Salon du livre de Paris : quelle place pour les Outre-mer ?

A l'occasion du Salon du livre de Paris, ouvert jusqu'à lundi soir, gros plan sur la présence des éditeurs et auteurs des Outre-mer présents à ce grand rendez-vous. Deux éditeurs et cinq auteurs ivres de lecture.

Comment se porte la lecture Outre-mer ?

Au Salon du livre de Paris, ouvert jusqu’à lundi soir, les éditeurs sont préoccupés de la situation de la lecture (c’est le cas d’Ibis rouge qui déplore la fermeture des librairies en Guyane) ou plutôt optimistes grâce à la vente directe de livres (c’est le cas de Au Vent des îles à Papeete). Une question en résonance avec le dernier sondage IPSOS sur "les Français et la lecture" qui nous apprend que les Français lisent (encore) malgré la crise. Regardez le reportage d'Outre-mer 1ère / France Ô :
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Quelles nouveautés ?

Côté nouveautés, il est difficile de dégager une tendance générale tant la situation est hétéroclite. On constate une passion pour les langues, sous toutes leurs formes, des contes aux essais, du patrimoine à la science-fiction.
 

Science-fiction

Bruno Bulot (Guyane) : Et si les Taïnos avaient gagné ?
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Et si les conquistadors espagnols avaient perdu lors de la « Découverte », s’est demandé Bruno Bulot dans son deuxième volume d’ « Ajay » vient de paraître chez Ibis rouge. Il a imaginé une uchronie, c’est-à-dire un récit de science-fiction alternatif qui repose sur la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé.
Exemples d’uchronies : « Le maître du haut château », de Philip K. Dick où l’auteur imagine une victoire de l’Allemagne et du Japon à l’issue de la Seconde guerre mondiale ou encore « La Part de l’autre », roman d’Eric-Emmanuel Schmitt qui imagine un Hitler réussissant son examen d’entrée aux Beaux-Arts de Vienne.
« Atay » renverse complètement les données puisque les vainqueurs deviennent les vaincus et les vaincus les vainqueurs. « Christophe Colomb et ses marins ont été battus lors de leur deuxième voyage. Ajay et ses frères ont pris la mer pour partir à la découverte de l’ancien monde. », lit-on en quatrième de couverture.

 
Langues et patrimoine culturel

Hector Poulet (Guadeloupe) : « Les héros sont parmi nous ».
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« Abobo ! » était « le cri du conteur pour annoncer la fin du conte, se souvient l’un des plus célèbres créolistes des Antilles, une manière de nous faire comprendre que le monde magique s’arrêtait là et qu’il nous fallait revenir à la réalité. Ce à quoi nous devions répondre tous en chœur en matière de remerciement : « Biia ! ». »
Dans ce recueil de légendes, Hector Poulet utilise au contraire « Abobo ! » comme un sésame, « pour ouvrir la porte de l’imaginaire ».
« Les héros sont parmi nous » nous a déclaré cet éminent linguiste à la fois érudit, auteur d’ « Eléments pour un dictionnaire historique du créole guadeloupéen » et conteur avec cette nouveauté. Ces héros sont des figures légendaires. Elles ne sont pas venues de la Grèce antique ou d’autres mythologies mais de l’île de La Dominique avec Sésé, à l’origine de la guerre entre Arawaks et Caraïbes en l’année 1392, un siècle avant la « Découverte » ou encore Gaegaba et la Bête à Man Ibè, de Guadeloupe, datant de 1820 ou « Télesfort, le Vieux Nègre », toujours en Guadeloupe en 1852 ou enfin « L’Homme du continent à la recherche de la Florentine », de Marie-Galante, en 1930, quatre  légendes présentées ici en français.
Hector Poulet se souvient des légendes gréco-latines abordées en classe de sixième, mais instruits de ces mythes dits universels, moqués par leurs aînés de « nègres gréco-latins » (sic), il reconnaît dans son introduction : « Nous avions besoin de légendes pour nous construire une identité en rapport avec notre réel ».
Hector Poulet, « Abobo ! , Quatre légendes inédites des Antilles » (Caraïbéditions). Durée : 1’14’’
 

Langues et patrimoine culturel

 « Atipa, roman guyanais » : premier roman en créole guyanais (1885). 
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« Atipa », c’est la vie de la Guyane au temps de la colonie, d’une « richesse inestimable pour quiconque s’intéresse à la langue, à la culture et à la société guyanaises », annonce dans son introduction l’universitaire Marguerite Fauquenoy.
Le personnage éponyme est un orpailleur d’une cinquantaine d’années se promène dans Cayenne et rencontre des camarades avec lesquels il discute des problèmes du pays.
L’enjeu de la réédition bilingue de ce texte du patrimoine guyanais réside aussi dans l’adaptation du créole du XIXe siècle au créole d’aujourd’hui car la langue s’est transformée : « la langue créole a suffisamment changé en un siècle pour que le texte devienne d’accès difficile au lecteur créolophone contemporain ».
Exemple des titres de la table des matières : Atipa prend un verre avec Bosobio, Atipa va au marché avec Wacapou, Atipa discute de politique avec Nez-en-moins, Atipa et Guelman discutent de religion.
Selon Marguerite Fauquenoy, Alfred Parépou, l’auteur d’Atipa, « fait le constat des problèmes qui accablent la colonie » à une période de « bouillonnement social » : abolition de l’esclavage (1848), immigration des travailleurs libres (Chinois, Hindous, Africains) (1850-1860), création du bagne (1852), découverte de l’or (1855), comme l’explique Ernestine Bocage dans son mémoire « Images de soi, images des autres ».
En Guyane, « l’année Atipa » prévoit tout au long de l’année 2017 un événement, organisé par la Collectivité territoriale de Guyane, selon un thème comme musiques et danse, langue, cuisine, etc.
 
Ernestine Bocage, maître-formateur, présente « Atipa, roman guyanais », premier roman en créole guyanais, bilingue (1885) écrit par Alfred Parépou, édité par L’Harmattan. Durée : 1’47
 

Conte bilingue

Dominique Berton, illustratrice (Nouvelle-Calédonie) : un conte kanak dans une langue en voie de disparition. 
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Sauver une langue en voie de disparition, l’enjeu semble démesuré pour un conte dans une édition bilingue, avec CD, qui fait entendre les deux versions en wèè et en français. Le wèè est une langue de la région de Yaté et de l’île Ouen dans le Sud de la Nouvelle-Calédonie. Une variante, le nââ numèè (autrement dit « langue de Nouméa »), a quasiment disparu, lit-on dans la partie documentaire de l’album.
Xii gïï kô Ngwéétu (Xii, le faucon de Ngwéétu), conte bilingue français-wèè, texte Apollonie Womwâ, illustration Dominique Berton, avec CD, éditions Vale-Nouvelle-Calédonie, ADCK-Centre culturel Tjibaou.
 

Poésie francophone 

André Robèr, « Le caïman n’aime pas le froid ». 
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Poète réunionnais et éditeur, André Robèr écrit et publie en créole ses « poèmes visuels » (fonnkèr pou lo zié). Son dernier, publié en décembre 2016, est entièrement rédigé en français. Le caïman est un « prétexte pour évoquer son rapport au français et au créole ».
André Robèr, « Le caïman n’aime pas le froid », éditions K’A, 2016