Affaire chlordécone : les plaignants n’en resteront pas là, suite au non-lieu requis par le Parquet de Paris

Le chlordécone, poison interdit en France Hexagonale dès 1990 a été utilisé dans les Antilles jusqu'en 1993, à la faveur d'un dérogation ministérielle.
Les avocats impliqués dans le dossier judiciaire d’empoisonnement par la molécule Chlordécone, en Guadeloupe et en Martinique, ne sont pas surpris par la requête de non-lieu du Parquet de Paris. Mais cette demande ravive la colère d’une partie de la population locale, qui crie au scandale.

Comme redouté par bon nombre d’Antillais, après 16 ans de procédure, le Parquet de Paris a finalement demandé un non-lieu, suite à l’enquête sur l’empoisonnement des personnes, de la flore, de la faune et des eaux, lié à l’utilisation de la molécule chlordécone, en Guadeloupe et en Martinique.

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Dès mars 2022, au moment de clôturer les investigations débutées en 2007, sans aucune mise en examen, les juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris avaient annoncé s’orienter vers cette issue.

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Mais les avocats des associations plaignantes ne l’entendent pas de cette oreille. Il n’y aura pas de mise sous le tapis et cette étape ne sera pas synonyme de fin du dossier.

D’autres recours possibles

Pour Maître Harry Durimel, avocat des parties civiles, initiateur et rédacteur de la plainte initiale en 2006, la réquisition du Parquet n'est pas une surprise.

Curieusement, dans cette affaire, depuis l’origine, le procureur de la République a marqué son soutien aux pollueurs ! Il a tout fait pour que nous ne puissions pas mener cette action ! (...) Si le juge d’instruction prononce un non-lieu, nous avons 10 jours pour faire appel.

Me Harry Durimel, avocat
Non-lieu dans l'affaire chlordécone : réaction de Me Harry Durimel ©Priscilla Romain et Olivier Duflo – Guadeloupe La 1ère

Egalement saisi par des associations de défense de l’environnement des Antilles françaises, Maître Christophe Leguevaques regrette ce réquisitoire, mais promet de ne pas en rester là.

Les avocats des parties civiles disposent d’un mois pour faire des observations officielles au juge d’instruction, sur ce réquisitoire, pour montrer ses contradictions, ses approximations et, à partir de là, essayer de convaincre le juge qu’il y a suffisamment de matière pour poursuivre l’enquête (...).

Me Christophe Leguevaques, avocat

Me Christophe Leguevaques, avocat (au téléphone d’Alain Rosalie)

Me Christophe Leguevaques, l’un des avocats des parties civiles dans le dossier « chlordécone »

Christophe Leguevaques souligne aussi que les termes du réquisitoire ne sont pas acceptables.

Il y a un certain nombre d’affirmations qui nous paraissent absolument contestables. Par exemple, quelque-chose qui me parait aberrant : le réquisitoire considère que le caractère mortifère du chlordécone n’est pas établi. C’est en contradiction avec toutes les études publiées depuis 30 ans dans le monde entier.

Me Christophe Leguevaques, avocat

Le combat n’est donc pas terminé, à en croire ces hommes de loi.

La population outrée

Pour rappel, le chlordécone est un pesticide dont les effets nocifs reconnus ont conduits à son interdiction, dans l’Hexagone, en 1990. Mais cette molécule a continué à être autorisée, par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe, dans le cadre de la lutte contre le charançon ; l'occasion pour certains d'écouler leurs stocks, pour éviter toute perte.

Ce traitement différencié, d’un côté à l’autre de l’Atlantique, suscitait déjà l’indignation, au sein des populations impactées.
Ce dernier coup de massue (le réquisitoire de non-lieu) vient donc s’ajouter, pour alimenter un sentiment de manque total de considération pour les territoires d’Outre-mer, de la part de Paris.

Non-lieu dans l'affaire chlordécone : réactions dans la population ©Priscilla Romain et Olivier Duflo – Guadeloupe La 1ère

Autre réaction celle du secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs de Guadeloupe (CGTG). Jean-Marie Nomertin dénonce la justice qui protège des « criminels ».

Voilà leur justice ! Voilà leur système ! (...) C’est inadmissible ! Ces criminels, il faut les juger, les mettre en prison. Les ministres, l’Etat, tous ceux qui étaient complices doivent payer le prix qu’il faut, parce qu’ils sont tous des délinquants en col blanc !

Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG
Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG

Côté politique, Olivier Nicolas s’insurge également. Le premier secrétaire fédéral du Parti Socialiste (PS) en Guadeloupe parle d’un "terrible déni de justice".

Non-lieu, ça veut dire que ça n’a pas eu lieu. Or, on sait que dans nos territoires, en Guadeloupe comme en Martinique, nos sols sont pollués, nos eaux sont polluées, nos aliments sont pollués, nos poissons sont pollués, nos organismes sont pollués... et cette pollution-là va durer encore longtemps. Sans justice il peut difficilement y avoir de la paix, de la confiance.

Olivier Nicolas, 1er secrétaire du PS Guadeloupe

Ne pas en rester là. Aux Antilles, tous s'accordent sur cette position. Si une bataille est en passe d'être perdue, la guerre se poursuit.