DOSSIER. Combat contre l'infertilité : état des lieux et quel accompagnement possible en Guadeloupe ?

Infertilité
C’est le nouveau cheval de bataille du gouvernement, combattre l’infertilité... Un plan de lutte devrait intervenir en cours d'année. En Guadeloupe, entre 20% et 25% des couples ne parviennent pas à avoir un enfant. La plupart sont suivis par le Centre Caribéen de Médecine de la Reproduction.

Un plan de lutte contre le "fléau" de l'infertilité, a été annoncé par Emmanuel Macron. Il devrait être dévoilé dans les 6 prochains mois.

600 dossiers en 2023 en Guadeloupe

L’an dernier, en Guadeloupe, le Centre Caribéen de Médecine de la Reproduction (CCMR) a enregistré 600 nouveaux dossiers. Entre 20% et 25% des couples ne parviennent pas à avoir un enfant. Ils sont considérés comme infertiles s’ils ne parviennent pas à obtenir une grossesse après 12 mois ou plus d'essais. Le CCMR peut les accompagner dans leur désir d’enfant. Le territoire dispose de sa propre banque de sperme et d’ovocytes.  Ce centre situé depuis 2020 à Moudong sud à Jarry devrait investir d’ici à la fin de l’année les locaux du nouveau CHU à Perrin aux Abymes. Un site qui reste peu connu des Guadeloupéens que détaille le docteur Catherine Morinière, cheffe du service de PMA (Procréation Médicalement Assistée) de Guadeloupe au CCMR. 

Une moyenne de 3 donneurs de sperme par an

Un couple sur 4 est concerné par l’infertilité en Guadeloupe. Pourtant, il existe des solutions pour aider, les couples hétérosexuels, couples de femmes et femmes célibataires à réaliser leur désir d’avoir un enfant. La PMA (procréation médicalement assistée) au Centre Caribéen de Médecine de la Reproduction à Jarry. Un centre confronté à une pénurie de donneurs. Seuls trois dons par an sont recensés au CCMR.

L’infertilité, ça va toucher quand même un couple sur cinq, voire un couple sur quatre, donc c’est vraiment très fréquent. Et on a quand même l’impression, en Guadeloupe que ça reste très tabou.

Dr Catherine Morinière, chef du service de PMA, procréation médicalement assistée au centre caribéen de médecine de la reproduction

Très tabou, et pourtant il faut en parler. De nombreuses Guadeloupéennes sont sur liste d’attente, faute de donneurs.

On n’a pas beaucoup de donneurs de sperme dans notre banque. Donc effectivement, on en aurait besoin d'à peu près une vingtaine par an et en moyenne, on en a trois par an.

Dr Catherine Morinière

Seulement trois donneurs en moyenne par an en Guadeloupe, alors que la demande elle va augmenter. 

C’est vraiment très compliqué puisque plus les femmes sont au courant de la nouvelle loi, plus elles vont consulter. Et là, on a déjà une liste d’attente d’à peu près 80 femmes qui attendent leur prise en charge par don de sperme pour avoir leur bébé. Malheureusement, on les met sur une liste d’attente d'à peu près deux ans parce que l'on a une pénurie de donneurs.

Dr Catherine Morinière

Cette pénurie réduit du coup le nombre de tentatives de FIV, fécondation in vitro, et d’inséminations possibles.

Un plan de lutte contre le "fléau" de l'infertilité, annoncé par Emmanuel Macron, devrait être dévoilé dans les 6 prochains mois

Normalement, on a le droit à quatre tentatives de FIV et six inséminations. Mais comme nous n'avons pas assez de donneurs, on va réduire les possibilités de tentatives à deux tentatives de FIV et trois inséminations. Donc effectivement, c’est une perte de chance quand même pour les patientes.

Dr Catherine Morinière

La pénurie de donneurs antillais contraint les personnes receveuses à accepter des donneurs qui n’ont pas les mêmes caractéristiques physiques qu'elles.

Le problème c’est qu’ici, 90 % des patientes vont être d’origine antillaise alors que plus la moitié de nos donneurs sont caucasiens. Donc, nous n'avons pas suffisamment de donneurs antillais pour les patientes qui le souhaiteraient et on est obligé d’attribuer des donneurs caucasiens ou alors d’augmenter nos délais d’attente, en espérant que des donneurs des Antilles viennent.

