Delysia et son mari sont les heureux parents de deux petits garçons. Un bonheur pour la famille qui n’efface pas le souvenir de Gia, leur premier bébé.
Il y a quatre ans, le couple a vécu ce que redoute tout parent, la perte d’un enfant et le drame du deuil périnatal.
8,1 décès pour 1 000 naissances en Guadeloupe
Selon l’Organisation mondiale pour la Santé, le deuil périnatal la perte d'un bébé entre la 22e semaine d'aménorrhée et le 7e jour après la naissance.
L’Insee indique qu’en moyenne sur la période 2019-2021, le taux de mortalité infantile était de 3,7 décès pour 1 000 naissances vivantes en France. Un taux qui varie selon les territoires. Il était plus élevé dans les départements d’outre-mer : 8,9 ‰ à Mayotte, 8,2 ‰ en Guyane, 8,1 ‰ en Guadeloupe, 7,2 ‰ en Martinique et 6,7 ‰ à La Réunion.
Delysia est devenue une Mamange
En perdant Gia, Delysia est devenue une Mamange. « Un terme qui me parle » explique-t-elle. Mamange, contraction de maman et ange, désigne les mamans qui ont perdu leur bébé avant la naissance ou à quelques jours seulement de vie.
Delysia regrette d’ailleurs que "le dictionnaire français ne dispose pas d’un terme pour les parents qui perdent leur enfant. Quand on perd ses parents, on devient orphelin. Quand on perd son époux ou son épouse, on est veuve ou veuf. Mais rien quand on perd un enfant".
Alors qu’elle se réjouissait de devenir mère pour la première fois, le cœur de Gia a cessé de battre… A 9 mois et 2 semaines de grossesse.
"Je me suis rendue à la maternité des Eaux Claires, car je sentais qu’elle ne bougeait pas comme d’habitude".
Lors de la première écho, ce soir-là, les soignants tentent de la rassurer. Mais l’une des sages-femmes lui dit que son rythme cardiaque du bébé "n’est pas top top top". Trois mots qui, aujourd’hui encore agacent la jeune femme. Elle insiste pour avoir une réponse plus précise. On lui explique alors que le cœur de Gia ne bat pas comme il faudrait, mais personne ne semble alarmé. Il est convenu qu’elle passe la nuit en observation. Des monitorings réguliers sont réalisés. Le dernier à minuit. On lui indique que le prochain sera à 6 heures du matin.
Au petit matin, une sage-femme se présente pour l’examen. Delysia se souvient de chaque instant de ce moment… Des éclats de rire avec son mari juste avant… Mais surtout de l’expression de cette professionnelle de santé qui vient effectuer le contrôle et qui ne décèle rien. "Elle nous a dit que sa machine avait un problème. Je pense qu’elle savait déjà que ma fille était décédée. Elle n’a pas su le verbaliser. Elle a préféré me faire croire que la machine avait un problème".
Delysia est alors emmenée dans une autre salle… Très vite arrive le gynécologue pour le nouvel examen. "J’ai vu sur l’écran que le cœur de ma fille ne bougeait plus. Et là, c’est le silence. Même le docteur n’a pas su quoi nous dire. Le plus dramatique, c’est que j’étais à la clinique. J’y ai passé la nuit. J’étais sous surveillance. Et malgré ça, j’ai perdu ma fille".
À peine le temps de réaliser que la jeune femme est transférée à la Polyclinique, dans l’aile du centre hospitalier universitaire, pour y être déclenchée.
Delysia doit accoucher de son bébé, par voie naturelle, le 26 mai 2019, jour de la fête des Mères.
Je suis croyante et je me dis que c’est ce rôle que Dieu me donnait. De la mettre au monde et de l’accompagner. Je pensais l’accompagner dans un berceau. J’ai finalement dû l’accompagner dans un cercueil. Je me suis dit : accepte ce rôle.
Delysia
Des paroles qui lui apportent un réconfort mais la réalité est ô combien difficile.
"Quand j’ai su qu’elle était morte, je n’ai pas voulu qu’elle parte. Je ne voulais pas qu’elle parte".
L’accouchement déclenché piétine… Delysia reste plus de 10 heures en salle de travail, son col dilaté à 3 centimètres. La jeune femme s’accroche à cette grossesse et retarde sa finalité douloureuse.
C’est après une séance d’hypnose, qu’elle décide de lâcher prise. "Il fallait la laisser partir".
"Je savais qu’il n’y aurait pas de cri" raconte-t-elle.
Quand on passe par là, on fait preuve de résilience sur le moment. On vit vraiment chaque instant comme si c’était le dernier. Avec mon mari, nous nous sommes créés un cocon où nous étions deux, soudés. On s’est dit : on avance à deux, main dans la main. C’était douloureux de se dire qu’on ne l’entendrait pas, qu’on ne la verrait pas les yeux ouverts. Mais, on a eu la chance de la voir, de la prendre dans nos bras.
Delysia
Pourtant, dans un premier temps, la jeune maman refuse, par peur. Peur de ne pas sentir son bébé tant attendu.
Son époux intervient alors.
Il m’a dit que nous n’avions que deux heures à passer avec elle. Que nous devions la voir, la prendre dans nos bras. Que l’on aurait pas d’autre chance. J’ai accepté… Heureusement, sinon, je n’aurais pas pu faire mon deuil. J’ai pu mettre un visage sur les coups de pieds. Ces deux heures ont duré 10 minutes. C’est passé tellement vite. C’était un pur bonheur de passer ces moments privilégiés avec notre fille.
