Fermeture temporaire d'un service de chimiothérapie en Guadeloupe, absence totale d'oncologues pendant deux mois dans un hôpital de Polynésie, pénurie de radiologues à La Réunion qui retarde le dépistage de cancers... Tous les Outre-mer sont touchés par le même problème d'accès aux soins qui peut avoir des conséquences tragiques. L'ex-député martiniquais Johnny Hajjar avait d'ailleurs parlé de "véritable scandale d'État" en mars 2024.
"Il y a des retards à tous les niveaux, c'est-à-dire l'accès à l'examen de radiologie, l'accès à la biopsie, ensuite le délai de rendu du résultat de biopsie, le délai de mise en traitement parce qu'il n'y a pas assez d'oncologues", liste le Dr Marc Pracht.
Le Dr Pracht sait de quoi il parle : il est oncologue généraliste au centre de lutte contre le cancer Eugène-Marquis de Rennes d'où il coordonne des partenariats avec Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Des territoires ultramarins dans lesquels il a travaillé.
Une perte de chances de guérison
Ce manque de personnel "est vrai au niveau médical mais c'est vrai aussi au niveau paramédical", poursuit-il en citant les infirmières spécialisées ou celles en pratique avancée. "Quand on compare à la dotation personnelle des établissements hexagonaux, il y a un vraiment un grand écart."
L'autre fragilité, c'est le problème de remplacement. "Lorsqu'il y a un ou deux oncologues médicaux [...] l'offre de soins se retrouve très fragilisée", dès que le médecin ou l'un des deux "part en vacances" ou est malade, note le spécialiste.
"Donc ça aussi, ça crée des retards, des interruptions de soins, voire des renoncements de soins parce que les choses deviennent trop compliquées pour des patients fragiles", déplore-t-il. "C'est terrible parce que c'est une perte de chances de guérison pour les patients, c'est dramatique !" abonde Katia Willinger, secrétaire adjointe du groupe UCOM.
"Pallier des absences anticipées"
Pour éviter ces situations, le médecin a réfléchi à des solutions avec le groupe Unicancer Outre-mer (UCOM). Dédié à soutenir l'oncologie dans les DROM-COM sur le long terme, ce groupe a été créé en 2022 par la fédération Unicancer, seule fédération hospitalière 100 % dédiée à la lutte contre le cancer.
Dans cette optique, le groupe UCOM souhaite "mettre en place une force d'appui en personnel" pour "pallier des absences anticipées" sur des périodes allant de 15 jours à un an, explique le Dr Pracht.
"L'idée, ce n'est pas de soustraire un personnel dans un établissement de l'Hexagone pour mettre l'établissement en difficulté de manière non anticipée, précise-t-il tout de suite. C'est au contraire d'anticiper les besoins, les vacances et autres, les congés de formation, les congés bonifiés, de façon à garder une offre [de soins] de qualité sur place de manière continue."
26 retours
Lancée en mai 2024, l'idée a germé et un premier appel a été lancé auprès des 18 centres de lutte contre le cancer hexagonaux qui font partie de la fédération Unicancer. 26 oncologues, infirmières, pharmaciens, radiothérapeutes ont déjà répondu positivement, avec l'aval de leur direction, selon Katia Willinger. Une vidéo en ce sens a aussi été mise en ligne :
Impossible de savoir si cela couvrira les besoins ultramarins car ils n'ont pas de chiffres précis. "Ce qu'on sait, c'est qu'il manque à peu près dans toutes les catégories de personnel impliquées en oncologie", assure le Dr Pracht.
Ce premier noyau de volontaires réalisera les premières expériences sur le terrain. Une fois que les conditions contractuelles et d'accueil seront bien cadrées, "on ouvrira cette force d'appui aux personnels des CHU et des CH". Le groupe UCOM "est vraiment ouvert à tous les personnels des autres fédérations, que ce soit la fédération hospitalière de France, voire la fédération hospitalière privée", insiste-t-il.
Une sensibilisation aux Outre-mer
Pour assurer la pérennité de cette "force d'appui", les personnels seront formés en amont de leur première mission "parce que la cancérologie dans les Outre-mer a des spécificités par rapport à la cancérologie dans l'Hexagone, en termes anthropologiques, épidémiologiques, sociologiques, ethnographiques", reconnaît le médecin.
"Un cancer, par exemple, peut être la conséquence d'une erreur de comportement et d'un jugement qui est donné par les ancêtres, justifie-t-il. Cela fait appel à des notions qu'on ne connaît pas au quotidien dans l'Hexagone et qui peuvent nous mettre en échec parce qu'on va raisonner comme si on était dans l'Hexagone."
Les réalités économiques et sociales seront aussi évoquées que ce soit la vie chère, les restrictions d'eau aux Antilles et à Mayotte ou la crise institutionnelle en Nouvelle-Calédonie, là encore pour "ne pas risquer de compromettre cette force d'appui parce qu'elle aurait été mal préparée".
"Un souffle nouveau"
Mais ces éléments ne risqueraient-ils pas de démotiver les volontaires ? Non, selon le Dr Pracht qui met en avant "l'expérience humaine très riche". "Pour avoir vécu ces expériences-là depuis quelques années, et c'est quelque chose qui est vraiment partagé avec l'ensemble de mes collègues, c'est que ça donne soit un souffle nouveau pour les collègues qui seraient un peu essoufflés dans leur quotidien, soit un éclairage nouveau sur notre pratique, analyse-t-il. C'est vraiment pour nous un facteur d'attractivité."
Même s'il sait que les cinq prochaines années "s'annoncent très compliquées" quant aux projections du nombre de médecins, il espère que cette force d'appui pourra se mettre en place à partir de la fin d'année 2025.