"Un niveau de couverture vaccinale très inquiétant" : un pédiatre alerte sur le risque d'épidémie de rougeole en Outre-mer

En 2017, seulement 67,7% des enfants guyanais ont reçu les deux doses vaccinales contre la rougeole.
La France fait face à une recrudescence de la rougeole. Le professeur Robert Cohen est très inquiet quant au risque de propagation dans les Outre-mer du fait d'une population insuffisamment vaccinée. Car la maladie peut entraîner des complications dans 1 à 5% des cas, voire une issue fatale.

Va-t-on vers une épidémie de la rougeole dans les Outre-mer ? C'est ce que craint le professeur Robert Cohen. Le pédiatre et infectiologue, qui revient de Guyane, suit de près la recrudescence de la maladie dans le monde. Il répond aux questions d'Outre-mer la 1ère.

 

Outre-mer la 1ère : Quelle est la situation aujourd'hui de cette épidémie de de rougeole, et en Outre-mer en particulier ?

Pr Robert Cohen : A ma connaissance, il n'y a pas de cas de rougeole en Outre-mer aujourd'hui. Mais il y a des cas de rougeole un petit peu partout, notamment aux États-Unis, notamment au Maroc, mais aussi dans beaucoup d'autres pays.

On sait que si le virus arrive, il ne peut que se développer parce que c'est le virus le plus contagieux que l'on connaisse, il a la capacité de rester dans l'air pendant plusieurs heures. Les masques, les mesures d'hygiène à distance sont nécessaires mais insuffisants pour la rougeole. Il n'y a aucun autre moyen d'arrêter les épidémies de rougeole que la vaccination.

Or, il se trouve que les couvertures vaccinales ne sont pas bonnes d'une façon générale dans les départements, territoires et régions d'Outre-mer et particulièrement en Guyane - j'étais il y a quelques semaines encore en Guyane où le niveau de couverture vaccinale est particulièrement inquiétant.

Ce qui fait que si le virus de la rougeole arrive (ce qui ne va pas manquer vu les relations avec l'Hexagone et les relations de la métropole avec le Maroc), on sera dans une situation catastrophique parce que rien ne pourra arrêter la diffusion du virus si on n'a pas des couvertures vaccinales très élevées.

 

Pourquoi, selon vous, la couverture vaccinale n'est pas au point en Outre-mer ?

Déjà, il faut qu'il y ait assez de monde. Si je prends l'exemple de la Guyane, comme le nombre de médecins de PMI (Protection maternelle et infantile, NDLR] a beaucoup diminué, les infirmières et les puéricultrices avaient arrêté de vacciner sans médecin. Donc ça c'est un vrai problème.

Il faut que ces gens soient autorisés à vacciner. Enfin, il faut qu'il y ait une population qui ne soit pas opposée à la vaccination. Le COVID a, en particulier dans les îles, abouti à ce qu'il y ait une certaine réticence à la vaccination.

 

Les services médicaux en Outre-mer sont-ils prêts selon vous pour faire face à cette épidémie potentielle ?

Pour l'instant, les services médicaux n'arrivent pas à vacciner une partie suffisante de la population. Donc il faut vraiment qu'il y ait un effort considérable pour vacciner les petits enfants contre la rougeole, mais aussi ceux qui sont un peu plus grands et ceux qui n'ont pas reçu deux doses de vaccin.

La vaccination contre la rougeole est obligatoire chez les nourrissons, pour les professionnels de santé. Mais ce n'est pas parce qu'elle est obligatoire qu'on arrive à obtenir des taux de couverture élevés en Outre-mer, parce qu'il y a des gens qui passent à travers les mailles du filet et il y a aussi de temps en temps, comme en Guyane, un système de santé qui est débordé ou qui n'arrive pas à obtenir les couvertures vaccinales que l'on devrait obtenir avec ce type de vaccin.

On estime que pour contrôler une épidémie de rougeole, c'est à dire pour que la rougeole ne s'étende pas dans un pays, il faut que 95% de la population ait reçu deux doses. Dans l'Hexagone, on est à un petit peu plus de 90%, un taux qui n'est pas mauvais, et malgré ça, on a une centaine de cas.

Pour les Outre-mer, il y a des chiffres publiés par Santé publique France pour 2023 qui disent que les couvertures ne sont pas bonnes mais qui n'ont pas de vision précise chez les nourrissons. Lors de ma visite, j'ai vu qu'on était loin du compte.

 

Pouvez-vous nous rappeler les dangers de la rougeole ?

La rougeole, avant la vaccination, était une maladie qui touchait toute la populationLe problème c'est qu'il y a un pourcentage qui est estimé entre 1% et 5% de gens qui vont faire des complications graves et une partie d'entre eux va décéder. 5% [de complications sur 700.000 naissances par an] comme on a en France, ça fait plusieurs dizaines de milliers d'hospitalisations et plusieurs centaines de décès.

Donc même si c'est une maladie qui peut toucher tout le monde et que la majorité va en guérir, comme elle est très contagieuse, le résultat final peut être une catastrophe si les couvertures vaccinales ne sont pas élevées. Et mon inquiétude vient de ça, de savoir que les couvertures vaccinales sont pas celles qui sont observées en métropole.