"Avec des suppositions, on peut placer quelqu’un en garde-à-vue. Avec des suppositions, on peut le déférer en comparution immédiate. Mais avec des suppositions, votre tribunal ne peut pas le condamner." À 23 h, lundi 27 janvier, l’avocate de Neel Benth, Océanne Etievant, qui a attendu tout l’après-midi que son client passe enfin devant les juges, est remontée face à ce qu’elle considère être un dossier presque vide. Sur quelles bases la justice française condamnerait-elle ce jeune homme de 25 ans sans antécédents judiciaires ? "Sur la base d’une photographie ? Vraiment ?"
Oui, vraiment. Il faut dire que le cas du Guyanais est délicat. Né à Cayenne, espoir du basket guyanais et français, bientôt papa, cet homme d’une taille hallucinante n’est pas le profil type d’une mule. Il est bien inséré dans la société, brille dans ce qu’il fait, entraîne même les U15 de son club, l’ASC Tours, pour préparer la future génération de basketteurs guyanais...
D’un autre côté, il a joué un rôle dans l’importation de drogue entre l’Amérique latine et la France hexagonale, fléau français dont les pouvoirs publics peinent à limiter la croissance. De plus en plus, les Antilles-Guyane sont la porte d’entrée de la cocaïne en France. Les politiques, et en particulier Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et Gérald Darmanin, ministre de la Justice et ancien locataire de Beauvau, en ont fait leur priorité.
Mais Neel Benth est-il vraiment un narcotrafiquant à envoyer derrière les barreaux ? "On ne peut pas attraper les commanditaires, donc ce sont les mules qui vont trinquer", regrette son avocate.
"Je suis déçu de moi-même"
La chute dramatique du jeune homme commence il y a quelques semaines, lors d’un match amical en Guyane. Alors que l’ASC Tours est pressenti pour se qualifier au tour supérieur de la Coupe de France, le grand gaillard est approché par un groupe de personnes qui lui proposent de convoyer des ovules vers l’Hexagone en échange d’argent. Enfin, proposer... Imposer, plutôt, plaide-t-il. Le Cayennais reçoit des pressions. On menace de s’en prendre à sa sœur, à son frère…
Je suis déçu de moi-même. J’aurais jamais dû faire ça. J’aurais dû avertir les autorités.
Neel Benth, basketteur de l'ASC Tours
Mais le jeune homme l’assure : il ne savait pas ce qu’il transportait, ni quelle quantité. Il a simplement incorporé 15 ovules dans son anus. Il ne savait même pas combien d’argent il allait gagner. "Vous savez, en Guyane, on ne peut pas dire non", témoigne le beau-père du prévenu, que l’avocate a cité dans sa plaidoirie.
La semaine dernière, à son départ vers l'Hexagone, Neel Benth parvient à passer à travers les contrôles de la douane à l’aéroport Félix Éboué. Arrivés en région parisienne, lui et ses coéquipiers logent dans un hôtel des Hauts-de-Seine, à Chaville. C’est là-bas que ses ennuis judiciaires commencent.
Dans sa chambre d'hôtel, il expulse les ovules de son corps et les met dans la poubelle, excréments compris. En venant faire le ménage, une employée de l’établissement tombe alors sur les ovules. Elle prend une photo qu’elle montre à son directeur. La police est appelée. Les deux occupants de la chambre, dont Neel, sont embarqués et placés en garde à vue. Entretemps, il s’est débarrassé du sac-poubelle rempli d'ovules.
Les excuses
Devant les enquêteurs, l’espoir du basket reconnaît le transport de drogue. Mais personne n’a été rechercher le sac-poubelle avec les ovules. Personne n’a donc mis la main sur la drogue. Personne ne sait s’il s’agit vraiment de cocaïne, ni quelle quantité a été acheminée.
Grand et fin, droit dans le box, la mine abattue et la voix timide, Neel Benth reconnaît ses erreurs devant le président du tribunal. Et s’excuse. Auprès des enquêteurs pour leur avoir menti avant de dire la vérité. Au personnel de l’hôtel, pour le désagrément de la découverte fécale. Et surtout à ses coéquipiers, avec qui il n’a pas pu jouer lors du match de Coupe de France samedi (que l’ASC Tours a d’ailleurs perdu).
Il sait que son destin peut basculer. "Les trois jours de garde-à-vue m’ont montré que je ne suis pas fait pour cette vie-là", dit-il au tribunal avant que les juges ne se retirent pour délibérer.
En écho à la politique répressive contre le trafic de stupéfiants voulue par le gouvernement, le ministère public requiert deux ans d’emprisonnement. Le tribunal de Nanterre se montre plus clément : Neel Benth est condamné à un an de prison ferme qu'il effectuera sous bracelet électronique chez lui, en Guyane. Il repart du tribunal libre. Avec, tout de même, le poids d'une telle condamnation.