Pour Valérie Bry, tout commence par un premier départ à l’âge de 18 ans. Comme de nombreux bacheliers de sa génération, elle s’envole pour la métropole. Direction Nantes en 2005 afin d’y préparer des concours pour travailler dans le monde de l’éducation ou de la santé. “J’avais toujours voulu travailler avec les enfants, mais sans savoir quoi faire exactement, alors j'ai tenté ma chance”, se souvient-elle 18 ans plus tard.
En parallèle de ses études, Valérie passe d’ailleurs son BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) tout en multipliant les expériences de baby-sitting dans plusieurs familles de l’archipel.
Un déclic à l'hôpital
Deux ans plus tard, la jeune femme intégre finalement une école d’auxiliaire de puériculture à Paris où elle ne tarde pas à découvrir la vie professionnelle dans un grand service de réanimation pédiatrique à la maternité de Port-Royal. “C’est là que j’ai eu le déclic. Je me suis sentie à ma place et épanouie”, nous dit-elle avant d’enchaîner sur “le plus beau stage" de sa vie, une expérience à l’hôpital Necker-Enfants malades. “C’est là qu’une infirmière m’a dit, "ne t’arrêtes pas et tentes le concours", c’était déjà évident pour moi”.
Acceptée dans une école d’infirmière à Tours, Valérie n’abandonne pas pour autant son autre formation. Gérer deux diplômes en même temps ne lui fait pas peur, et d’ailleurs, quand elle rentre en vacances l’été à Saint-Pierre, c’est aussi pour y travailler à la maternité.
Retour dans l’archipel
Mais à Tours, un autre événement va influencer son parcours. Elle y retrouve Yorick Hélène, son “amour d’enfance depuis l’âge de 14 ans”. Si chacun suivait jusque-là sa route et ses études de son côté, les deux tourtereaux vont décider à l’issue de la formation de Valérie de convoler vers leur terre natale pour s’y installer. “Quand j’ai été diplômée, on ne s’imaginait pas ailleurs qu’à Saint-Pierre et Miquelon”, se souvient-elle.
Au début, tout se passe à merveille pour eux sur une route qui semble tracée. Une maison face à la mer à Savoyard, un emploi à Air Saint-Pierre pour Yorick qui avait fait des études pour devenir pilote de ligne et un travail au centre de santé pour Valérie qui obtient son premier CDI. Le couple a même acheté un terrain au cap Noir où il envisage de construire quand Valérie tombe enceinte de son premier enfant.
Remise en question
Sauf que deux mois après, son compagnon apprend son licenciement à la suite de la suppression d’un poste dans la compagnie locale, celui de copilote sur le Cessna F406. “Là, ça a été le drame”, nous avoue-t-elle. “J'étais enceinte de deux mois et pour nous tout était classé, budgété, organisé avec nos travaux qui devaient commencer. Là, tout était remis en question”. Sans autre perspective professionnelle, Yorick commence alors à travailler dans le bâtiment pour répondre à l’arrivée prochaine de leur fille Alice en 2013.
“Il avait beau postuler dans toutes les compagnies aériennes à cette époque, c’était la crise de l’aéronautique et toutes les portes étaient fermées pour lui”, nous explique Valérie qui voit alors son conjoint très affecté moralement de ne pouvoir exercer son métier.
Mais un jour son téléphone sonne. “Je l’entends encore répondre "oui, je peux être là d’ici deux jours pour commencer"”, se souvient-elle. C’était HOP, la filière d’Air France qui lui proposait un contrat de six mois à signer au plus vite en métropole. “Est-ce que tu me laisses partir ?”, lui demande-t-il. “Oui, bien sûr”, lui répond Valérie. “Il avait ce métier là dans les tripes avec la volonté de marcher sur les traces de son père. C’était son épanouissement personnel qui était en jeu”, explique-t-elle.
“Il m’a demandé de lui promettre de le rejoindre au plus vite, et c’est ce que j’ai fait”
Un mois plus tard, Valérie avait vidé l’intégralité de leur maison pour tout stocker dans le grenier de sa mère avant de rejoindre Yorick à Paris en compagnie de sa fille âgée à peine d’un mois et demi. Ce choix, elle le fait alors par amour, car au fond d’elle, elle ne voulait pas quitter Saint-Pierre et son métier dans lequel elle s’épanouissait pleinement.
“C’était une belle aventure, mais on manquait de perspectives et d'énergie moralement à certaines périodes pour accuser tout ça”, se livre-t-elle. “Finalement, même si ça a été très dur, ça nous a rapprochés et même unis, il m’a demandé en mariage”, sourit Valérie qui, bien sûr, a dit oui.
Si on m’avait dit que je viendrais m’installer un jour en métropole, j’aurais dit non, c’est inimaginable, impossible. Aujourd'hui, je dirais que la vie est pleine de surprises.
