L'année de ses quarante ans, Karine Gautier s'en souviendra. Quarante ans, c'est l'année où elle a décidé d'arrêter l'alcool après une décennie d'addiction. Son grand-père lui aussi alcoolique avait pris la décision de tout arrêter le jour de son quarantième anniversaire : " je me suis toujours dit que j'arrêterai à cet âge-là, comme lui ". C'est donc en juillet 2024 que la Saint-Pierraise décide de tirer un trait définitif sur un passé alcoolisé.
Pendant dix ans Karine Gautier boit tous les soirs. Le verre de vin après le travail à la maison, se transforme rapidement en nuit d'ébriété. "J'achetais des cubis de vin comme ça, je ne voyais plus ce que je buvais. C’était mon anxiolytique ", raconte-t-elle avec une tasse de thé fumant dans les mains. Depuis qu'elle a arrêté le vin, c'est le thé vert qu'elle prend plaisir à boire à longueur de journée. Toutes ces années Karine vit un alcoolisme caché et solitaire, dont elle parle peu à son entourage. Mère de quatre enfants, elle ne laissait rien paraître.
Mes enfants ne m'ont jamais vu soûle. Je buvais le soir après leur coucher.
Karine Gautier
Boire pour remédier à un manque de confiance en elle. "L'alcool c'était pour moi un moyen d'avaler mes émotions, ça calmait mon angoisse et c'est comme ça que c'est venu ", explique la jeune femme. Désinhibée en soirée, Karine se sentait plus apte à être en société, l'alcool devenait le moyen d'oublier son caractère introverti. Mais petit à petit elle se sent perdre pied jusqu'à l'été dernier où sa vie prend un nouveau tournant .
Après une semaine de vacances chez ses beaux-parents, Karine se retient de boire le verre de trop au moment de l'apéritif et ne ressent pas le besoin de continuer. Cette même semaine, deux jours entiers passent sans qu'elle ne touche à une goutte de vin. C'est le déclic, elle peut arrêter.
Après six mois de sobriété, Karine publie une vidéo fin décembre sur son compte Facebook pour témoigner de son parcours. Un défi lancé à elle-même pour avancer mais aussi pour aider. " Je ne m'attendais pas à autant de bienveillance. J'ai reçu beaucoup de messages de soutien et d'encouragement ", surprise et rassurée, elle a pourtant longtemps hésité avant de presser le bouton "publier". Elle qui a toujours vécu dans l'archipel, s'était longtemps protégée du regard des autres. Aujourd'hui, elle ne veut plus se cacher.
Se faire aider pour avancer
En juillet 2024, c'est auprès du centre d'action prévention santé de Saint-Pierre que Karine trouve de l'aide. Elle décide d'arrêter l'alcool seule mais ressent le besoin de parler. " J'ai trouvé des professionnels de santé incroyable. Quand je vais là-bas, c'est mon exutoire", explique-t-elle.
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Pour aider à son tour, Karine crée un compte Instagram Tchin Zéro où elle partage son vécu et le chemin vers une vie sans alcool. À travers des posts photos et vidéos, elle se filme pour partager les bienfaits de la sobriété, comme des promenades matinales l'esprit clair, un visage moins gonflé depuis l'arrêt de l'alcool ou encore des moments d'intimité retrouvé avec ses enfants. À travers son témoignage Karine souhaite encourager toutes les personnes en difficulté : "Je veux montrer aux gens qu'on peut tous arrêter l'alcool mais il ne faut pas avoir honte de demander de l'aide."
Assumer sa sobriété en société
La quarantenaire ne s'en cache pas; pour tirer un trait sur l'alcool, Karine s'est parfois retiré de la vie sociale et a ralenti son rythme de vie. " Je me suis un peu isolée au début, je craignais d'être trop tentée " confie-t-elle. Alors avant les soirées, Karine se prépare psychologiquement aux questions qu'on pourrait lui poser :
Quand on dit qu'on arrête l'alcool, on nous propose toujours un petit verre juste pour essayer, on ne pense pas qu'on puisse avoir des problèmes avec l'alcool.
Karine Gautier
C'est à partir de cette problématique de l'alcool très présent dans la culture française que le Dry January tente de bousculer les consciences. Le mois sans alcool porté par des associations de prévention comme le CSAPA dans l'archipel, existe en France depuis 2019. S'abstenir d'alcool tout le mois de janvier permet de se questionner sur sa consommation et son rapport à l'alcool. Associé à la fête,à la convivialité, il est souvent difficile d'assumer de ne plus boire d'alcool en société. Pour Karine, le Dry January peut vraiment mettre le pied à l'étrier pour arrêter. " En un mois d'arrêt, on voit déjà les bienfaits, surtout l'énergie retrouvée ", conclut-elle. Karine souhaite également rassurer : " Le plus important c'est de se relever, même si on rechute, on se relève toujours".
À travers son histoire, la brune élancée au sourire timide et doux souhaite faire changer le regard sur l'alcoolisme. " On pense qu'une personne alcoolique c'est quelqu'un qui boit du matin au soir . Que c'est une femme qui ne s'occupe plus de ses gosses. Moi je n'ai jamais bu le matin et je me suis toujours occupée de mes enfants", ses enfants, la principale motivation de cette maman pour ne pas flancher. Les larmes aux yeux, Karine se remémore le passé et parvient enfin à être fière d'elle lorsqu'elle se rappelle pourquoi elle a tiré un trait sur cette addiction. Pour sa famille, pour son conjoint, pour tous ceux qu'elle souhaite aider dans les futures années et puis pour elle : "Aujourd'hui j'apprends à devenir la personne que j'ai toujours eu envie d'être."