C'est un épisode toujours mal connu de l'histoire australienne. Il y a 60 ans, commençait l'opération Buffalo, une série d'essais nucléaires menés par l'armée britannique dans le désert du nord de l'Australie du Sud.
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En tout, la Grande-Bretagne a fait exploser 12 bombes nucléaires sur le territoire australien, dans trois sites différents - les îles Montebello, Emu Field et finalement, Maralinga- entre 1952 et 1957.
À l'époque, le monde était en pleine guerre froide. Selon Liz Tynan, le premier ministre australien Robert Menzies a pris la décision tout seul de laisser les Britanniques procéder à leurs essais nucléaires dans le désert australien, sans même consulter son gouvernement, car il voulait s'assurer de la protection de la Grande-Bretagne en cas de conflit nucléaire.
Entre 1 000 et 1 500 aborigènes Anangu-Pitjantjatjarra avaient été préalablement évacués du site. Quant aux militaires présents, ils étaient en short et chapeau. D'après Liz Tynan, auteure du livre "Atomic thunder: the Maralinga story", le nuage est monté bien plus haut - et les vents ont soufflé plus fort - que prévu. Le champignon a donc fait route vers la côte est de l'Australie.
Les sept bombes de Maralinga ont été suivies par plus de 600 essais effectués jusqu'en 1963, et présentés comme « mineurs », mais qui ont libéré des substances hautement toxiques à Maralinga et autour: du plutonium et du béryllium.
Les familles aborigènes qui vivaient autour de la zone interdite ont été exposées, de même que le personnel militaire. Beaucoup ont souffert de maladies (cancers, leucémies, etc.) et sont morts prématurément, à la cinquantaine. Leurs enfants et petits-enfants également souffrent entre autres de cancers ou de malformations. Mais le gouvernement australien n'a jamais reconnu qu'elles étaient liées aux retombées nucléaires, car le lien de cause à effet n'a pas été établi.
Woomera: le cimetière des bébés
À Woomera, la bourgade d'Australie du Sud où se trouvait la base militaire des essais nucléaires, et qui est aujourd'hui une base de tests de missiles conventionnels, un cimetière héberge 23 tombes de bébés morts-nés entre 1953 et 1968, et 46 tombes d'enfants morts prématurément, dans un rayon de 600km autour du site d’expérimentation. Leurs parents étaient des militaires qui travaillaient à la base, ou d’autres habitants de la région. Beaucoup de familles sont convaincues que ces morts sont liées aux retombées nucléaires sur Maralinga.
Yhonnie Scarce artiste aborigène et maître-verrier travaille depuis des années sur ces essais nucléaires. Ses oeuvres sont exposées non seulement en Australie, mais aussi à Hong-Kong ou au Canada, ou encore, à la biennale de Venise. Elle a créé des bombes atomiques en verre, un nuage nucléaire, ou encore utilisé des tables roulantes de bloc opératoires sur lesquelles on place les bébés morts-nés, pour créer une installation.
« Je suis un peu obsédée (par ces essais nucléaires), a expliqué Yhonnie Scarce, au micro de Daniel Browning, dans l'émission Awaye, sur ABC Radio National. Et je suis loin d'en avoir fini avec ce sujet. J'ai découvert récemment la rumeur selon laquelle des Aborigènes auraient été enterrés dans une fosse commune dans la zone interdite. Et cela allume un feu dans mon coeur et dans mon ventre que je n'arrive pas encore bien à identifier. Donc je pense que je suis partie pour une série d'oeuvres sur le sujet des essais nucléaires dans les années qui viennent. C'est un sujet qui me passionne. Et c'est une histoire qui est loin d'être terminée. »
"Only a Mother Could Love Them" (2016), oeuvre en verre soufflé d'Yhonnie Scarce. (Photo: THIS IS NO FANTASY + dianne tanzer gallery, avec l'aimable autorisation de l'artiste )
Yhonnie Scarce a aussi créé des formes en verre trouées, et colorées en noir, pour honorer ces bébés morts-nés. « J'ai découvert que la couleur de l'élément chimique strontium est la même que celle de la laque noire. Donc pour moi il était important d'utiliser le noir, parce que c'est aussi la couleur des corps calcinés, souligne-t-elle. Donc j'ai coloré en noir des objets que j'ai soufflés en verre, en leur donnant des formes biscornues, pour représenter cette toxicité ultra puissante de l'élément radioactif strontium 90. C'est une couleur assez belle, mais terrifiante en même temps. »
Les Aborigènes, indemnisés pour l'irradiation de leurs terres seulement
En 1984-85, une commission royale d'enquête (la commission Mc Clelland) a été ouverte en Australie sur les conséquences des essais nucléaires britanniques. Elle a conclu que le site des essais nécessitait d'être décontaminé, mais n'a pas reçu les plaintes de certains Aborigènes de la région qui disaient avoir été empoisonnés par les retombées nucléaires, faute de preuves, souligne Judith Nunn, dans son livre d'enquête "Maralinga".
Mais en 1994, le gouvernement fédéral a versé 13.5 millions de dollars de compensations au peuple Maralinga Tjarutja, parce que ses terres ont été irradiées.
Quelque 8000 militaires australiens qui ont participé au programme des essais nucléaires, en shorts, sans protection particulière. Une étude du département australien des anciens combattants a conclu que « seulement 2% d'entre eux ont été exposés à des doses (de radiation, NDLR) supérieures à la limite annuelle d'exposition prévue en Australie pour les employés exposés dans le cadre de leur travail (20 mSvt). » En clair: le niveau de radiation qu'ils ont reçu serait trop bas pour causer leurs diverses maladies.
Des Britanniques, Néo-Zélandais et Fidjiens ont aussi travaillé pour ce programme d'essais nucléaires.