Les cocotiers de l’archipel guadeloupéen sont en danger !
Le "jaunissement mortel des palmacées", maladie qui s’attaque aux différentes variétés de palmiers, en est la cause. Localement, elle avait été détectée pour la première fois en mars 2021, sur un domaine privé du Helleux, à Sainte-Anne.
Depuis, malgré les mesures de lutte, le parasite s’est propagé à d’autres communes, y compris en Basse-Terre. Il y a quelques mois, il a gagné des espaces publics ; c’est le cas, par exemple, des plages des hôtels du Gosier, où les cocotiers sont en train de disparaître.
Cette situation n’est pas sans conséquences sur l’activité économique (le tourisme, la filière coco…) et sur l’environnement, notamment.
Des moyens sont mis en œuvre pour tenter de freiner la progression de la maladie.
Une maldie redoutable
Le "jaunissement mortel des palmacées" n’est pas détectable tant qu’il n’y a pas de symptômes visuels ; ceux-ci se traduisent par une chute précoce des jeunes noix, des nécroses au niveau des inflorescences et, par la suite, un jaunissement caractéristique des palmes, de bas en haut, jusqu’à leur chute. Au final, le tronc se retrouve nu.
Les arbres infectés peuvent rester 3 à 12 mois avant de montrer les premiers symptômes. Leur mort s’étale sur 3 à 6 mois.
La maladie est due à un phytoplasme.
Ce n’est pas tout à fait une bactérie, ce n’est pas tout à fait un virus. C’est un organisme bien particulier, qui est transmissible par deux voies : via un petit insecte piqueur-suceur (qui se nourrit de la sève) et les outils de coupe (scies, tronçonneuses, coutelas...). Après la coupe d’un arbre malade, qui peut être asymptomatique, l’outil qui va être contaminé va infecter d’autres arbres sains.
Aurore Cavalier, chargée de mission à la FREDON
La détection de la maladie se fait lors de prospections visuelles aléatoires et sur signalement.
D’ailleurs, si vous observez un cocotier ou un palmier douteux, il vous est demandé de contacter la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) au 0690.18.14.66. Celle-ci, missionnée par la Direction de l’alimentation de l’agriculture et des forêts (DAAF), procède à des prélèvements sur les arbres suspetcs, pour analyse dans l'Hexagone.
D’ores et déjà, on constate que la maladie se propage, de manière redoutable.
Le problème de cette maladie, c’est qu’entre l’observation des premiers cas et maintenant, on a l’impression d’une espèce de flambée. Tous les 15 jours, des arbres présentent des symptômes et ça s’accélère.
Aurore Cavalier, chargée de mission à la FREDON
Pour freiner la progression du parasite, c’est l’abattage des arbres atteints qui est préconisé, dans les plus brefs délais ; un arrêté préfectoral de lutte a été publié en ce sens.
L’inquiétude des hôteliers
La maladie a gagné la Pointe de la Verdure en janvier 2023 et sévit également aujourd’hui à Bas-du-Fort ; ces zones font partie des plus gros foyers recensés dans l’archipel. Les cocotiers y meurent les uns après les autres, ou sont abattus pour ne pas en contaminer d’autres.
Sur les domaines privés et publics des hôtels Arawak et Salako, au Gosier, des opérations d’abattage ont été entreprises.
Alors que les cocotiers sont progressivement décimés, l’attractivité touristique des plages concernées est en jeu.
Si cela ne suffit pas, les plages infectées risquent d’être privées de leurs palmacées d’ici 1 à 2 ans. C’en sera alors fini de la traditionnelle carte postale à laquelle on est habitués : mer bleue, sable blanc et majestueux cocotiers.
Les professionnels de l’hôtellerie sont inquiets.
On se pose la question : à quoi ressemblera cette plage, si tous les arbres venaient à être malades et à devoir être abattus ? Quelles sont les solutions de repli ? Que faudrait-il faire pour pallier à cela et ramener de la végétation ? Au-delà de l’aspect visuel, la végétation a aussi une fonction ; elle procure de l’ombrage à la clientèle et les racines retiennent le sable, lors des grandes marées
Romain Boillon, directeur de l’hôtel Zénitude Salako
Les hôteliers s’en remettent aux services de l’Etat, dont ils espèrent un accompagnement, pour savoir quelles espèces végétales replanter et quelles sont celles à risque.
Quoi qu’il en soit, ils doivent assumer le coût des opérations d’abattage des arbres, sur leur domaine privé. L'enveloppe peut vite s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
La mairie du Gosier mobilisée
Dans le cas des plages, qui font partie du domaine public maritime, l’abattage des arbres infectés par le "jaunissement mortel des palmacées" est la responsabilité des communes (qui ont passé une convention de gestion avec l’Etat).
Restons donc au Gosier, où la municipalité a dû répondre à l’urgence sanitaire ; un gros défi, dans cette commune où les plages sont légion et au regard de la densité des cocotiers.
La FREDON a recensé 27 arbres à abattre sur place, fin septembre ; et le chiffre ne cesse d’augmenter.
La mairie a du mal à suivre. Elle a sollicité une entreprise extérieure pour assurer en partie cet abattage massif.
Nous sommes une commune balnéaire et nous faisons attention à l’image que nous véhiculons. Ça va laisser un espace vide (...). Nous allons faire une action coordonnée, avec les hôteliers, les propriétaires de fonciers de la zone, les étudiants du lycée hôtelier appelés à expliquer aux touristes la raison de cette action et avec les opérateurs de la filière coco.
