Etre malentendante et communiquer dans un monde d'entendants, une mission quotidienne pour Isabelle Turpin, éducatrice

Isabelle Turpin, éducatrice en situation de surdité
Isabelle Turpin est sourde et éducatrice. Dans son quotidien, y compris dans l'exercice de sa profession, la communication n'est pas toujours aisée, notamment en raison d'une langue des signes maîtrisée par peu de personnes. Elle raconte les difficultés rencontrées par les déficients auditifs.

Comment communiquer avec les autres en tant que personne en situation de déficience auditive, dans un environnement surtout pensé pour les entendants ? La question se pose chaque jour pour les personnes porteuses de ce handicap.

Isabelle Turpin est éducatrice depuis sept ans. Elle-même sourde, elle vient en aide chaque jour à des jeunes qui sont porteurs du même handicap. Sa profession l'amène par exemple dans des lycées, où elle fait office de référent pour des jeunes sourds et malentendants. "Je vais au lycée et je vois les besoins de la personne, s'il lui faut un interprète", s'exprime-t-elle en langue des signes. 

Regarder le reportage de Réunion La 1ère : 

Quelles difficultés rencontrent les personnes sourdes dans leur quotidien ? Exemple avec Isabelle Turpin.

Problèmes de communication

 Cette langue des signes justement, reste trop peu apprise et connue des entendants, créant un fossé dans la communication. Ainsi, dans certains environnements, le dialogue devient vite compliqué. 

"Au lycée, parfois il y a des informations qui sont passées mais je suis obligée de demander l'aide d'un collègue. Les entendants parlent, parlent et parlent, et je ne peux pas tout lire sur les lèvres", signe Isabelle Turpin. C'est pourquoi elle fait régulièrement appel à un interprète dans l'exercice de sa profession. 

"On essaie de s'arranger"

En revanche, lorsque ses interlocuteurs maîtrisent la langue des signes, ne serait-ce qu'un peu, les échanges sont plus aisés.

"Si les autres ne signent pas, ce n'est pas facile. On passe par l'écrit, par des mimes, on essaie de s'arranger. Moi j'essaie de m'adapter à chaque personne"

Isabelle Turpin, éducatrice et déficiente auditive

 

Dans sa vie quotidienne, un simple appel peut être difficile à recevoir, lorsque l'interlocuteur ignore l'handicap de la personne au bout du fil. "Je suis obligée de passer le téléphone à un collègue pour savoir qui c'est, l'interlocuteur ne sait pas que je suis sourde", décrit Isabelle Turpin.  

Faire évoluer les pratiques 

Face à ces difficultés, Isabelle Turpin ne baisse pas les bras, mais dit s'armer de patience, et quelque part de pédadogie. "Je signe pour faire évoluer les collègues. Et lorsque les personnes parlent entre elles, moi je n'entends rien de ce qu'elles se disent, alors je les interpelle, je leur dis "vous dites quoi ?". Et chacun signe ou fait ce qu'il peut. Des deux côtés on doit s'adapter pour éviter les problèmes", signifie-t-elle.

"Une vraie richesse"

Heureusement, certains de ses collègues de l'ALEFPA ont été formés à la langue des signes, et dans son service, chacun utilise le code gestuel. "Mais pour les réunions on fait le choix d'avoir un interprète pour faciliter les échanges", concède Cynthia Chamand, collègue d'Isabelle Turpin.

Si elle maîtrise la langue des signes, elle fait aussi valoir que "parfois on sait aussi se parler sans parler vraiment, juste en un regard on se comprend". "Ça fonctionne, c'est une vraie richesse", achève-t-elle.

Ainsi ce mardi, lors de cette réunion de travail dans les locaux de l'ALEFPA, l'éducatrice est à son aise, d'autant qu'un interprète est présent. Ce qui n'est pas le cas tout le temps. "Quand il n'y a pas de communication, il y a de la frustration parce qu'il faut écrire, c'est compliqué. Ici c'est mieux, il y a des personnes qui signent, c'est vraiment riche", réagit Isabelle Turpin.  

Une journée de sensibilisation le 29 septembre

Pour que l'enseignement de la langue des signes et la compréhension des difficultés de personnes sourdes ou malentendantes deviennent monnaie courante, et facilitent le quotidien de ces porteurs de handicap, des journées comme celle de dimanche sont importantes. Ce 29 septembre 2024, à Saint-Paul, animations et ateliers seront organisés sur la place du débarcadère à l'occasion de la Journée mondiale des Sourds. 

Parmi les acteurs présents lors de cet événement, l'ARPEDA (Association réunionnaise de parent d'enfant déficient auditif), qui a fusionné récemment avec l'ALEFPA (Association laïque pour l'éducation, la formation, la prévention et l'autonomie).

Pour le directeur du pôle ARPEDA, Emmanuel Tourteau, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances reste difficilement appliquée. D'où des efforts qui doivent être encore appuyés pour que les déficients auditifs bénéficient des mêmes chances que les entendants. 

A l'ALEFPA, une vingtaine de personnels accompagne les jeunes et les adultes sourds et malentendants de La Réunion, dont deux interprètes qui les accompagnent dans leurs démarches quotidiennes.