Dr Sandra Boyer Kacem, responsable du laboratoire et du CECOS, le Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain

Un don encadré par la loi de bioéthique

Le don de sperme et volontaire, anonyme et gratuit. Pour effectuer un don, il faut avoir entre 18 et 44 ans inclus, être en bonne santé. Ce don "est encadré par les lois de bioéthique. Le nombre de naissance est limité à 10 par donneur. Et pour ceux qui seraient inquiets du risque de consanguinité liée à l’insularité, ici en Guadeloupe, on peut aussi faire des échanges" avec l'Hexagone, explique la spécialiste. "On peut envoyer leur don, comme ça, les enfants issus du don seront dans l'Hexagone et nous, faire venir des donneurs de l'Hexagone ici". 

Depuis la nouvelle loi de bioéthique de 2022, quatre bébés sont nés grâce aux dons de sperme en Guadeloupe, et 6 grossesses sont en cours.

Les donneurs ne peuvent pas connaître l’identité des personnes qui recevront leur don et inversement. Depuis 2022, les enfants nés d’un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes ont accès, à leur majorité, si elles le souhaitent, à l’identité du donneur. Le recueil du consentement et la collecte d’informations sur le donneur sont réalisés avant le don. En cas de refus, le don n’est pas possible.

Des dons d'ovocytes également insuffisants

Depuis 2021, la PMA est ouverte pour toutes les femmes, célibataires ou en couple. Si le département fait face à une pénurie de donneurs de sperme antillais, il manque également cruellement des donneuses d’ovocytes alors que la demande est de plus en plus forte. Pourtant, les candidates n’ont pas à se rendre dans l’Hexagone. Elles sont suivies au, Centre de la médecine de reproduction à Jarry.

Comme pour le don de sperme, le nombre de dons ovocytes n’est pas suffisant pour répondre à la demande. En moyenne, une quinzaine de femmes sont prêtes à faire un don chaque année en Guadeloupe et en face, Une trentaine de couples et de femmes célibataires sont sur liste d’attente.

Elles sont moins nombreuses que celles qui attendent pour un don de sperme. Mais bon, en général quand on a une donneuse d'ovocytes, elle donne pour deux, voire trois patientes maximum. Alors que c’est vrai qu’un donneur de sperme va donner pour 15/20 patientes. Donc on a besoin de beaucoup plus de donneuses que de donneurs.

Dr Sandra Boyer Kacem

Et là encore, les profils ne correspondent pas aux attentes. À l’instar des dons de sperme, la plupart des donneuses d'ovocytes "sont d’origine caucasienne et on a des receveuses qui sont d’origine antillaise et donc, ce n'est pas toujours facile de pouvoir respecter leur choix de caractéristiques morphologiques" précise le Dr Boyer Kacem.

Résultat, faute de donneuses antillaises, les couples hétérosexuels et les couples de femmes se tournent vers l’étranger ou le don est rémunéré pour les donneuses. Les femmes célibataires, elles, préfèrent souvent attendre.

On est plutôt aux alentours de 10, peut-être 15 couples, mais ceux qui peuvent, on leur demande de partir à l'étranger parce qu'il y a minimum quatre ans d'attente. En vérité, si on avait plus de donneuses, on pourrait réduire ces délais mais pour le moment on ne peut pas. Et malheureusement, ce sont celles qui n'ont pas forcément la possibilité de partir à l’étranger qui vont attendre le plus longtemps.

Dr Sandra Boyer Kacem

À l’étranger, le don d’ovule ou d'ovocyte peut-être rémunéré entre 5 000 et 10 000 €.

En raison de la pénurie d’ovocytes, le service d’AMP (assistance médicale à la procréation) de Guadeloupe, attribue seulement cinq ovocytes par femme. Comme pour le don de sperme, cela réduit le nombre de tentatives possibles et donc les chances de grossesse.

Le don d'ovocyte plus contraignant mais bien accompagné

Par ailleurs, le don d’ovocytes est un peu plus contraignant.

