Quand on vient de Miquelon, on part toujours aux études plus tôt. C’est le cas d’Arnaud qui n’a que 14 ans quand il quitte son île et sa famille dans les années 90 pour rejoindre le lycée à Saint-Pierre. “C’était déjà un petit saut dans un nouvel environnement qu’on ne connaissait pas trop”, se souvient-il. À cette époque, il est logé dans une pension de famille où il passe de “très bonnes années” avec trois autres jeunes miquelonnais. “Le soir, on était ensemble et puis on rentrait chez nous presque tous les week-end”, nous explique-t-il.
Deux ans plus tard, Arnaud a encore envie de bouger. Il est diplômé et prêt à s’envoler avec son BEP en comptabilité et gestion “pour aller chercher autre chose en métropole”. Direction la Normandie et la commune de Pont-Audemer où il vise un baccalauréat STT (sciences et technologies tertiaires). Sa soeur habite alors dans la région, ce qui est “pratique en cas de problème”, tandis que la ville reste à taille humaine avec moins de 10.000 habitants, ce qui lui “fait moins peur” pour s’élancer vers l’inconnu.
De l'Ouest au Sud
Sur place, tout se passe à merveille avec de nouveaux copains et une école de musique en dehors des cours qui lui rappelle ses jeunes années, quand il jouait dans le groupe Azemian sur Miquelon avant de partir. Mais le jeune Arnaud décide pourtant, une fois son bac en poche, de changer d’air. Il postule pour un BTS en commerce international et choisit de migrer vers le sud et Narbonne malgré les réponses positives d’établissements sur Caen et Rouen. “Je faisais beaucoup trop la fête en Normandie et ça me plaisait de découvrir encore une nouvelle région où tout serait à reconstruire”, nous dit-il.
J’avais envie de voyager et j’étais inspiré par le commerce familiale à Miquelon (Chez Simon) où je retournais chaque été pour faire un peu de sous avant de repartir
Arnaud Detcheverry
Dans l’Aude, il découvre alors “un paysage lunaire avec peu de végétation, beaucoup de cailloux et un vent qui souffle beaucoup”, ce qui n’est pas sans lui rappeler certains souvenirs. S’il trouve aussi ses repères dans ce nouvel environnement, il ne tarde pas à voir encore plus loin grâce à une initiative de sa prof d’anglais qui propose à sa promotion d’aller parfaire leurs connaissances de la langue de Shakespeare en Angleterre ou… en Laponie !
Du pub anglais aux vignes de la valée de la Loire
Pour lui, ce sera finalement Manchester au Royaume-Uni. “L’argent ne coulait pas à flot, alors je suis parti en voiture avec mon break Fiat Palio, mais je n’avais pas besoin de grand chose à cette époque-là”, nous raconte-t-il encore amusé de cette expérience qui lui permet de parfaire ses connaissances tout en travaillant “en extra dans les deux stades” des équipes de la ville (Manchester United et Manchester City) où il assure la restauration et le service dans les loges.
Dans le même temps, Arnaud partage la vie d’une Saint-Pierraise qui habite à Tours où il se verrait bien vivre, mais sans savoir exactement comment. Une nouvelle fois diplômé, le jeune homme cherche alors à se spécialiser et tente une licence professionnelle dans la commercialisation des vins. Un univers qu’il ne connaît pas. Son expérience en intérim dans la Vallée de Loire fera office de déclic.
J’étais curieux et déjà amateur de dégustation de Whisky, mais là, j’avais tout à apprendre.
Arnaud Detcheverry
L’apprenti qui prend de la bouteille
Parti de rien, Arnaud grimpe vite les échelons chez Biovidis, un grossiste en vin biologique de la région, où il travaille pendant treize années en occupant finalement des postes à responsabilité. En charge des achats, des conditionnements, du négoce, de la commercialisation dans les grandes enseignes françaises ou même responsable des exports, il aura tout fait pour arriver avec passion là où il en est.
