La statue de Mahé de Labourdonnais sera déplacée à la caserne Lambert

La statue de Mahé de Labourdonnais à Saint-Denis
La statue de Mahé de Labourdonnais va disparaître de la place du Gouvernement sur le Barachois, où des travaux de réhabilitation doivent bientôt démarrer. Une action symbolique pour la ville de Saint-Denis qui souhaite "redonner à cette place sa vérité historique", accompagnée par l'Etat qui récupère le monument à la caserne Lambert.

Son existence a créé la polémique plusieurs fois ces dernières années. Et c'est la ville de Saint-Denis avec des travaux de réhabilitation à venir qui concrétise son déboulonnage. 

Dans quelques jours, en mai, des travaux de réhabilitation du square Labourdonnais débuteront, et la fameuse statue devra quitter la Place du Gouvernement, créée dans les années 1800. Elle y trônait depuis 1856.

La statue de Mahé de Labourdonnais a été déplacée

Déplacée aux côtés d'autres monuments du patrimoine militaire 

Mais elle ne devrait plus y revenir une fois le square réhabilité : la statue de l'officier de marine mais aussi gouverneur des îles Mascareignes sera restaurée, et trouvera sa place aux côtés d'autres monuments du patrimoine militaire de La Réunion à la caserne Lambert. Il a fallu demander l'aval du ministère de la Culture, le monument étant une oeuvre protégée. 

"Enrichir la connaissance" 

Le préfet Jérôme Filippini, la maire de Saint-Denis Ericka Bareigts et le général Laurent Cluzel, commandant supérieur des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI), ont expliqué cette action ce mercredi 26 avril. 

Pour Jérôme Filippini, il ne s'agit pas d'effacer, mais au contraire d'enrichir la connaissance scientifique autour du personnage. "On accentuera le travail scientifique de connaissance autour de la figure de cet homme qui a eu un rôle tout à fait détestable à cette époque où la France elle-même avait une politique détestable. (...) Mahé de Labourdonnais a été aussi un militaire honoré par la République parce qu'il a eu un rôle important dans l'histoire des armées", assure le préfet. 

"Redonner à cette place sa vérité historique"

La maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts, explique quant à elle l'objet de ce projet, à aborder "avec beaucoup de calme". 

"Monsieur de Labourdonnais, qui était un grand esclavagiste, a fait passer le nombre d'esclaves sur l'île de 600 et quelques à plus de 2000. Il est celui qui a armé les chasseurs de marrons, a amplifié les actes de barbarie contre les hommes et les femmes. Il n'a rien à faire sur notre place publique"

Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis

Dans ce contexte, elle souhaite "redonner à cette place sa vérité historique", jugeant que lors de l'abolition de l'esclavage en 1848, il n'y avait pas cette statue de l'ancien gouverneur à cet endroit où la liberté fut fêtée. C'est pourquoi, dit-elle, "cette statue n'a pas sa place sur une place où les hommes et les femmes qui étaient considérés comme des biens meubles se sont réveillés des humains". 

"L'esclavagiste disparaît de notre place publique"

La maire du chef-lieu ne nie pas que Mahé de Labourdonnais a été "un grand militaire", mais "cette autre facette va prendre sa réalité à la caserne Lambert". 

"L'esclavagiste disparaît de notre place publique de Saint-Denis, et le grand militaire réapparaît à la caserne Lambert" 

Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis
Interview Ericka Bareigts sur le déplacement de la statue Mahé Labourdonnais

Un déplacement qui n'est pas du goût de tout le monde

Si cette action répond aux doléances de nombreuses associations précédemment, elle ne provoque pas non plus un franc consensus. Des voix s'élèvent contre le projet, dont celle de Prosper Eve.

Selon l'historien, interrogé sur le sujet ce mercredi matin sur nos ondes, c'est une mauvaise décision de faire disparaître cette statue. Il explique : 

"Après l'abolition de l'escalavage, comme l'émancipation s'est passée ici sans effusion de sang, sans mise à feu de la colonie, immédiatement ceux qui avaient profité du système ont mis en place la théorie de la douceur de l'esclavage. (...) Comme si on peut distinguer un esclavage doux, d'un esclavage moins doux. Chacun sait qu'ici, il n'y a pas de trace dans le décor des instruments qui ont été utilisés pour martyriser les esclaves. Les fers, les chaînes, les fouets... On a éliminé ces traces. Aujourd'hui quand on a des éléments sur la place publique qui permettent d'évoquer le sujet, on ne doit pas s'en priver."

Prosper Eve, historien

Un personnage complexe

L'historien est fermement opposé au déplacement de cette statue vers la caserne Lambert. Car, "quand on dit que sa place légitime c'est là-bas (à la caserne Lambert, ndlr), c'est le marin qu'on veut mettre en valeur, pas l'esclavagiste", estime Prosper Eve.

"Mahé de Labourdonnais est ce personnage complexe : sur la place publique du Barachois, il incarne celui qui fait rentrer des esclaves ici, et de l'autre côté, celui qui a défendu les intérêts de la France dans l'océan Indien". 

Prosper Eve, historien

Son intervention sur Réunion La 1ère à réécouter : 

Des actions répétées contre cette statue

Premier gouverneur des îles Mascareignes de 1733 à 1747, Mahé de Labourdonnais a certes contribué à la modernisation de l'île alors appelée Bourbon, notamment les villes de Saint-Denis et de Saint-Louis, mais il reste lié à la période esclavagiste. De fait, cela fait plusieurs années que militants et associations réclamaient le retrait de cette statue de Mahé de Labourdonnais.

En 2020, une pétition en ligne demandait son retrait, en plein mouvement de "déboulonnage" des statues liées à l'esclavage, sans effet ; en 2021, des anonymes avait choisi de le repeindre en rose. La statue avait aussi été ornée d'un panneau "Je suis esclavagiste" en 2015...