Les donneuses doivent avoir entre 18 et 38 ans, donc être un petit peu plus jeunes que pour les donneurs, mais également en bonne santé. La contrainte du don d'ovocytes, c’est qu’elles devront avoir une stimulation folliculaire et une ponction au bloc opératoire, ce qui peut freiner. Mais en général, cela se passe très bien et on les accompagne tout le long du parcours. C’est vraiment quelque chose de très altruiste, qui est important pour aider toutes nos patientes qui attendent.

Dr Boyer Kacem

Les frais sont entièrement pris en charge. Le don site et volontaire anonyme est gratuit. Le don de gamètes d’une donneuse ne peut pas conduire à la naissance de plus de 10 enfants, les traitements liés au don ne diminuent pas les chances de grossesse ultérieure de la donneuse et n'avancent pas non plus l'âge de la ménopause.

Les donneuses ne peuvent pas connaître l’identité des personnes qui recevront leur don d’ovocytes et inversement. Comme pour les enfants nés d’un don de spermatozoïdes, ceux nés d'un don d’ovocytes ont accès, à leur majorité s'ils le souhaitent, à l’identité du donneur. Le recueil du consentement et la collecte d’informations sur le donneur sont réalisés avant le don. En cas de refus, le don n’est pas possible.
Il n’y a aucune filiation entre l’enfant et le donneur/la donneuse.

L’autoconservation des gamètes, une démarche de prévention pour préserver la fertilité

Femme, homme, en couple ou célibataire désirant un enfant mais n'étant pas prêts peuvent faire congeler ses gamètes : ovocytes ou spermatozoïdes. L’autoconservation des gamètes est autorisée depuis la loi de bioéthique 2021. Une démarche de prévention pour préserver la fertilité, soumise à plusieurs critères.

Il n'est plus nécessaire de réaliser un bilan médical d’infertilité. C’est un choix personnel et non une indication d’ordre médical. 

Cette procédure réalisée en Guadeloupe permet notamment aux femmes d’utiliser leurs ovocytes plus tard et donc d’envisager une grossesse à un âge plus avancé.

Les femmes peuvent congeler leurs ovocytes pour leur propre compte entre 29 ans et 36 ans et 12 mois. Et c’est vrai que cela peut avoir un intérêt puisque, soit elles vont les utiliser pour plus tard si elles n’ont pas réalisé leur grossesse, ou soit elles pourront les donner pour justement alimenter la banque de dons ovocytes. Et puis les hommes aussi peuvent conserver... Pour eux, il y a moins d’intérêt, parce qu’on sait que l’homme il va avoir des spermatozoïdes jusqu’à sa mort presque, mais cela peut quand même être intéressant à savoir.

Dr Catherine Morinière

Pour faire conserver ses gamètes, il faut donc avoir entre 29 et 37 ans pour une femme et entre 29 ans et 45 ans pour un homme. Et une femme doit utiliser ses propres gamètes avant 45 ans, un homme avant 60 ans.

L'autoconservation des gamètes, une prévention

Pourquoi se lancer dans cette procédure ? C’est avant tout de la prévention pour le Dr Morinière, cheffe du service de PMA au Centre Caribéen de Médecine de la Reproduction.

Le message clé, c’est qu'en gros la fertilité, elle est correcte jusqu’à 35 ans et après 35 ans, elle va décliner de façon très importante pour arriver, autour de 40 ans à 5 % de grossesse maximum. Avec beaucoup de fausses couches, beaucoup d’anomalies chromosomiques. Donc le message clé, c’est la prévention. Il faudrait peut-être faire des campagnes de sensibilisation de la population pour faire ses enfants tôt ou alors congeler ses ovocytes et éviter justement ce déclin de la fertilité après 35 ans et 37 ans.

Dr Morinière

En faisant appel à l’autoconservation de ses gamètes, il faudra indiquer chaque année si l'on souhaite les conserver, les utiliser, en faire don à des personnes sur liste d’attente, faire un don à la recherche scientifique ou mettre fin à la conservation.

Ceux qui ne répondent pas aux relances verront leur stock détruit au bout de 10 ans,

Si le recueil ou le prélèvement sont remboursés, en revanche, les frais de conservation des gamètes ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie et restent donc à la charge du patient. Ils sont d'une quarantaine d’euros par an.

Pour tout renseignement ou rendez-vous concernant l’assistance médicale à la procréation, une adresse :
secretariat.pma@chu-guadeloupe.fr

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