Série 3/3 Ma vie de soldat : “C'est ma femme qui m'a sauvé la vie". Les treillis, les corvées, l’amitié, la guerre, le choc. José Garzoni revient sur son parcours

Le caporal José Garzoni reçoit en 2003 au Sénégal la médaille d'argent de la défense nationale.
C’est l’histoire d’un jeune Saint-Pierrais qui rêvait de s’engager pour son pays et qui l’a fait. Entre 1997 et 2011, José Garzoni aura voyagé sur de nombreux théâtres d’opérations avant que sa carrière ne s'arrête brutalement.

Au cours de sa carrière, José Garzoni aura servi dans de nombreuses bases françaises à l’étranger. Après l’Europe de l’Est, il aura surtout connu l’Afrique lors d’opérations de courtes ou de longues durées.

Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Ghana, Djibouti…

S’il reste marqué par la douceur de la vie au Sénégal, où il a passé deux années sur la base de Dakar au sein du 23e bataillon d’infanterie de Marine, José a aussi connu des missions plus tendues sur tout le continent.

Les hommes du 23e BIMA de Dakar au Sénégal dont José Garzoni faisait partie (5e en partant de la droite au deuxième rang).

"Il faut être prêt à tout", explique-t-il en évoquant les "alertes guépard" qui permettent de mobiliser des soldats sur zone en moins de 48 heures. En 2004, son régiment fut ainsi appelé en renfort en Côte d’Ivoire après le bombardement de la base aérienne de Bouaké. La situation est alors explosive dans le pays où des tirs sont échangés.

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Au dernier moment, la rumeur de leur arrivée dans la capitale faisant courir un risque d'embrasement dans le pays, ils sont détournés vers une autre mission en mer. “Pour ne pas mettre de l’huile sur le feu, nous avons été envoyés vers une mission de lutte contre la piraterie au large de la Côte d’Ivoire pour protéger le trafic maritime”.

Difficile de partager la vie d’un soldat. Tu peux partir n'importe où, n’importe quand et tu ne peux pas tout dire…

José Garzoni

Deux ans plus tard, il est de retour en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'opération Licorne où il est confronté à plusieurs reprises à des coupeurs de route armés.

José apprend à "vivre sur le qui-vive" et gagne en expérience tout en découvrant de nouvelles cultures et de nouveaux frères d'armes... avant que tout brutalement ne s'arrête.

José Garzoni pose en 2005 à Djibouti lors d'une MCD (mission de courte durée). C'est ce cliché qu'il utilisera sur un site de rencontre pour y faire la connaissance de Karine, sa future femme.

L'amour et la chute 

En 2005, sa vie prend déjà un nouveau tournant avec la rencontre de Karine à Angoulême, lors d'une permission. Elle est mère célibataire de deux garçons quand José lui a déjà une fille de son côté. C'est elle qui, sous la pression de ses amies, l'avait contacté sur un site de rencontres en ligne.

C'est vite le coup de foudre entre ces deux-là qui ne se quitteront plus, et c'est peut-être justement cette rencontre qui va permettre à José de tenir le coup après le 3 février 2008.

Ce jour-là après 11 années de service, le Caporal-Chef Garzoni, qui est en froid avec l'une de ses supérieures, n'est pas reconduit dans ses fonctions. "Mon contrat n'a pas été renouvelé à cause d'une cheffe qui m'a refusé le droit de poursuivre ma carrière", se souvient-il encore les dents serrées en se remémorant l'injustice de cette situation.

José pose fiérement avec ses médailles à Djibouti où il avait intégré le 5e régiment interarmes d'outre-mer.

Le retour à la vie civile... et à la vie de château

Passé le choc, José va entamer sa reconversion comme peintre en bâtiment dans le Sud-Ouest, en Charente, où naîtront ses deux filles Rachel et Angélique.

Avec son épouse, ils créeront là-bas une société qui leur permettra d’intervenir ensemble sur des chantiers dans toute la région, y compris dans des demeures d'exception.

Pendant trois ans, ils seront ainsi chargés de rénover l'imposant château Gazon situé entre Limoges et Angoulême. 

