Être adolescentes et LGBT à Saint-Pierre-et-Miquelon : "le plus difficile ? Être soi-même"

Elles n'ont pas envie de se mettre dans des cases, encore moins de devoir rendre des comptes. Trois adolescentes racontent leur quotidien, à l’école, en famille, mais aussi dans la rue. Elles ont voulu prendre la parole, pour essayer de faire évoluer les mentalités.

Elles ont choisi de venir à la rédaction de Saint-Pierre et Miquelon la 1ère un samedi matin. Elles ont monté les marches, déterminées et heureuses de pouvoir discuter et de s’ouvrir un peu : “nous, de toutes façons, on s’assume”, expliquent-elles. Pour cet entretien, nous avons changé leurs prénoms. Nous les appellerons Logan, Julie et Flavie. Toutes trois sont âgées d'une quinzaine d'années et pendant plus d’une heure, elles nous ont expliqué comment elles vivent en étant LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) à Saint-Pierre-et-Miquelon, sur un archipel de 6 000 habitants, avec tous les inconvénients que cela comporte.
 

Un coming out difficile


L’une des trois commence et plante le décor : “quand maman l’a su, elle a arrêté de me parler. Le lendemain, je n’existais plus. J’ai la chance de m’appuyer sur mes amies”."Et sur les parents de tes amies”, claironnent les autres. Elles l’entourent et lui serrent les mains en guise de soutien. Une autre nuance : “les miens sont beaucoup plus ouverts d’esprit.” La dernière termine : “moi, je lui ai envoyé une vidéo et elle m’a répondu "arrête tes bêtises", elle a rigolé, puis j’ai appelé mes grands-parents. Mon papi m’a dit que ce n’était pas possible de savoir à l’âge que j’ai, et ma mamie a dit que c’était une crise d’ado”, regrette Julie.
 

Un contexte compliqué


Des anecdotes, des railleries ou encore des moqueries, ces trois adolescentes en ont pléthore. Et la promiscuité n'arrange rien. Le dernier événement en date ? “ Pas plus tard qu’hier soir”. Alors qu’elles se promenaient, elles croisent des jeunes de leur établissement scolaire. L’un deux les interpelle, le ton monte, et il crie “sale gouine”. La réponse fuse, dans un hurlement : “Ta gueule !”

Pour ces trois adolescentes, le climat dans le lycée et le collège n’est pas du tout propice à l’épanouissement personnel, et encore moins au fait de s’assumer : “les gens parlent de nous mais cela ne m’intéresse pas. Ça veut dire qu'ils n'ont clairement pas de vie”, relève Logan.

“Les gens parlent de nous… Mais cela ne m’intéresse pas. Ça veut dire qu'ils n'ont clairement pas de vie” relève Logan.

 

 

Comment faire pour se construire ?


Face aux moqueries, comment faire pour avancer, se construire et grandir ? “Les trucs douloureux, on se les dit entre nous. Ça nous aide beaucoup.” Faire confiance à un adulte, se confier à un psychologue ? Ce n'est pas trop leur tasse de thé : “c’est compliqué face à quelqu’un que l’on ne connaît pas”, répond Flavie.

Toutes expriment leur envie d’avancer, d’évoluer, de s’appuyer sur les amis avant tout et de ne surtout pas se mettre “dans des cases”. “Le plus difficile dans le coming out, c’est de le faire à soi-même, c’est le premier. Après suivent la famille, les proches, relève Flavie. Tu dis pas à tes parents : je suis hétéro, ça paraît une évidence. Pourquoi nous, on devrait se justifier?” 

Les réseaux sociaux les aident à sortir de l’ambiance insulaire, elles y partagent leurs doutes et leurs peines : ” j’ai rencontré des gens par ce biais-là, on se dit plein de trucs sur nos vies, ça nous aide. C’est comme si on se connaissait depuis longtemps”, explique Logan. Ce canal de communication permet aussi d’avoir des informations “dont personne ne parle”, et de s’appuyer aussi sur des témoignages ou encore de consolider des connaissances.
 

Se permettre de rêver... Elles le font à travers la musique

 


Se permettre de rêver


À leurs âges, les rêves sont encore permis, la musique complète l’évasion. Pour deux d’entre elles, c’est une véritable nécessité : “Lomepal m’a sauvée la vie, se souvient Flavie, ses textes m’ont vraiment aidée". “Moi, c’est Lil Peep ou Fauve” complète Logan. “Et moi j’écoute ce qu’elles écoutent” rit Julie. Les textes font ressortir des blessures, mais aussi des histoires dans lesquelles les jeunes se reconnaissent. Parfois, elles essayent de fuir l’ennui en allant marcher dans la montagne, la musique à fond. “Qu’est-ce qu’on a gueulé la dernière fois, c’était très drôle” ironisent-t-elles.

Plus globalement, leurs jeune âge ne leur permet pas encore de faire tout ce qu’elles veulent. Mais elles ont déjà un objectif bien précis : participer à une pride. Quand elles évoquent cet événement, leurs yeux brillent, émerveillés : “C’est toute la communauté qui se regroupe, c’est joyeux, c’est un moment où tu te retrouves avec les mêmes personnes que toi. Tu te sens moins seule.” Quels sont leurs rêves? Leurs aspirations ? La réponse est sobre, mais unanime : “avoir un drapeau arc-en-ciel dans ma chambre”.
 

