cuisine. Il y avait un monte-charge pour le charbon".

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Comme le souligne Michel, "Auguste était quelqu'un de très entreprenant. Avant d'avoir le commerce, il avait une entreprise spécialisée dans le charbon situé au quai Maufroy, l'actuel quai de croisières. Il était aussi propriétaire de deux autres succursales".

Michel raconte que la dernière personne à avoir travaillé là était Madame Renée Sérignat et le gérant était Monsieur Paul Tillard.

Je me souviens que mon oncle Auguste était le premier à commander du camembert en France et mon père avait toujours une boîte à la maison.

Michel Legasse, neveu d'Auguste et d'Anita Maufroy

Michel, aujourd'hui âgé de 84 ans, garde de très bons souvenirs de son oncle et de sa tante, " des gens gentils, magnifiques" à qui il aimait rendre visite dès sa plus tendre enfance.

Il est d'ailleurs pris en photo dans la cour arrière du bâtiment. Un des rares clichés qu'il détient. Elle date de 1944. Michel avait quatre ans.

Michel Legasse à l'âge de quatre ans dans la cour de l'ancien commerce Maufroy, Mai 1944.

Michel a même travaillé deux mois dans le commerce d'Auguste Maufroy en tant que comptable avant d'être embauché à la caisse centrale de la France d'Outre-mer.

Un autre habitant de Saint-Pierre se souvient aussi de ce lieu. Il s'agit de William Beaupertuis. Il nous a confié qu'il avait bien connu le commerce du temps de la famille Maufroy.

"C'est là précisément que mes parents m'envoyaient chercher du lait pour les bébés. Je crois bien que le lait Guigoz il n'y en avait que chez Maufroy à cette époque, c'était vers 1959".

J'aurais du mal à oublier ce moment car un jour, je suis allé acheter ce fameux lait en poudre et je me suis fait bouffer le mollet droit par le chien du Slip. J'en ai toujours gardé une cicatrice qui est devenue une marque remarquable. A l'époque je crois me souvenir que c'est le Docteur Henri qui m'avait opéré pour limiter les dégâts.

William Beaupertuis

William Beaupertuis qui connaît bien également le bâtiment du temps du Paris-Madrid ou du moins ses moindres recoins puisqu'en 2014 il y a réalisé une expertise.

La famille Pérez fait l'acquisition du bâtiment au début des années 70

En 1967-68, la famille Pérez revient d'Espagne. Au tout début des années 70, elle achète le commerce Maufroy.

Enrique Pérez fils raconte que c'est sa mère Madeleine Paturel (épouse Pérez) qui avait acheté la maison, car son père qui s'appelait aussi Enrique était espagnol et à l'époque les étrangers ne pouvaient pas avoir de biens sur le territoire.

Dans le magasin, il y avait de nombreux vêtements et articles.

Au début il y avait pas mal d'importations d'Espagne dont les fameuses poupées espagnoles. Il y en avait de toutes les grandeurs, jusqu'à 60-70 cm. Il y avait aussi des coucous suisses à vendre. Les coucous, ce sont les pendules avec les deux poids et le petit oiseau qui sortait.

Enrique Pérez, fils des propriétaires du Paris-Madrid

Pour la petite histoire...

La bâtisse a été baptisée le Paris-Madrid, tout simplement parce que "ma mère était Française et mon père Espagnol".

"Il y avait dans la maison, une centrale téléphonique pour s'appeler en interne et lui dispatchait les appels" raconte Enrique. 

Madeleine et Enrique Pérez 1962-1963 et le magasin Paris-Madrid.

Enrique Pérez père et son épouse Madeleine avaient également douze chambres dans leur immeuble.

Les chambres étaient louées à des touristes ainsi qu'à des marins espagnols qui, quand ils étaient débarqués des chalutiers pour des raisons de santé et sortaient de l'hôpital, venaient chez mes parents en pension. Mon père leur faisait à manger donc ils n'étaient pas trop dépaysés.

Enrique Pérez, fils des propriétaires du Paris-Madrid

Enrique le fils aura vécu dans la maison familiale jusqu'en 1984-85.  Il raconte que lorsque "ses parents ont acheté la maison il n'y avait pas de peinture dessus, ensuite elle a été peinte en brun et jaune puis recouverte par la suite de vinyle".   

Lorsque ses parents ont fait l'acquisition du bâtiment, il se rappelle que "du côté ouest de la maison sur toute la largeur, il y avait trois salons. Un pour fumer, un pour l'apéro et un autre pour la lecture qui communiquaient par des grandes portes vitrées". Il se souvient aussi qu'à l'endroit où il y a les appartements derrière le bâtiment," il y avait un grand hangar où Auguste Maufroy entreposait des barriques de vin.

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Il rajoute sur le ton de l'humour, "qu'au début qu'ils étaient là, ces barriques aigries avec l'âge explosaient et le soir la famille entendait un énorme bruit. C'était la barrique qui n'avait pas résisté".

D'ailleurs à propos du monte-charge évoqué par Michel Legasse, Enrique en garde un bon souvenir.

Monsieur Maufroy entreposait de la marchandise. Elle était virée là-haut par un palan et nous quand on était jeune on s'amusait sur ce palan et on descendait du grenier jusqu’au rez-de-chaussée. Et quand y a eu les travaux, les panneaux ont été condamnés. 

Enrique, fils des propriétaires du Paris-Madrid

Quant à Michel Legasse, il connaissait également très bien Enrique le père.

J'y allais aussi du temps du Paris-Madrid avec des copains de mon âge lorsqu'on faisait des tours de ville. On rentrait faire un tour et on discutait avec Enrique le père et son épouse. Il nous racontait des histoires un peu en espagnol et un peu en français.

Michel Legasse

Dany a aussi connu le Paris-Madrid. Il se souvient du bar qui se trouvait dans le bâtiment.

Il raconte qu'un jour "en me baladant avec mon berger allemand devant le bar, un ami m'a invité à prendre un verre. Je suis donc rentré. Puis la patronne qui regardait les heures tournées s'étonnait de ne pas voir de clients alors qu'habituellement il y avait du monde. Et quand elle a voulu vérifier si la porte fonctionnait, elle a trouvé mon chien qui montait la garde sur les marches. Ce qui a surement fait fuir les clients. Une situation qui nous a bien fait rire sauf la patronne".

De nouveaux espaces de vie dans quelques mois

La création d’un hébergement de groupes jeunesse, sport, culture et d’une résidence de coliving.

C’est dans l’ancien bâtiment connu sous le nom du "Paris-Madrid" situé rue du 11 novembre à Saint-Pierre que le projet de réhabilitation va voir le jour.

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Pour Michel Legasse, ce projet est très bien : "pour moi c’est du passé. Aujourd'hui, la vie suit son cours. Cela a appartenu à la famille Maufroy, Pérez et maintenant à quelqu'un d'autre, Ce n'est pas plus mal que de le laisser comme ça. Au moins ça va revivre"