Ronald Sanders, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis et à l’Organisation des États américains (OEA), a jeté un pavé dans la mare, jeudi 22 février 2024 : dans une tribune, il affirme que la France et les États-Unis devraient, selon lui, être à l'avant-garde des efforts visant à rétablir l'ordre et à reconstruire la nation haïtienne, du fait de leur rôle dans le développement d’Haïti. "La France et les Etats-Unis ont brisé Haïti ; ils devraient être les premiers à réparer ce pays", a-t-il déclaré.
Le diplomate antiguais a participé la veille à une réunion des ministres des affaires étrangères du G20, qui s’est tenue au Brésil. Sur place, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a mis à l’ordre du jour une problématique : l’arrivée massive de réfugiés haïtiens sur les côtes étasuniennes, dans le contexte d’instabilité de ce pays de la Caraïbe, parmi les plus pauvres du globe.
Lorsque les ministres des Affaires étrangères des pays les plus riches du monde se sont réunis au Brésil le 21 février 2024, la situation désastreuse d'Haïti a trouvé un bref moment d'attention – non pas dans l'ordre du jour principal mais en marge de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 à Rio de Janeiro. Cette mise à l’écart est emblématique de la faible priorité accordée à Haïti par ces puissances mondiales.
Ronald Sanders, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis et à l’OEA
Pour rappel, les USA ont maintes fois plaidé pour l’envoi en Haïti d’une mission de sécurité, en soutien à la police locale, pour notamment mettre un terme aux exactions commises par des gangs armés, qui contrôle une bonne partie du territoire, dont la capitale et sa périphérie. Mais, la proposition du Kenya de diriger cette force est bloquée par la justice de ce pays (un tel déploiement est jugé "inconstitutionnel, illégal et invalide") et, par ailleurs, les nations ne se bousculent pas pour y contribuer.
Néanmoins, le secrétaire Blinken a continué d’encourager le G20 et d’autres pays, des régions développées et en développement, à rejoindre la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS). Jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pas réussi à obtenir des engagements de troupes, sauf du Kenya et de quelques pays de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). L’absence particulièrement notable d’engagements de troupes de la part des pays européens, en particulier de la France – ancienne puissance impériale en Haïti et principal bénéficiaire de ses richesses produites par les esclaves – souligne ce point. Les États-Unis eux-mêmes n’ont engagé aucune troupe. Au lieu de cela, il s’est efforcé d’amener les pays d’Afrique et des Caraïbes à envoyer leur personnel militaire.
Ronald Sanders, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis et à l’OEA
Ronald Sanders a déploré le manque de considération de la communauté internationale pour les Haïtiens eux-mêmes.
Quotidiennement, des faits graves sont rapportés : là-bas, des hommes, des femmes et des enfants sont persécutés, affamés, en proie à la violence, aux viols, aux kidnappings, à la peur.
L’ambassadeur d’Antigua et Barbuda estime que, pour avoir profité de l’exploitation de Haïti, dans le passé, les Etats-Unis et la France doivent assumer leur responsabilité dans "l’appauvrissement et la déstabilisation" du pays.
Mais, dans toute analyse de la situation haïtienne, la France et les États-Unis ont une responsabilité particulière, car ils ont largement profité du pays et l’ont ensuite déstabilisé. Aucun des deux pays, quels que soient les problèmes de politique interne auxquels ils sont confrontés, ne peut être exonéré de sa responsabilité dans l’appauvrissement d’Haïti. La lourde dette imposée par la France après l'indépendance d'Haïti et l'ingérence financière et politique prolongée des États-Unis ont laissé de profondes cicatrices sur la capacité d'Haïti à s'autogouverner et à prospérer.
Ronald Sanders, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis et à l’OEA
Mais des réflexes historiques freinent le moindre élan de solidarité, selon lui
Je soutiens que le problème est avant tout un problème de racisme passif – un mépris pour Haïti qui n'existerait probablement pas si sa population était blanche. Cette attitude raciale passive, presque irréfléchie et réflexive est également mêlée à l’idée selon laquelle Haïti est un pays corrompu où des milliards de dollars d’aide ont été soit mal gérés, soit volés. Ces deux éléments constituent un breuvage toxique que les décideurs politiques occidentaux doivent avaler.
Ronald Sanders, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis et à l’OEA
En plus de l’urgence d’une action militaire, le Caribéen plaide pour la mise en place d’actions concrètes pour la reconstruction d’Haïti, sur tous les plans : infrastructurel, politique, social, etc. Une aide à apporter, en impliquant la population locale.