Valérie Bry, épouse Hélène
Changement de rythme
Installés à La Rochelle depuis 2014, ces mariés ont aujourd’hui la chance d'exercer des métiers qui leur tiennent à cœur. Après avoir été infirmière libérale puis infirmière en laboratoire, la jeune femme est aujourd’hui devenue infirmière scolaire non loin de chez elle avec des horaires plus adaptés pour passer du temps avec ses deux enfants. “Avant la naissance d’Arthur, il m’arrivait de commencer à 6h30 le matin pour finir à 21h. Ça demandait une logistique nounou importante et on a fini par se dire qu'on n'avait pas fait des enfants pour les faire garder”, analyse-t-elle avec le recul.
Car dans le même temps, Yorick aussi exerce un travail très prenant qui l’éloigne de la maison. Après avoir obtenu son premier CDI chez HOP, il intègre la maison mère d’Air France et pilote des Boeing triple 7 aux quatre coins du monde. Chaque semaine, son rythme change et l’emmène hors de la maison pour plusieurs jours. Il peut ainsi voler vers les Antilles ou les États-Unis tout comme vers la Corée du Sud ou le Japon. “Ça change tellement tout le temps que des fois quand on me demande où il se trouve, je ne sais pas quoi répondre et je dois vérifier dans mes notes”, s’amuse Valérie qui a aussi vu son mari ralentir en demandant un poste à temps partiel qui ne l’éloigne désormais de la maison que 13 jours par mois.
On a enfin trouvé notre équilibre. On sentait bien qu’on commençait à s'essouffler à passer tous les deux autant de temps au travail
Valérie Bry, épouse Hélène
Les voyages forment la jeunesse
Mais avant de trouver ce nouveau rythme, Valérie et Yorick avaient déjà pris l’habitude dès que possible de faire voyager leurs enfants. Road trip en Afrique du Sud, découverte de la côte ouest américaine en camping-car, voyage au Portugal, en Espagne, en Angleterre, en Italie, sans oublier le Sri Lanka ou encore le Japon.
“On bouge énormément”, explique une maman très attachée à ouvrir sa progéniture sur le monde en découvrant “d’autres manières de vivre et d’autres valeurs. Nous allons d’ailleurs le plus possible chez l’habitant et même dans les écoles pour leur montrer comment grandissent les autres enfants”, explique-t-elle à l’aube d’un prochain déplacement qui les conduiront au Vietnam cette fois-ci.
Peut-être de quoi influencer leur fille Alice qui à 10 ans rêve déjà de devenir hôtesse de l’air et que son père entraîne parfois dans le cockpit au cours de ses déplacements.
Mais malgré cette vie de globe-trotters, la famille Hélène n’a jamais oublié d’où elle venait, bien au contraire.
Le cocon de l’anse aux Soldats
“Tous les ans, on n'échappe pas à la règle, on se ressource à l’anse aux Soldats”, ajoute fièrement Valérie. Chaque été, leur nouvelle organisation leur permet désormais de prendre six semaines de vacances au calme dans l’archipel et plus particulièrement dans cette petite crique de Langlade où se trouvent à peine quatre maisons.
“C’est là où mon beau père passait énormément de temps et là où Yorick a grandi. Marcel nous a transmis ses passions et on ne s’y ennuie jamais entre la pêche, la plongée, la cueillette, la randonnée, la plage, la construction de cabanes à la montagne ou la visite de nos amis”, qui savent désormais bien où les retrouver chaque été.
On peut vivre d’autres expériences tout en restant attaché au caillou. On peut vivre des choses à l’extérieur tout en rentrant
Valérie Bry, épouse Hélène
Les amis, la famille et l’anse aux Soldats, c’est ce qui manque le plus à Valérie quand elle se retrouve de l’autre côté de l’océan, “sans oublier les courtes distances et la simplicité administrative”, ajoute-t-elle en souriant.
“Pour moi, c'est toujours très beau, on se sent toujours à notre place, toujours chez nous”, répond-elle quand on lui demande si l’archipel a changé depuis son départ. “C’est toujours une chance de grandir à Saint-Pierre et Miquelon", précise-t-elle en faisant référence aux élèves qu'elle croise dans son établissement en Charente-Maritime "avec un planning plus contraignant et moins de liberté".
Certains passeraient d'ailleurs trop de temps sur les réseaux sociaux à écouter les influenceurs, ce qui a le don de l'agacer. "J'essaye toujours de militer en leur disant de ne pas s'identifier à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas. Il leur faut plutôt aller vivre leurs propres expériences pour aller découvrir leur propre bulle de bonheur", philosophe-t-elle émue de se battre dans un monde qui, selon elle, nous empêche parfois de rêver.
En plus, tu n'as rien à perdre à essayer, soit tu gagnes, soit tu apprends
Valérie Bry, épouse Hélène
Ce message, la jeune femme et sa famille le transmettent aussi aux étudiants miquelonnais ou saint-pierrais qui passent par La Rochelle, et à qui ils proposent souvent de garder leurs affaires lors des échanges d'appartements assez courant chaque été. "Certains sont même déjà venus passer Noël à la maison", ajoute Valérie qui est devenue depuis conseillère municipale dans son village de L'Houmeau, en charge notamment de la politique enfance et jeunesse. Rien de surprenant pour cette infatiguable optimiste prête à tout pour aider et faire grandir ses enfants, comme ceux du monde entier.