Delysia
Arrivés à deux, le couple repart sans son bébé. "Je suis partie sans mon enfant. J'avais encore mon ventre de grossesse, mais pas de bébé. Quand on quitte l'hôpital après avoir eu un mort-né, on a rien et ça aussi, c'est dommageable. Quand on perd un parent, on peut se rattacher à plein de choses, à des souvenirs, des images. Nous n'avions rien, à part des échographies". Heureusement, une sage-femme leur a remis les empreintes de leur fille. Un cadeau inestimable.
Commence alors un délicat deuil. Deuil rendu difficile par une cacophonie administrative. Comment organiser les funérailles ? Vers qui se tourner ? Selon Delysia, l'hôpital les informe que leurs services peuvent s'occuper des démarches ou qu'ils peuvent tout organiser. Ce sont des parents perdus qui reçoivent des informations contradictoires sur l'après, la demande d'autopsie, les échanges avec la morgue. "On aurait dit qu'on était les premiers à qui cela arrivait et qu'ils devaient accompagner".
Cet accompagnement, Delysia y tient... Alors qu'elle était très visitée par le corps médical avant le drame, elle constate que sa chambre est évitée, juste après. "Le lendemain, c'était comme si je n'existais plus. La maman a besoin qu'on vienne la voir, qu'on la prenne dans les bras".
Elle a pu compter sur le soutien de sa famille. Car, elle le rappelle, les parents ne sont pas les seuls frappés par ce deuil.
Les funérailles de Gia ont eu lieu près d'un mois après sa venue au monde.
Quatre ans après, Delysia ne s'explique toujours pas la perte de sa petite fille. "Il n'y a pas eu d'explication suite à l'autopsie. Elle se portait bien. Pas de maladie, pas de malformation".
Une épreuve qui laisse des traces. "On vit avec son deuil mais on ne le fait vraiment jamais. J'ai eu la chance d'avoir d'autres enfants, mais j'oublie certaines choses. Le corps garde des séquelles. J'étais sujette aux blackouts. J'ai oublié certaines choses. Peut-être pour me protéger".
Aujourd'hui, quand je vois une femme enceinte, je ne lui dis pas "Félicitations". Elle n'est pas encore arrivée au bout.
Delysia
Après Gia, elle n'a pas souhaité annoncer ses autres grossesses. "Certains l'ont compris, d'autres non". Elle a aussi dû faire face à des paroles qui manquaient cruellement de bienveillance : "Vous aurez d'autres enfants, ne vous inquiétez pas".
La jeune femme a pu compter sur le soutien indéfectible de son époux. L'épreuve a renforcé leurs liens. Ensemble depuis le lycée, ils ont choisi de mettre la communication au centre de leur mariage.
J'ai dû comprendre et accepter que son deuil n'était pas le mien. Son deuil, il l'a vécu après moi. Quand Gia est morte, il s'est focalisé sur moi, jusqu'à la fin. Quand nous sommes rentrés, il a été d'un grand soutien émotionnel. Il m'a enveloppé. Quand il a vu que je commençais à émerger, il a commencé à faire son deuil. J'avais besoin d'en parler. Lui, un peu moins.
Delysia
Nanm an nou, un cocon pour les parents
Delysia a pu trouver un groupe et du soutien au sein de l'association "Nanm an nou", créée en 2022 par Faye Pergent avec Megguy Brudey, conseillère en parentalité, qui vise à accompagner les familles touchées par le deuil périnatal.
Ici, on accueille aussi les femmes ayant dû subir une IMG, une interruption médicale de grossesse, une fausse couche. Mais aussi celles qui ont vécu une interruption volontaire de grossesse. "Parce qu'il y a quand même un deuil, au final. Peu importe la situation des familles, nous sommes là pour les femmes et les hommes qui sont passés par là", explique Delysia, l'une des premières adhérentes, aujourd'hui secrétaire de l'association. "Des femmes qui ont eu un IVG qui remonte à plusieurs années n'arrivent pas à vivre avec le deuil de cet enfant qu'elles n'ont pas eu", précise-t-elle.
L'association souhaite sensibiliser le grand public autour du deuil périnatal, effacer le tabou qui existe encore. "Il y a une culture du silence autour de ce deuil-là qu'il n'y a pas dans le deuil "normal", des non-dits. Probablement parce que cela ne va pas dans le sens de la vie. C'est en passant par là que les langues se délient" poursuit Delysia.
Les personnes qui se rapprochent de l'association, au-delà de l'écoute, importante, peuvent également obtenir des références de professionnels de santé qui sauront les accompagner. Nanm an nou a fait le constat qu'il y a des carences au niveau du corps médical, notamment. C'est aussi le ressenti de Delysia. "En plus du protocole médical, il faudrait un protocole empathique", plaide la jeune femme.
De plus en plus de professionnels de santé participent aux conférences organisées par l'association, "ce qui montre une prise de conscience et une situation qui tend, on l’espère, à s’améliorer" selon Delysia.
Des ateliers d'art-thérapie sont organisés. Toujours dans le but de favoriser la parole, tout en respectant le cheminement de chacun.