Fin 2022, Emmanuelle Fontaine est épuisée. Plusieurs symptômes la préoccupent, comme sa vue qui baisse. Elle consulte son médecin qui lui prescrit une prise de sang. À peine quelques heures plus tard, son téléphone sonne : “À 18h, le laboratoire m’appelle. Ils me disent que mon taux de sucre s’élève à plus de 3 grammes. Normalement, il ne faudrait pas dépasser un gramme”, se souvient-elle.
Le lendemain, Emmanuelle Fontaine apprend qu’elle est diabétique de type 2 : c’est la sidération. “J’étais très choquée, je ne me voyais pas en train de manger des choses sucrées tout le temps”, confie-t-elle.
Le surpoids : bombe à retardement du diabète
Comme elle, 1 habitant sur 10 est diabétique sur l’île. C’est la région la plus affectée par cette maladie chronique. Des chiffres qui ont augmenté de 3% chaque année cette dernière décennie, selon l’Observatoire régional de santé (ORS). Parmi les causes : le surpoids qui touche près de la moitié de la population (46%).
Lors d’une consultation, la diabétologue Fatima Kharcha reçoit une patiente de 60 ans souffrant d’un surpoids abdominal. Cette graisse accumulée autour du ventre a provoqué une inflammation du corps jusqu’à entraîner une résistance à l’insuline, l’hormone régulatrice du taux de sucre dans le sang.
“Plus il y a de graisse, plus l’insuline va avoir du mal à fonctionner. Donc, on va devoir fabriquer plus d’insuline pour maintenir des taux de sucre. Mais, c’est aussi une hormone qui fait grossir. C’est un cercle vicieux où la résistance à l’insuline fait le lit du diabète”, développe cette soignante dans son cabinet de la Caz Diabète, à Saint-Denis.
Des modes de vie éloignés des recommandations
À La Réunion, ce surpoids s’explique par des modes de vie éloignés des recommandations : seulement 21% de la population mange au moins 5 fruits et légumes par jour, quand 22% boit des boissons sucrées quotidiennement.
Une prise de poids alimentée par les fast-foods, entre autres. À Saint-Benoît, une famille confie y manger environ une fois par semaine. Les raisons ? Les prix proposés, selon le père : “Un menu, c’est dix euros. Au restaurant, on en a pour 25 euros”. L’accessibilité, selon la mère : “C’est ouvert jusqu’à tard, on peut facilement venir après le travail”.
Mais face à ces nombreux changements de comportements alimentaires observés depuis 50 ans, les corps n’ont pas eu le temps de s’adapter : “On est passé d’une société de pénurie à une société d’abondance très rapidement. On mange beaucoup plus alors qu’on marche moins. C’est ce qui explique que la capacité à métaboliser ou à transformer les aliments n’est pas optimale”, clarifie Laurence Tibère, sociologue spécialiste de l’alimentation et représentante de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
“Qui dans sa famille n’a pas un proche diabétique à la Réunion ?”
Emmanuel Seraphin, maire de Saint-Paul
Mobilisation des élus pour lutter contre ce fléau
Pour contrer ces modes de vie propices au diabète, le maire de Saint-Paul a refusé l'implantation de 2 projets de fast-foods. “On a vu la profusion des fast-foods à la Réunion et on a décidé de les refuser désormais. C’est une conviction : en étant politique, on doit se préoccuper des affaires de santé et prendre des mesures qui préservent la population”, appuie Emmanuel Seraphin, à la tête de la commune labellisée “Ville Santé”.
Des complications sévères plus fréquentes sur l’île
Car aujourd’hui, le fardeau du diabète s’alourdit sur l’île. Insuffisance rénale, AVC… Ici, les complications sévères de la maladie sont près de deux fois plus fréquentes qu’à l’échelle nationale, selon Santé Publique.
“Quand les médecins m’ont annoncé que je risquais de perdre mon pied, j’ai fait une crise, on a dû appeler une psychologue. On se dit : comment on va faire pour vivre ou pour se déplacer ?”
Ulrick Techer, diabétique, amputé d’un orteil
Un phénomène qui pourrait s’expliquer par l’âge des patients, selon Anna Flaus-Furmaniuk, diabétologue au CHU de Saint-Denis : “De plus en plus, on voit des patients jeunes qui ont entre 25 et 40 ans. C’est rarement le cas en métropole. Donc, s’ils vivent plus longtemps avec la maladie, ils ont plus de chance de développer une complication”.
Des patients de plus en plus jeunes
À La Réunion, 52% des diabétiques ont moins de 65 ans contre 37% à l’échelle nationale, selon l’ORS. Alors, comment expliquer cette survenue précoce ? Parmi les facteurs, une hérédité génétique pourrait prédisposer les Réunionnais à cette pathologie : c’est l’hypothèse du “génotype d’épargne”.
Pour comprendre cette théorie, il faut remonter le temps jusqu’à la colonisation de l’île. Entre grandes traversées et périodes de famine, l’Histoire pourrait avoir eu des séquelles sur les populations d’hier à celles d’aujourd’hui.
