"À quinze ans à peine, aux bancs de Terre-Neuve, pauvres p'tits "graviers", pourquoi partez-vous ?" a écrit le chansonnier Théodore Botrel en 1903. Et beaucoup ignorent encore l'histoire qu'il a écrite dans cette chanson. Pourtant, pendant presque 100 ans, des milliers d'enfants bretons âgés de 8 à 18 ans, étaient envoyés pendant plusieurs mois, travailler la morue de l'autre côté de l'Atlantique, à Saint-Pierre et Miquelon.
"C'étaient des enfants que l'on allait chercher dans l'arrière-pays, qui vivaient dans des conditions effroyables."
La grande responsable ? La misère de l'époque selon Alexis Gloaguen. Étant issus de familles extrêmement pauvres, en milieu rural, ces enfants représentaient un espoir de vie meilleure grâce aux quelques sous gagnés. Et il faut le dire, c'était surtout des bouches en moins à nourrir. "C'étaient des enfants que l'on allait chercher dans l'arrière-pays, qui vivaient dans des conditions effroyables. Mais s'ils étaient restés dans leur ferme, ils auraient tout de même été protégés."
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Si la mémoire des petits graviers vit depuis toujours à Saint-Pierre, en Bretagne, c'est tout l'inverse. Une omerta existe à tel point que cette histoire était complètement inconnue pour les habitants, jusqu'à la projection du documentaire de Laurent Giraudineau qui retrace ce pan historique dans lequel Alexis retrouve la trace de son propre grand-père, ancien petit gravier. Beaucoup ignorent cette histoire. Ce documentaire fait alors office de devoir de mémoire et rend hommage à tous ces enfants oubliés de la grande pêche.
"À Saint-Pierre et Miquelon, il y avait déjà cette mémoire. Alors qu'en Bretagne, c'était clairement enterré sous le tapis (...) Les avant-premières ont été très fréquentées. On a fait salle comble à chaque fois. À Brest, près de Paimpol... Les gens tombent de l'armoire en quelque sorte. Ils découvrent ça, et ils sont bouleversés."
Alexis Gloaguen
Aussi, en conclusion, l'écrivain est revenu sur les représentations artistiques que l'on a des graves et du séchage de la morue. À l'image de l'immense toile de Gaston Roullet par exemple, exposée au musée de l'Arche. Il s'agit exclusivement d'adultes, dos courbés, morues salées en mains. Une réalité tronquée qui ne représente pas ou peu le contexte local de l'époque. "On se demande la raison de l'absence des enfants. Ce n'est pas tout à fait par hasard. C'était une toile qui devait être exposée à l'exposition universelle de 1900 à Paris, qui devait montrer les activités de l'Outre-mer. Cette toile devait faire l'apologie du travail de la morue à Saint-Pierre et donc on ne voulait pas montrer qu'il s'agissait d'enfants", explique Alexis Gloaguen.
Le documentaire "Petits graviers de Saint-Pierre", co-produit par SPM La1ère, sera diffusé ce jeudi 6 février dans l'émission Longue vue.
Alexis Gloaguen était l'invité de C'est vous qui le dites le 24 janvier dernier :