Vendée Globe : Damien Seguin ou l’art de la résilience du marin guadeloupéen

Toute l'émotion de Damien saisie en un instant
C’est une image si rare venant de lui. Damien Seguin nous a habitués à tant de scènes de joie démonstratives à l’arrivée de ses courses. Le voir s’agenouiller, une fois la ligne d'arrivée franchie, sur le pont de son bateau et prendre sa tête entre les mains est le symbole de tout ce qu'il a enduré pendant ce Vendée Globe.

Damien Seguin adore communier avec ses fans, adore parler aux journalistes. 84 jours et un peu plus [précisément 84 jours, 20 h 31 min et 16 sec, NDLR] autour de la planète n’ont pas changé le bonhomme. Il ne le montre pas, toujours sourire aux lèvres, mais il a souffert.

"Je crois que je vieillis" nous confie-t-il sur le ponton d’honneur avec un rire malicieux. "Ce n’était pas une course comme les autres. Autant dans la difficulté physique, psychologique ou sportive, je n’ai jamais vécu une course ainsi et je n’ai pas honte de dire que ça a été dur. Alors j’ai laissé les émotions parler."

Damien et Cie

Très vite pourtant le naturel revient au galop, Il embrasse sa femme Tifenn, son fils Ethan est rentré avec lui au port tout sourire, une torche marine fumigène dans sa main droite, son père en portant une autre dans la main gauche. Tifenn est là aussi discrète, mais présente comme Marjanne sa fille. Les deux femmes de sa vie, ont soutenu le mari et encouragé le papa.

Damien retrouve le sourire malgré tout

Ses parents sont arrivés de Guadeloupe. Son père Gilles raconte : "On a vécu un premier Vendée Globe euphorique, et un deuxième basé sur la crainte, la frustration. Les deux derniers jours, on a retrouvé du grand Damien de compétition qui se battait près de l’arrivée."

Depuis plus de 20 ans Damien en a battu et laissé derrière lui des marins de renom. Mais jamais vraiment seul,  il a toujours su s’entourer des bonnes personnes comme son équipe technique remarquable." Mon équipe autour de Jean-Charles et de Guillaume, m’a mis entre les mains un bateau extraordinaire. Parfois, j'avais un peu honte de moi et j’ai continué pour donner un sens à tout ça. J’avais 1000 raisons d’abandonner et de continuer, quand on est dans la difficulté, il faut aller chercher au plus profond de soi-même. Le compétiteur que je suis a tenu le coup. On n’est pas sur un terrain de foot, décider de sortir et de rentrer aux vestiaires aussi facilement. Le bord du terrain, il est très loin."

La Team Seguin, Marie, Damien, Timothée, Téophile, Guilaume, Yves-Marie et Jean Charles

 

Ce Vendée Globe a été un combat contre moi et les éléments, j’étais dans la difficulté. Passer cette ligne a été une délivrance. C’est la première fois que je profitais d’un moment positif sur cette course et ça fait vraiment du bien

Damien Seguin, skipper Groupe Apicil

Profiter avec ses fans

Sur le ponton, Damien peut enfin communier avec ses fans, de jeunes handicapés venus de l’IME la Guérinière d’Olonne-sur-Mer ont les yeux grands ouverts : Clément, Taron, Lola, Mathis, Ethann, Eliot, Martin, Noa, Mathys, Lucas et Juliette. Ils ont bénéficié d’une initiation voile financée par l’association qu’a créée Damien il y a vingt ans,"Des Pieds et Des Mains".

L’insertion des jeunes handicapés par la voile est un combat qui ne cessera jamais pour Damien, car c’est celui qu’il a mené au début de sa carrière de navigateur, être un marin parmi d’autres, être comme les autres. Juliette pose avec son héros devant l’objectif de Jean-Marie, un autre complice doué de la "bande à Damien". Elle a des étoiles plein les yeux. Les autres acclament Damien.

