On peut prendre l’ouvrage Tonton David, le prince des débrouillards d’Alexandre Grondeau comme une réponse au silence officiel qui a accompagné la disparition de l’artiste réunionnais, de son vrai nom Ray David Grammont, en février 2021 à l’âge de 53 ans. Récemment, l’Élysée s’est fendu d’un communiqué officiel après la mort du chanteur populaire Herbert Léonard. À l’époque, rien de tel "pour la première grande star du reggae en France."
L'écrivain et journaliste spécialiste du reggae Alexandre Grondeau n’en revient toujours pas. "La ministre de la Culture a oublié de lui rendre hommage, de saluer sa mémoire. Pourtant, il a été l’un des artistes français, toutes musiques confondues, le plus important des années 90. En tout cas, l’un des plus grands vendeurs de singles." Pourquoi un tel oubli ? Est-ce parce qu’il était noir ? Qu’il était rasta ? L’auteur se perd en conjectures.
Pour saisir l’importance et l’influence de Tonton David, il faut se replonger dans l’ambiance du début des années 80. Avant l’émergence du mouvement rap, on ne voit guère d’artistes noirs sur le petit écran (et les réseaux sociaux n’existaient pas encore). En 1984, l’émission H.I.P. H.O.P. animée par Sidney sur TF1, constitue l’exception, le rare miroir télévisuel dans lequel la banlieue métissée peut se reconnaître.
Grâce à son bagou et au succès de Peuples du monde, son deuxième single, Tonton David devient "le représentant de la jeunesse des banlieues qui s’affirme dans deux nouveaux courants musicaux : le rap et le raggamuffin". Il s'exprime bien, les thèmes de sa chanson (les jeunes, l'émergence des minorités qui revendiquent, les violences policières) sont dans l'air du temps... Poussé entre autres par son label, il écume les plateaux télé pour en parler (Antenne 2, TF1, FR3, M6). "Tonton David est le premier artiste rasta à apparaître sur le petit écran. Il y avait peu de personnalités noires mises en avant, à cette époque", explique Alexandre Grondeau.
Tonton David, un symbole médiatique
Pour raconter l’histoire "de cet artiste estimé caracolant en tête du top 50", l’auteur, universitaire spécialiste des territoires et de l’underground, et surtout créateur en 1998 du site en ligne reggae.fr, a puisé dans les archives de son média. Il a visionné des centaines d’heures d’émission de variétés à l’INA. Puis, pendant un an, s’est entretenu avec des dizaines de ses proches (dont Erick Siar, le producteur). Et l’on découvre alors qu’il fut "un leader, un tonton, mi-flingueur, une personnalité parmi les préférées des Français."
Il en a fait du chemin, le jeune David. Élevé à l’école de la rue, passé par la case prison, on l'a dit, il rencontre le succès rapidement avec Peuples du monde. Tonton David raconte : "Peuples du monde est ma première chanson produite dans un gros studio et j’étais conscient que cela aurait pu être la dernière pour moi. J’y ai donc mis toutes mes idées, tout ce que j’avais envie de dire." Il précise plus loin : "Le refrain, faut comprendre que c’est des mots d’un leader jamaïcain qui était aussi journaliste, Marcus Garvey. Issus d’un peuple qui a beaucoup souffert, nous sommes issus d’un peuple qui ne veut plus souffrir."
Le clip, réalisé par un jeune réalisateur débutant, un certain Mathieu Kassovitz, séduit M6 qui le met en avant comme la jeune chaine l’a rarement fait auparavant. La carrière de David est lancée. Il devient la coqueluche des médias. C’est aussi "le début de la fin de l’invisibilisation de toute une partie de la population française qui se retrouve dans les paroles, les musiques et le succès de Tonton David." Les autres artistes ne sont pas en reste : France Gall, Etienne Daho l’invitent pour des duos dans l'émission Taratata.
"Chacun sa route, chacun son chemin"
Puis c’est au tour de Thierry Lhermitte de le solliciter pour son prochain film Un Indien dans la ville. Manu Katché et Jean-Claude Naimro, le clavier de Kassav’, supervisent la bande originale. Quand Tonton David arrive avec Chacun sa route, chacun son chemin, il met tout le monde d’accord. "Le producteur-acteur et ses associés sur le projet sont surexcités. Ils ont compris que David vient de leur offrir un tube, une locomotive commerciale…" Le film est un succès et le single se vendra à plus de 350.000 exemplaires et deviendra disque de diamant.
Mais après cette décennie de succès, le vent tourne : l’arrivée du numérique bouleverse l’industrie musicale. Le reggae à la française ne fait plus recette. Et les albums de Tonton David ne se vendent plus. En outre, ses relations avec sa maison de disques se détériorent. Elle ne l’aidera pas quand il aura des problèmes avec le fisc. Alors que dans la même situation, Florent Pagny et Johnny Hallyday seront soutenus, eux, par leur label.
Sans expliquer cette différence de traitement, Alexandre Grondeau donne sa grille de lecture. "Il est certain que l’industrie du disque va mettre un certain temps à appréhender des artistes qu’elle ne comprend pas, qu’elle n’arrive pas à gérer. De surcroit, elle se retrouve face à des artistes rebelles issus de quartiers populaires aux revendications fortes. Et pour le coup, elle n’est absolument pas préparée à ça". Le pouvoir de l’argent fait quand même qu’elle va vite s’adapter.
En découvrant la générosité de Tonton David, son acharnement au travail, sa positivité malgré les galères, on pourrait le prendre pour une victime d’une industrie ingrate qui l’aurait rejeté dès lors qu’il n’était plus rentable. L’auteur renverse les données de l’équation. "La probabilité, pour qu’un jeune qui a connu la rue, la drogue, la misère, devienne une star de la musique et du petit écran, était proche de zéro. Tonton David l’a fait. C’est sa destinée qui est une anomalie."
Un sixième album
Parti vivre en Moselle, Tonton David peaufinait son sixième album. Qui de l’avis de beaucoup était de bonne facture. Un job ou un biz (dix titres) était censé lui permettre de se renflouer financièrement. Une tournée était prévue pour 2020. Malheureusement, le 17 mars de cette même année, Emmanuel Macron annonce le confinement pour cause de Covid. Le pays est à l’arrêt, les projets de David tombent à l’eau. Il n’aura jamais l’occasion de les reprendre. En février 2021, il s’écroule sur le quai en gare de Metz, victime d’un AVC.
L’annonce de sa disparition suscite un grand élan de sympathie. Parmi les célébrités : Omar Sy, Princess Erika, Jamel Debbouze, Akhenathon et IAM, Gims et bien d’autres encore. C’est son fils ainé, soutenu par des proches de son père, qui devrait sortir, à titre posthume, le dernier album de celui qui a fait tant pour la reconnaissance des musiques urbaines.