Selon les chasseurs, en ce moment "c'est la période la plus intense de prélèvements". Autrement dit, le braconnage de tangues connaît un pic ces jours-ci avec des conséquences malheureuses sur la biodiversité de La Réunion.
Regarder le reportage de Réunion La 1ère :
Afin d'alerter les pouvoirs publics à ce sujet, la Fédération départementale des chasseurs 974 s'est réunie ce dimanche au sein de leur centre de formation à l'Etang-Salé. Leur inquiétude : le tangue est très apprécié à l'approche de la Fet Kaf et des fêtes de fin d'année. Or, la vente - et donc l'achat - de ce petit animal n'est autorisée qu'entre la mi-février et la mi-avril, soit en dehors de la période de reproduction du tangue.
Acheter, c'est cautionner le "massacre"
"Lorsqu'on achète du tangue en plein mois de décembre, on est en pic de reproduction. Les femelles sont pleines ou allaitantes, et il y a des juvéniles qui sont encore dépendants de leur mère. Quand on achète en dehors de la période autorisée, on cautionne la massacre qui a lieu sur le tangue", explique Jane Cozette, la directrice de la fédération départementale des chasseurs de La Réunion. C'est pourquoi, selon les chasseurs réunis ce dimanche, la population de tangues est en nette diminution, et qu'il est nécessaire d'agir vite.
"Si on ne fait rien pour stopper ça, nos enfants ne verront jamais ce que c'est un tangue plus tard."
Patrick Gastrin, référent tangue de la Fédération départementale de chasse
Braconniers et acheteurs responsables
Pour Patrick Gastrin, administrateur de la Fédération de chasse de La Réunion, et référent tangue, c'est tout un système qui est à condamner, braconniers comme clients. Car acheter du tangue à cette période de l'année est irréfléchi, fait-il comprendre.
"La chasse lé ouvert, ou lé chasseur. La chasse lé pas ouvert, ou lé un braconnier"
Patrick Gastrin, référent tangue de la Fédération départementale de chasse
Un trafic juteux
Car certes il y a la demande, mais il y a aussi l'offre. Braconner le tangue est devenu un business illégal qui peut rapporter gros. Ces petits rongeurs se monnaient au minimum à 15 euros et jusqu'à 30 euros la pièce, sur les réseaux sociaux notamment. "Quand vous savez que les braconniers font plusieurs milliers de tangues dans la saison, les comptes sont vite faits", lâche Patrick Baudron, le président de la Fédération départementale des chasseurs.
Une amende peu dissuasive de 135 euros
Dans ce contexte, les chasseurs réclament davantage de contrôles, trop peu nombreux à leur goût, mais aussi le durcissement des sanctions, trop peu dissuasives. "135 euros c'est pas suffisant, c'est le montant à peu près de quatre ou cinq tangues" sur le marché noir, estime Patrick Baudron, surtout au regard des sommes touchées par les braconniers à la revente de leur larcin. "Il faut passer à la vitesse supérieure", insiste le président de la fédération.
Eduquer les braconniers
Et puis, il faut faire de la pédagogie, pour Patrick Gastrin. "Le consommateur i dit Fet Kaf c'est la fête tangue, mais faut zot i pense que là, tangue lé pleine", martèle Patrick Gastrin. Le chasseur insiste sur ce message, à faire passer aux braconniers au-delà des contrôles, pour que ceux-ci comprennent que chasser en dehors de la période autorisée, c'est aussi se tirer une balle dans le pied en empêchant la reproduction de l'espèce. "Nou na poin conscience que nou lé en train détruit a nou nou mem", soupire-t-il.
"Le marmay aujourd'hui li sava pas dans la forêt, ben li va aller dann cannes ! Li va trap son deux tangues et demain li gagne son 40 euros. C'est a nou les anciens d'éduque a li de façon que li mem li comprend pourquoi i faut pas chasser à cette période là"
Patrick Gastrin, référent tangue de la Fédération départementale de chasse
D'autres espèces concernées
Au-delà, les braconniers s'en prennent aussi à d'autres espèces sur leur passage, fait valoir la Fédération départementale de chasse. "Ce n'est pas seulement le tangue, il y a le lièvre et le cerf qui sont dans les parcs de chasse. Et les braconniers ne se contentent pas que du gibier : si sur leur passage il y a un fanjan, un palmiste ou un merle péi, tout ça c'est monnayable", condamne Patrick Baudron, le président de la Fédération.
La paix sociale "compromise"
La directrice, Jane Cozette, évoque quant à elle un autre type de nuisance, d'ordre social. "Les braconniers vont sur des territoires privés, chez des propriétaires terriens, des éleveurs, des agriculteurs, qui se font voler, détruire leurs productions et leur matériel. Il y a eu des menaces de mort proférées... La paix sociale est vraiment compromise à l'échelle de La Réunion avec ce braconnage" considère-t-elle.
Acheter le tangue et le congeler, une astuce
Jane Cozette donne d'ailleurs un conseil à ceux qui souhaiteraient déguster du tangue pour la Fet Kaf, même s'il est interdit d'en chasser et d'en acheter.
"On sait que sur la Fet Kaf c'est un plat qui est extrêmement apprécié. Alors ce qu'on conseille aux acheteurs, c'est d'acheter pendant la période de chasse, de mi-février à mi-avril et jusqu'à quinze jours après la fermeture de la chasse, de congeler le tangue, et de le consommer à la Fet Kaf".
Jane Cozette, directrice de la Fédération départementale de chasse
La préfecture interpellée par la Fédération
Afin d'évoquer cette problématique qui les courrouce, les chasseurs ont écrit au préfet de La Réunion Jérôme Filippini pour lui réclamer une table ronde avec tous les acteurs concernés. La préfecture, ce dimanche, a rappelé que l'Etat s'est déjà engagé précédemment à "réunir la fédération et les services en charge de la police de l'environnement pour étudier les modalités qui permettraient une meilleure efficience des actions de contrôle et de lutte contre le braconnage".
136 jours de contrôle en 2022
Le préfet rappelle aussi qu'en 2022, 136 jours de contrôle ont été dédiés à la lutte contre le braconnage, et que des opérations de camps illégaux de braconniers sont régulièrement organisées.
Soulignons aussi que le braconnage met en péril les espèces protégées et conduit à propager des espèces exotiques envahissantes, les braconniers pénétrant dans des milieux peu fréquentés et jusqu'ici préservés.