“Il y a tellement de diversité dans les territoires”, nous explique-t-il avec enthousiasme. “En termes de géologie ou d’humain, il y a toujours des histoires à raconter et des choses à apprendre. Cela nécessite aussi de se remettre tout le temps en question car même les choses que l’on croit connaître peuvent changer”, explique-t-il avec humilité.
C’est très riche et on n'aura jamais fini d’apprendre. Je connais personnellement près de 300 vignerons, mais c’est rien du tout à l’échelle du pays
Arnaud Detcheverry
L’amateur devenu entrepreneur
Fort de son réseau et désormais doté d’une expérience et d’un savoir-faire, Arnaud est finalement contacté par la concurrence. Un pionnier de la viticulture bio, Jacques Frelin, qui a des vignobles dans le Languedoc, parvient à le débaucher en 2017. Entre-temps, le Miquelonnais avait embauché et formé quelqu’un pour lui permettre de prendre la relève dans son ancienne entreprise.
Deux ans plus tard, il devient son propre patron. Arnaud se met à son compte en 2019, d’abord en tant qu’agent commercial puis comme grossiste. “J’achète et je vends des pinards”, plaisante-t-il en simplifiant son métier qui l'amène à parcourir près de 55.000 km chaque année à bord de l’un de ses deux camions pour découvrir et rencontrer sans cesse de nouveaux vignerons, tout en livrant lui-même les enseignes de sa région comme au-delà.
Da la Vallée de la Loire jusqu’à Miquelon
“Cette semaine, j’ai six palettes qui partent pour l’archipel, ce qui représente entre 2400 et 3000 bouteilles”, nous avoue-t-il quand on lui demande s’il exporte à Saint-Pierre et Miquelon. Pour lui, c’était “une évidence”. En ce moment, vous trouverez d’ailleurs sur les deux îles un petit Bourgueil élaboré par Thomas Pichet “qui a déjà été élu vigneron de l’année au guide Hachette” nous-dit-il, avant d’ajouter qu’il était chez lui la veille pour y déguster son nouveau millésime.
Pour Arnaud, ce n’est clairement pas l’appât du gain qui le pousse à exporter si loin. Le négociant qui approvisionne les deux tiers des rayons de sa sœur chez Simon à Miquelon, et qui livre aussi chez Julien à Saint-Pierre, souhaite avant tout y "partager ses découvertes" et sa passion avec gourmandise, en espérant qu’elle agrémenteront les poulets farcis du dimanche dans l’archipel.
Moi j’ai mes yeux qui pétillent quand je pense à la cuisine et à la dégustation. J'aime bien qu’on me lance le défi de choisir le vin en fonction du plat.
Arnaud Detcheverry
“Épanoui dans son métier”, Arnaud compose toutefois avec un rythme effréné qui peut le faire se lever à 4h30 le matin pour ne revenir à la maison qu’à 19h pour manger avec les enfants avant de poursuivre son travail jusqu’à 22h. Il vient justement d’embaucher un jeune en alternance qui devrait lui permettre “de continuer dans cette voie, mais avec plus de temps pour lui et sa famille".
Quant à son île ? Il y revient régulièrement, tous les deux à trois ans avec toujours la “fierté d’être Miquelonnais” et le souvenir de sa jeunesse durant laquelle il pouvait “construire des cabanes et faire du vélo en étant libre comme le vent sans avoir les parents derrière”
La première fois que je me suis rendu compte que l’archipel était magnifique, c’est la première fois que je suis rentré des études. C’était un moment génial. On voyait les îles se dessiner avec leurs belles couleurs au travers du hublot.
Arnaud Detcheverry
Cette période lui aura enseigné "la débrouillardise" nous dit-il tout en réalisant qu’il vit “tellement à fond” aujourd’hui qu’il a pris l’habitude de regarder “plus devant que derrière”.
Ce qui lui manque le plus, au-delà de sa famille, ce sont les copains de l’archipel avec qui il se verrait bien “partager une petite bouffe... et un petit verre de temps en temps.”