“Selon cette hypothèse, les personnes qui ont survécu avaient un métabolisme qui stockait plus facilement. Or, c’est un avantage en période de famine, mais un inconvénient quand on a un accès à l’alimentation comme à l’heure actuelle : cela peut favoriser l’obésité et donc l’insulino-résistance”, étaye Simon Auvray, docteur junior en diabétologie au CHU de Saint-Denis.
L’éducation thérapeutique pour limiter les complications
Pour mieux gérer le quotidien des patients et réduire les risques de complications, l’éducation thérapeutique joue un rôle clé dans la prise en charge du diabète. Chaque semaine, le Groupe Hospitalier Est Réunion (GHER) de Saint-Benoît reçoit un groupe de diabétiques. Plusieurs fois par jour, ils assistent à des ateliers tels que la musicothérapie ou encore à des séances d’échanges entre patients et soignants pour une meilleure appréhension de la maladie.
“Ça donne du punch au corps. On a envie de bouger, de réagir : Ça aide à oublier la maladie.”
Judith, diabétique après un atelier de musicothérapie
La prise en charge des pré-diabétiques : une première portée par la Réunion
Mais pour limiter le diabète voire même l’éviter, la Réunion est la première à agir dès les signes avant-coureurs depuis 2023 : au stade du “pré-diabète”. Murielle Dombé est dans cette situation, elle l’a appris l’an dernier lors d’un dépistage : “J’ai pris conscience qu’il fallait faire quelque chose avant d’arriver au diabète. J’ai fait attention à mon alimentation et à mon activité physique, mais je voulais être aidée”, livre-t-elle.
“Le fait d’avoir la perspective, comme l’épée de Damoclès, d’un risque de traitement, cela vous inquiète ?” “Oui, énormément”
Échange entre Murielle Dombé, prédiabétique et Cécile Béton, animatrice Run Prédiabète
Ce jour-là, elle assiste à son premier bilan du programme Run Prédiabète développé par ETP Réunion et financé par l’Agence Régionale de Santé (ARS). Tout au long de la séance, une animatrice lui pose des questions pour établir son futur parcours de santé qui lui permettra de limiter les facteurs de risques du diabète.
Une expérimentation pour optimiser la perte de poids
Un programme de recherche porté par la faculté de santé et le CHU de la Réunion veut aller encore plus loin avec l’envoi de SMS. Sur deux groupes de pré-diabétiques, un seul va recevoir des messages de coaching trois fois par semaine pendant six mois.
Ces mots pourraient conduire à 3% de perte de poids supplémentaire. “C’est une opération qui vient compléter les séances d’éducation thérapeutique : l’idée est que les bénéficiaires poursuivent les recommandations au quotidien pour aller au bout du programme”, explique Catherine Marimoutou, professeure associée en santé publique et responsable du centre d’investigation clinique du CHU Réunion.
“Ce qui nous intéresse également dans cette étude, c’est de savoir pourquoi et qui va au bout”
Catherine Marimoutou, professeure associée en santé publique
L’objectif de cette étude sur cinq ans ? Maximiser les chances de perdre du poids pour écarter l’entrée dans la maladie. “Ces encouragements, ces rappels de base de diététique ou d’activité physique ont déjà été testés aux États-Unis, par exemple. Résultat : les bénéficiaires avaient perdu davantage de poids et mieux adhéré au programme. C’est ce que l’on veut évaluer ici avec une population et un environnement différent”, termine-t-elle.
Des diabétiques repoussent les limites de la maladie
Eux incarnent l’espoir : l’un repousse les limites de la plongée pour les diabétiques ; l’autre est le seul à avoir terminé le Grand Raid avec un pancréas artificiel. Pour réaliser leur rêve, ces deux sportifs atteints d’un diabète de type 1 ont dû redoubler d’efforts.
“On établit un protocole pour éviter l’hypoglycémie qui pourrait provoquer un malaise sous l’eau”
Anna Flaus-Furmaniuk, diabétologue
Aymeric Vogt a réussi à obtenir les trois premiers brevets de plongée grâce à la levée des interdictions pour les diabétiques au cours de ces vingt dernières années. Mais aujourd’hui, impossible de devenir accompagnateur de plongée à cause des risques de malaises sous l’eau, par exemple. Grâce aux données collectées par son pancréas artificiel, lui et sa diabétologue, Anna Flaus-Furmaniuk, espèrent faire évoluer la réglementation.
“Tout le monde a peur, moi aussi j’ai peur. Mais il faut être plus fort”
Jean-Christian Robert, coureur diabétique
“Je me bats pour montrer aux gens que le diabète ne s’arrête pas là”: c’est la motivation de Jean Christian Robert. La volonté de ce coureur de 62 ans ? Se surpasser pour ouvrir la voie aux diabétiques. Un déclic qu’il a eu à l’hôpital en 2010, après un infarctus. “Mes amis m’ont demandé si ça allait. Je leur ai répondu : oui, mais je vais m’inscrire au Grand Raid. Mais à l’époque, je ne savais même pas courir un kilomètre”, raconte-t-il. En 2022, il réussit cet exploit : franchir la ligne d’arrivée de la diagonale des fous, avec un pancréas artificiel. C’est le seul à ce jour. Cette année encore, il renfile son dossard et peu importe le chrono, pourvu qu’il inspire l’espoir pour tous les diabétiques.