Une large part de la population haïtienne est confrontée à une problématique qui pourrait paraître secondaire, au regard de la grave sécuritaire qui sévit en Haïti depuis plusieurs années, mais qui est pourtant lourde de conséquences : ils sont des millions à être invisible aux yeux de l’administration, car privés de papiers d’identité.
Cette calamité touche, une fois de plus, les personnes les plus précaires, les plus vulnérables. Sans existence légale, leur quotidien est d’autant plus compliqué. Sans preuve de leur citoyenneté, elles sont confrontées à de grandes difficultés pour accéder aux services publics, comme la santé ou l’éducation. Dans l’impossibilité de voter ou de faire valoir leur droit, elles sont victimes d’une discrimination systémique qui se renforce.
Être né, grandir et évoluer sans existence légale
Ce manque de reconnaissance administrative concerne environ 40% de la population haïtienne, un chiffre alarmant qui reflète une crise mondiale. En effet, selon la Banque mondiale, près de 850 millions de personnes dans le monde ne possédaient toujours pas de pièce d'identité en 2022. Les femmes, souvent plus affectées par ce problème, subissent des discriminations accrues en raison de leur absence de statut légal, exacerbant ainsi les inégalités de genre.
Les histoires de Paula Pierre et Robert Jean illustrent parfaitement les obstacles qui se dressent sur le chemin de ces sans-papiers.
Paula Pierre, une femme d'une trentaine d'années, n’a obtenu son acte de naissance que récemment. Elle est née dans une section rurale reculée. Ses parents n'avaient ni les moyens, ni l'accès aux services d'état civil pour enregistrer sa naissance.
Pendant des années, Paula a vécu sans identité légale, une absence qui a lourdement pesé sur sa vie quotidienne. Sans pièce d’identité, il lui était impossible d'ouvrir un compte bancaire ou même de récupérer des fonds envoyés par sa tante des États-Unis.
Ce n'est qu'avec l’aide de proches qu’elle a pu réaliser certaines démarches administratives, comme l'enregistrement d'une carte SIM.
Le cas de Robert Jean, un homme de 71 ans, montre l'importance de projets comme "Poto Mitan". Orphelin et sans acte de naissance depuis l'enfance, il a pu, grâce à cette initiative, obtenir une identité légale. Pour la première fois de sa vie, Robert sera inscrit sur les listes électorales et pourra exercer son droit de vote.
Obtenir des papiers : un pas vers l’intégration sociale
Ce projet "Poto Mitan", soutenu par Expertise France et financé par l’Agence française de développement (AFD), vise à fournir des services d’état civil dans les zones les plus reculées du pays. Il s'inscrit dans une démarche plus large de déconcentration des services publics, visant à rendre ces derniers accessibles à tous les citoyens, où qu'ils se trouvent. Cette initiative démontre que l'identité légale est plus qu'une simple formalité administrative. Elle est le fondement des droits civils et humains. Shedline Aurélien, représentante de l’AFD à Port-au-Prince, souligne l’importance pour l'État haïtien de garantir à tous ses citoyens ce droit fondamental. Il s'agit de permettre à chacun de se sentir reconnu et de participer pleinement à la vie de la société.
Les actions allant en ce sens sont donc cruciales pour répondre aux besoins de millions de citoyens invisibles et leur offrir l'accès à une vie plus digne et équitable. Le droit à l’identité est un pas vers l’intégration sociale et la réduction des inégalités, une avancée essentielle dans la lutte contre les injustices en Haïti.