Une envie d’ouverture


Au-delà de leur ras-le-bol collectif, ce groupe a envie de s’investir, de créer une association dans le lycée, d’avoir un endroit pour se retrouver et discuter : “les gens peuvent avoir des questions, et puis certains ne s’assument pas du tout”. Le regard des lycéens et des collégiens semble avoir quelque peu évolué au fil des mois, “ils nous dévisagent un peu moins”. Les trois ados admettent que l’état d’esprit à Saint-Pierre-et-Miquelon évolue doucement. “Il y a un peu plus de gens ouverts d’esprit qu’avant.”

Au bout d’une heure d’échanges, la conclusion fuse “il faut qu’on soit fières de nous-mêmes et prendre soin de soi. Peu importe qu’on soit LGBT ou pas, ça ne change pas la personne que l’on est.” Elles repartent comme elles sont venues : fières et déterminées à essayer de faire bouger les lignes.  
 

"Il faut qu’on soit fières de nous-mêmes et prendre soin de soi. Peu importe qu’on soit LGBT ou pas, ça ne change pas la personne que l’on est.”

 

 

Pour aller plus loin

Clémence Zamora-Cruz, porte-parole Inter-LGBT, et Omar Didi, président de Mag, ont accepté de répondre aux questions de Saint-Pierre et Miquelon la 1ère.

Clémence Zamora-Cruz est arrivée en France en 1996 pour fuir le Mexique, l’un des trois pays au monde le plus meurtrier à l’encontre des personnes transexuelles. Elle a effectué son coming out à l'âge de six ans et a fait de la lutte contre les discriminations son combat. Omar Didi est président de Mag, une structure qui a pour objectif de sortir les jeunes de l’isolement. Il a notamment créé les premières antennes de l’association en régions. 

SPM la 1ère : Quelle est votre première réaction à la lecture de ces témoignages ? 

Clémence Zamora-Cruz :
Ces témoignages sont très forts, malgré la difficulté, ces adolescentes expriment leur détermination à se faire respecter et à faire respecter leurs orientations sexuelles. On peut parler dans la communauté d’“empowerment”, c'est-à-dire que cela peut donner de la force à d’autres personnes. L’homosexualité est aussi normale que l’hétérosexualité, ce n’est pas une question de maturité… 

Omar Didi : À mon sens, cela reste des témoignages que l’on voit de manière assez régulière aussi dans l’Hexagone. Cela reste dramatique comme situation. Des jeunes qui font face à la difficulté d’être accepté par leurs parents, qui subissent du harcèlement à l’école, etc. Dans notre dernière enquête, effectuée avec l’UNESCO sur l’éducation inclusive, les données françaises ont montré qu’un jeune LGBT sur deux a été victime d’harcèlement scolaire...

Quelles solutions peut-il y avoir quand on vit sur une île ? Existe-t-il certains moyens pour se sentir un peu moins isolé ? 

Clémence Zamora-Cruz : Parfois, le manque d’un lieu physique, peut être en partie comblé par des moyens technologiques. Il existe par exemple des groupes sur les réseaux sociaux pour se sociabiliser avec d’autres personnes de la communauté LGBT, mais aussi pour permettre de rentrer en contact avec les associations de manière à se faire orienter, obtenir des informations, du soutien… Par ailleurs, l’éducation est un élément incontournable contre l’homophobie. L’Éducation nationale doit former la communauté éducative dans son ensemble à ce genre de sujet. Les campagnes de luttes contre les discriminations restent indispensables aussi. 

Omar Didi : Du point de vue de l’établissement scolaire, il y a plusieurs choses qui peuvent être effectuées, par exemple des groupes LGBT et des alliés (des personnes, collégiens ou lycéens “hétéro” qui soutiennent la cause LGBT, ndrl), pour rendre les lieux scolaires plus inclusifs, ou encore des groupes de discussions pour se rendre visible et faire en sorte que la honte change de camps. Cela peut être animé par un professeur, ou par des élèves, dans un premier temps. Nous, en tant que structure LGBT, on serait évidemment prêts à aider, coordonner, voire à former. C’est quelque chose qui peut être fait, pour les interventions en milieux scolaires par exemple, pour sensibiliser et lutter contre la LBGT-phobie dans les classes. On réfléchit de plus en plus à soutenir des associations locales dans les outre-mer justement. Il faudrait aussi peut-être un lieu d’accueil pour parler, s’affirmer etc.  
   
On a l’impression qu’en 2020, certains combats sont encore à la traîne.

Clémence Zamora-Cruz : Qu’on soit en métropole ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, on manque encore de moyens… Il est important de rappeler que les structures associatives sont tenues par des bénévoles, ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons, où on voit beaucoup plus de moyens pour agir. S’il n’existe pas d’association à Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est aussi peut-être parce que l’on manque de moyens financiers. 

Omar Didi : La société évolue avec deux facettes : l’une où il y a plus de respect, de tolérance et d’inclusion des personnes LGBT, tout en ayant de l’autre côté une augmentation des actes LGBT-phobes. Mais il faut rester ambitieux, travailler et réussir à construire cette société inclusive, et, que cela ne soit pas que des bénévoles dans les structures, mais professionnaliser les structures LGBT. Je pense aussi aux services civiques qui peuvent être mis en place à Saint-Pierre-et-Miquelon : avoir deux volontaires qui interviennent dans les établissements scolaires, et, sur les questions de LGBT-phobie. On a besoin de personnes locales qui ont envie de s’engager. On doit continuer pour que des structures adéquates soient mises en place dans l’hexagone et en outre-mer.