Les prémices de la recomposition
Après la mort de Georges Pompidou en 1974, Valéry Giscard D'Estaing remporte l'élection présidentielle. Sa candidature avait été, en quelque sorte, le début de la recomposition à droite. Certes, son premier ministre Jacques Chirac, héritier du gaullisme social, sera aussi son premier adversaire. Les deux visions classiques de la droite s'affrontent directement et la victoire de François Mitterrand en 1981 les obligera à trouver un terrain d'entente pour redevenir des "partis de gouvernement".
A gauche, pour arriver au pouvoir, François Mitterrand a lui aussi entrepris la recomposition de tous les courants politiques qui se réclament du socialisme, la gauche non communiste. Mais le Parti Socialiste qui naît de cet amalgame est régi par des courants qui vont d'une gauche extrême à un centre très ouvert. Le programme commun de gouvernement permettra au Parti Socialiste de phagocyter le Parti Communiste sans avoir besoin de l'aspirer.
Des cadres amovibles
La 5ème République qui craignait de ressembler aux deux constitutions précédentes, s'est prémunie de beaucoup de maux. Sa volonté d'assurer une stabilité politique l'incite à prévoir tout ce qui pourrait la mettre en péril.
Pour autant, elle n'a rien prévu contre ceux qui, profitant de ses principes, pourraient vouloir la faire imploser.
Démocratie parlementaire, elle apprend à ses partis dits "de gouvernement" à "cohabiter" et elle fait des extrêmes leurs adversaires communs. Ainsi, de François Mitterrand à François Hollande, l'adversaire sera toujours le même : le Front National. La réélection de Jacques Chirac ne sera donc pas seulement due à un consensus républicain, elle souligne dès lors que les frontières de la politique en France ont définitivement bougé.
De 1965 à 2017, les partis qui se sont succédés au pouvoir n'ont eu de cesse de se rejeter la responsabilité de l'émergence des extrêmes à leur gauche et surtout à leur droite, sans comprendre que leur progressive attraction vers un centre recomposé notamment autour de l'idée européenne, provoquait de fait une quête des électeurs vers des courants plus souverainistes ou nationalistes.
Implosion de la gauche, redéfinition du centre, décomposition de la droite
Les élections de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande auront été les derniers sursauts du monde d'avant. L'ancienne droite devenue libérale a désormais en face d'elle ce qui reste du socialisme classique plus compatible à la social démocratie européenne ou même aux démocrates américains qu'à la formation politique créée par François Mitterrand, celles de tous les courants socialistes.
De fait, l'éloignement de Jean-Pierre Chevènement avait déjà indiqué que l'orientation qu'elle allait prendre ne conviendrait pas à tous. Entre ses contestataires, ses particularités, ses personnalités fortes, le Parti Socialiste implose progressivement en ayant plus que ses illusions pour croire qu'il est encore ce qu'il était. Et Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'Enseignement professionnel de Lionel Jospin entre 2000 et 2002, peut désormais, dès 2008, affirmer sa différence par rapport à son ancien parti.
A droite, l'ancienne UDF se sent de moins en moins à l'aise dans son union avec l'ancien RPR. La refonte de cette formation politique devenue Les Républicains achève son ultime effort pour survivre.
2017, l'ultime étape de la recomposition politique
2017 met en place la première partie de cette recomposition politique française. Le face à face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ouvre le champ des possibles pour la mise en œuvre d'un nouveau centre. Sans aucune étiquette politique déterminée, Emmanuel Macron attire autour de lui tous ceux qui dans l'ancienne "droite de gouvernement" et l'ancienne "gauche de gouvernement" reconnaissent leur proximité.
A l'extrême droite, Marine Le Pen s'est employée à faire évoluer le parti hérité de son père. Les mots et les formules ont évolué mais les caps sont les mêmes et sont identifiables. Mais la mutation entamée par elle permet aux électeurs de se décomplexER quant à l'adhésion à ses thèses. Et de fait, en raison de la reconfiguration du centre, le désormais Rassemblement National inspire tous les tenants du conservatisme et du souverainisme.
Reste dans ces cartes rebattues le jeu de Jean-Luc Mélenchon. L'élection loupée de 2017 n'est pas un échec total pour lui. Face à la redéfinition des autres orientations politiques, il a désormais le champ libre pour caractériser une nouvelle idée de la gauche. Une gauche qui n'a désormais même plus besoin de se définir : elle est ce que les deux autres groupes ne sont pas.
2022, les ultimes résistances
Parler de recomposition politique pourrait sembler présomptueux au regard du 1er tour de l'élection présidentielle. Pas moins de 12 formations politiques s'y sont présentées en cherchant à spécifier leur discours pour se distinguer aux yeux des électeurs.
Mais en caractérisant leur vote, les électeurs eux ont déterminé les trois idées fortes de la politique française aujourd'hui. Les partisans du vote utile de la droite radicale ont préféré Marine Le Pen à Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Valérie Pécresse ou Jean Lassalle. Ceux du nouveau centre continuent de se reconnaître dans un vote en faveur d'Emmanuel Macron, plutôt que Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Jean Lassalle. Enfin ceux de la gauche radicale ont choisi Jean-Luc Mélenchon plutôt que Fabien Roussel, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud.
Mais si les électeurs ont accéléré la composition de ces trois nouveaux blocs politiques, les anciens états majors des formations politiques délaissées auront du mal malgré tout à admettre cette marginalisation dans laquelle ce premier tour de l'élection présidentielle les a propulsés. Accepter cette recomposition pourrait aussi obliger un bon nombre d'entre eux à renoncer à un destin national. Certains pourraient de fait tenter de résister à cette traction. Au risque de le payer aussi cher que Valérie Pécresse ou Anne Hidalgo.
Et tous ceux qui vont vouloir peser sur Emmanuel Macron pour rentabiliser leur appel à voter pour lui au second tour, ne vont en fait que contribuer à finaliser le mécanisme de la constitution définitive de ce nouveau centre autour d'Emmanuel Macron.
Et quant à l'écologie politique, après avoir remporté de beaux succès lors des dernières municipales, l'échec de Yannick Jadot vient rappeler que l'électeur ne confond pas les intérêts locaux et les intérêts nationaux. De fait, l'écologie politique est une idée qui s'est progressivement répandue dans toutes les formations politiques en inspirant les uns et les autres selon leur orientation. Au point de donner une consonance écologique à toutes les orientations politiques, afin d'achever la refonte du schéma politique français.