 

Le château de Gazon à Cherves-Châtelars fut construit entre le XVI et le XVIIIe siècle. C'est là que José, sa femme et leurs deux enfants vécurent pendant trois ans.

Le jour où tout a soudainement basculé

Le 14 juillet 2011, c'est là-bas que José regarde le journal télévisé de TF1 lorsqu'il apprend le décès la veille en Afghanisatan de cinq soldats français, au lendemain de la visite surprise du Président Nicolas Sarkozy dans le pays.

Parmi eux, le caporal-chef Sébastien Vermeille qu'il connaissait bien pour avoir partagé son quotidien au 1er RIMA d'Angoulême, mais également à Djibouti et en Côte d'Ivoire. 

"Pour moi ce jour-là, à ce moment-là, tout s'est arrêté. J'ai senti littéralement remonter les odeurs du charnier humain que j'avais vécu au Kosovo, j'entendais les bruits aussi". José ne le réalise pas tout de suite, mais il vient de déclencher un choc post-traumatique.

Le caporal-chef Sébastien Vermeille est mort au combat en Afghanistan en 2011 avec son arme et son boîtier à la main. José le connaissait bien.

 

Le soir même, il boit une bouteille de whisky tout seul pour arriver à s'endormir dans son salon où il se retrouvera en prise à des "cauchemars très violents" qui vont devenir réguliers.

"Par peur de blesser Karine dans la nuit", il va quitter définitivement le lit conjugal pour le canapé, mais sans rien lui dire... pendant un an et demi.

C'est ma femme qui m'a sauvé la vie

José Garzoni

Le silence et la souffrance vont l'accompagner jusqu'à l'ultimatum que son épouse lui posera. "Elle voulait me quitter car elle était persuadée que je ne l'aimais plus ou que j'allais voir ailleurs. Mais vu que je ne parlais pas, elle ne pouvait pas comprendre..." 

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Ce jour-là, José réagit et va immédiatement consulter un médecin qui était "commandant de réserve dans un petit village du coin", et qui comprend très vite de quoi il s'agit, avant de lui prescrire un lourd traitement médicamenteux.

Maintenant l'armée prend en compte les syndromes de stress post-traumatique, mais avant on nous prenait pour des fous, c'est tout

José Garzoni

Depuis qu'il s'en est sorti, José essaye de repérer des signes chez ses amis qui comme lui ont été exposés à des situations traumatisantes. Il se souvient ainsi un jour avoir parlé à "un collègue qui revenait du Mali avec un comportement étrange".

"J'ai essayé de l'aider et il l'a compris. On a pu discuter ensemble. C'était le début du chemin. Le plus important dans ce cas-là, c'est de parler et ce n'est pas facile."

José et Karine fêteront à l'été 2025 les 20 ans de leur première rencontre. José s'estime "chanceux" de toujours partager sa vie.

Le retour à Saint-Pierre... 

Comme bon nombre d'îliens, José décida de revenir chez lui avec sa famille en 2013 pour démarrer une nouvelle vie.

"Notre principal employeur venait de quitter la France pour le Portugal", se souvient-il. Pour eux, ce fut l'élément déclencheur, ils décident de tout vendre pour partir s'installer à Saint-Pierre.

Embauché dans une quincaillerie puis dans une station essence, José y poursuivra son chemin sans jamais oublier l'armée et ses "meilleures années". Dans l'archipel, il intègre d'ailleurs l'association des anciens combattants avant d'en devenir vice-président.

Si demain la France entre en conflit ouvert, j'espère que les Saint-Pierrais et les Miquelonnais s'engageront comme par le passé, mais j'en doute, les temps ont changé. 

José Garzoni

Douze ans plus tard, c'est un nouveau défi qui l'attend avec sa famille. Cet été ils vont déménager pour la Haute-Savoie et Annemasse où José a déjà une idée de son futur métier. "Ils recrutent pas mal là-bas dans la police municipale. En tant qu'ancien militaire et gendarme réserviste, ça m'ouvre des portes", envisage-t-il déjà. 

Quant à son parcours militaire, avec le recul, il ne regrette presque rien. "C'est à l'armée que j'ai construit mes meilleures amitiés et je serais prêt à tout recommencer, même si ça devait se terminer de la même manière".

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