Juliette et son héros

Puis le survivant de l’Atlantique devient une rock star. Il adore les caméras. Peut-être présentera-t-il un show télévisé un jour. Quand il monte vers le podium, c’est au son d’une musique symbole "dont stop me now" de Freddie Mercury [ne m’arrête pas maintenant, NDLR].

Sur le podium, il sait comment faire micro à la main, Il n’est pas en campagne électorale, mais quand Damien parle, ça porte.

Damien et ses bons mots

Dernier stop obligatoire avant un moment de repos, la conférence de presse sous un chapiteau jouxtant les pontons. Damien se livre davantage, et sait manier les mots.

On peut faire deux fois le tour de la planète, la seule chose en commun est qu’elle est toujours ronde, mais que tout le reste peut être différent. Cette 15ᵉ place est très jolie et je la prends.

Damien Seguin, skipper Groupe Apicil

Moment d’émotion quand il évoque Yoan Richomme, le 2ᵉ de la course qui à son arrivée avait remercié Damien de l’avoir lancé dans sa première transat. "C’est mon Yoyo et je suis son Dada, il y a des amitiés comme ça qui ne s’inventent pas et qui ne sont pas galvaudées, il a toujours été dans tous mes projets. On est profondément copains, on a du respect l’un pour l’autre. Voir sa performance et ça m’a porté et je suis fier de lui"

Yoann Richomme qui ne l'oublie pas non plus :" Je me souviens de ma première Transat avec lui en 2011, j’ai pu l’accompagner dans ses courses, avec des moments qui m’ont aidé et ouvert la porte pour ce que je fais désormais. C'était douloureux de le voir souffrir cette année, mais il s'est battu admirablement bien, et je sais ce que c'est de naviguer quand la tête n'est pas là, c'est un exercice compliqué. Il a trouvé la résilience de terminer et j'en suis admiratif."

 À la question, avez-vous été heureux sur ce Vendée Globe, il répond :  "Il y a eu quelques petits bonheurs, j’ai aussi la chance de pouvoir faire ce sport-là, d’avoir un sponsor qui m’a suivi lors de deux éditions de Vendée Globe, la vague rouge a toujours été avec moi, c'est super"

Quels sont les projets de Damien ? Lui seul le sait désormais

Car c’est vrai, l’aventure avec le bateau rouge va s’arrêter après huit ans de partage, mais tous les membres de la "vague rouge", désormais vouée au rugby et a son équipe de France, veulent profiter des derniers moments avec leur skipper. Leur marin pas comme les autres ?

Non, un marin comme les autres, qui souhaite repartir, rebondir vite. On n’arrête pas Damien maintenant, on le freine juste, dans sa tête, il est prêt.

C’est la fin de quelque chose, je suis un passionné de mon sport et un vrai compétiteur, j’ai encore faim et envie de faire de belles choses sur l’eau, je vais prendre le temps de réfléchir. Quand on est passionné on ne peut pas s’arrêter et je trouverai bien une façon de naviguer.  

Damien Seguin, skipper Groupe Apicil

C’est le Damien qu’on aime, qu’on suit depuis si longtemps. Deux titres paralympiques, quatre routes du Rhum, Quatre transats Jacques Vabre, deux Vendée Globe. Jusqu’où ira-t-il ? Est-il capable de dompter un géant des mers, un maxitrimaran ?  "J’aimerais aller sur la lune" avait-il dit un jour après une semaine olympique de voile à Hyères. Rien ne l’arrête !

Ah si la faim peut-être, il ne faut pas rigoler avec ça ! Damien, qui a toujours eu un bon coup de fourchette, a juste envie de manger une vache et des patates. Il est bientôt midi aux Sables. En Guadeloupe, le jour vient de se lever, là-bas où il a tout appris, au cercle sportif du Bas-du-Fort à Gosier et où vivent beaucoup de ses supporters. Il se retourne et nous dit en guise d'au revoir : "J’ai juste envie de prendre soin de moi, prendre soin du bonhomme, je saurai rebondir. À bientôt à Lorient !"