Liliane Montout, 1ère adjointe au maire du Gosier
Un paysage défiguré
Le chantier d’abattage massif a démarré il y a deux semaines, à la Pointe de la Verdure.
En deux jours, 30 arbres ont été supprimés des plages de l’ex-Callinago et du Salako.
De quoi provoquer l’émoi des touristes et travailleurs du site, pour qui le cocotier est symbolique du paysage paradisiaque qu’offre le territoire.
Une chose est sûre : les arbres abattus sur ces plages ne seront pas remplacés par des cocotiers, mais par des espèces endémiques, plus adaptées pour contrer l’érosion des plages.
C’est ce qu’a décidé la municipalité du Gosier, qui opte pour des essences qui offrent de l’ombre, sont ornementales et faciles d’entretien.
Notre ambition c’est d’être stratégique, puisqu’on a élaboré notre Atlas de la biodiversité. Nous voulons être en cohérence, avec des essences choisies, avoir de la disponibilité dans les pépinières (...) et planifier les replantations avec des essences endémiques.
Cindy Valey, directrice du Développement durable à la mairie du Gosier
À noter que l’anse Dumont, à Saint-Félix, compte très peu de cocotiers et, pour autant, ce site est apprécié par de nombreux baigneurs et amateurs de farniente en plein air.
Privilégier des essences locales, c’est aussi la politique adoptée par la commune de Sainte-Anne.
Avec le retour d’expérience, on s’est rendu compte que les cocotiers ralentissaient très peu l’érosion et avaient quand même des facteurs aggravants, via leur système racinaire très dense et qui ne retient absolument pas le sable. Du coup, la priorité pour nous est de mettre en avant les essences issues du territoire et qui sont adaptées. Donc, les cocotiers sont très bien en arrière-plage, pour le côté carte postale, mais en termes de recul du trait de côte, ils n’offrent pas les avantages du raisinnier, du catalpa, du mapou, du palétuvier... des essences déjà présentes sur notre beau littoral de Sainte-Anne.
Garry Pisiou, directeur de l’environnement et du cadre de vie à la Ville de Sainte-Anne.
Un autre problème sera ainsi éradiqué : les chutes dangereuses de cocos. Une maigre consolation pour les amoureux des majestueuses palmacées.
Foyer éradiqué à Petit-Canal
Une note d'espoir, tout de même.
En deux ans et demi, dans tout l’archipel, la FREDON a procédé à plus de 2000 prélèvements au total, sur des arbres suspects, avec environ 130 retours positifs. Aujourd’hui, on compte une douzaine de foyers de la maladie.
Certains explosent, comme sur les plages de la Pointe de la Verdure, au Gosier.
À l’inverse, il y a le cas intéressant de Petit-Canal, où la maladie avait été détectée en mars 2022, sur plusieurs cocotiers d’une exploitation agricole de Duval. Après quelques abattages et 18 mois de surveillance, ce foyer est aujourd’hui considéré comme éradiqué.
Pendant la surveillance, tous les 4 mois, on refait des prélèvements, pour confirmer ou pas le statut du pathogène : est-ce qu’il est toujours présent ou est-ce qu’il disparaît ? Le cas de Petit-Canal s’explique par rapport au contexte : il y avait une vingtaine d’arbres un peu isolés au milieu d’un GFA entouré de cannes ; ce qui a limité la propagation. L’atout aussi c’est l’agriculteur, qui a été très réactif ; il a coupé rapidement les arbres suspects.
Aurore Cavalier, chargée de mission à la FREDON
Une campagne de sensibilisation
"Cocos en danger ; sauvons la filière !".
C’est le slogan d’un flyer diffusé depuis plusieurs semaines par la FREDON. Il vise à sensibiliser les vendeurs d’eau de coco (et ceux qui cueillent les fruits), à la menace que représente le "jaunissement mortel des palmacées". Les bons gestes à appliquer pour préserver la ressource et protéger la filière sont rappelés.
La bio-sécurité, c’est tous les bons gestes à avoir pour ne pas être soi-même vecteur. Les vendeurs de coco, lorsqu’ils récoltent chez des particuliers, lorsqu’ils achètent à droite à gauche, il faut qu’ils désinfectent à l’eau de javel tout ce qui est griffe, scie... entre chaque site, d’une propriété à l’autre.
Aurore Cavalier, chargée de mission "surveillance biologique du territoire" à la FREDON
Les particuliers détenteurs de cocotiers sont aussi directement concernés.
Julienne, une Abymienne de 78 ans, a quelques arbres chez elle. Un vendeur d’eau de coco vient régulièrement s’approvisionner chez elle ; il passe ainsi de jardin en jardin.
Julienne a découvert l’existence de la maladie en allant prendre un bain sur la plage du Salako, au Gosier. Et elle est bien décidée à faire passer l’information autour d’elle, afin de sauver nos cocotiers et toutes les douceurs culinaires qui en découlent.
Le coco va manquer, parce que les gens boivent davantage l’eau de coco. Chez moi, les cocotiers sont encore bien verts. Je vais bien les surveiller et parler de la maladie autour de moi, y compris au monsieur qui vient prendre des cocos chez moi.
Julienne, abymienne propriétaire de cocotiers
Outre la beauté du paysage de carte postale, il s’agit aussi de sauver une boisson naturelle très prisée, ainsi que l’ingrédient phare de bien des spécialités locales.