Sur un cliché pris par un photographe employé par l’AFP, un agent à cheval attrape un homme par son tee-shirt. Sur une autre, il tient un groupe à distance en faisant tournoyer ses rênes, dans une posture menaçante.
Ces images "de mauvais traitements de migrants haïtiens le long de la frontière sont horribles et très dérangeantes", a estimé dans un communiqué l’élu démocrate Bennie Thompson, qui préside la commission sur la Sécurité intérieure à la Chambre des représentants.
"C’est horrible à regarder", a reconnu la porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki lors d’un point-presse. "Je ne connais pas le contexte, mais je ne vois pas dans quel cadre ce serait approprié", a-t-elle ajouté.
Le secrétaire d'Etat Antony Blinken s'est entretenu lundi avec le Premier ministre haïtien Ariel Henry "de la coopération afin de rapatrier les migrants haïtiens au sud de la frontière des Etats-Unis", a indiqué le département d'Etat.
Les deux hommes ont fait part de leur "préoccupation commune pour la sécurité des citoyens haïtiens".
Antony Blinken a également discuté au téléphone avec son homologue mexicain Marcelo Ebrard de "la coordination pour la gestion du flux de migrants clandestins", a indiqué un porte-parole.
De longues rênes ou des fouets ?
Des patrouilles équestres ont été déployées dimanche près du fleuve Rio Grande, où des milliers de migrants, dont une majorité d'Haïtiens, campent depuis plusieurs jours dans l'espoir d'être admis aux Etats-Unis, a expliqué à la presse le chef des gardes-frontières Raul Ortiz.
"Je leur ai demandé de chercher si des individus étaient en détresse et de rassembler des renseignements sur des passeurs", a-t-il ajouté, en soulignant que "contrôler un cheval dans un fleuve est difficile".
Il semble que, dans ce cadre, certains aient utilisé des longues rênes, a ajouté le ministre américain de la Sécurité intérieure Alejandro Mayorkas. D'autres y voient des fouets, rappelant les heures sombres de l'esclavage. "Nous allons mener une enquête pour être sûrs que la situation est bien celle-là, dans le cas contraire, nous agirons en conséquence", a-t-il assuré.
La scène s'est produite alors que des migrants se lavaient dans le Rio Grande ou traversaient le fleuve pour aller chercher de la nourriture au Mexique et la rapporter à leur famille restée sur le sol américain, selon l'auteur des photos, Paul Ratje.
Subitement, cinq ou six agents à cheval sont arrivés et leur ont demandé de retourner au Mexique. "La situation était tendue, et les migrants ont commencé à courir pour les contourner", rapporte-t-il. "Un des agents a attrapé l'homme de la photo par le t-shirt. Je ne crois pas qu'il ait été blessé".
"Je n'ai pas vu de coups de fouet, mais les agents ont fait tournoyer leurs rênes", a-t-il encore raconté.
La tension est ensuite retombée, et les gardes-frontières ont laissé ces migrants rejoindre le camp de fortune.
Crise politique pour le président Biden ?
L'afflux de migrants à la frontière s'est transformé en crise pour l'administration Biden.
A Del Rio, Alejandro Mayorkas a affirmé que les migrants haïtiens recevaient de fausses informations sur la possibilité de rester aux Etats-Unis, déclarant également que les Etats-Unis accéléraient leurs processus de rapatriement vers Haïti, considérant un tel retour comme sûr pour eux.
"Nous avons répété que nos frontières ne sont pas ouvertes et que les gens ne devraient pas entreprendre un tel voyage dangereux", a déclaré le ministre.
"Si vous venez de manière illégale aux Etats-Unis, vous serez renvoyés", a-t-il ajouté.
Alejandro Mayorkas a également affirmé qu'il était raisonnable de renvoyer ces migrants vers Haïti, malgré l'instabilité politique qui y règne, et les conséquences du tremblement de terre qui a touché le sud-ouest du pays le 14 août.
Des expulsions qui pourraient être en violation du droit international
Les Nations unies ont exprimé mardi leur profonde inquiétude face aux expulsions massives de migrants haïtiens par les Etats-Unis, qui pourraient contrevenir au droit international.
"Les expulsions massives et sommaires qui se déroulent actuellement en invoquant le Titre 42 (un règlement sanitaire auquel se réfèrent les autorités américaines pour défendre les expulsions Ndlr), sans tenter de déterminer les besoins en termes de protection, sont contraires à la norme internationale et pourraient être assimilées à du refoulement", qui est condamné par le droit international, a souligné le Haut-commissaire de l'ONU aux réfugiés Filippo Grandi, dans un communiqué.
Tout demandeur d'asile a le droit de voir sa demande examinée
Le Haut-commissaire s'est dit "choqué" par les images des milliers d'Haïtiens trouvant un abri précaire sous les pont autoroutiers de Del Rio au Texas.
Plus tôt dans la journée, le Haut-commissariat aux droits de l'homme de l'ONU et le HCR, que dirige Filippo Grandi, avaient joint leurs voix pour rappeler que tout demandeur d'asile a le droit de voir sa demande examinée.
"Nous sommes profondément inquiets du fait qu'il n'y ait eu aucun examen individuel dans le cas" des Haïtiens, a déclaré une porte-parole du Haut commissariat aux droits de l'homme, Marta Hurtado, lors d'un briefing régulier de l'ONU à Genève.
Et "peut-être que certaines de ces personnes n'ont pas bénéficié de la protection dont elles avaient besoin", a-t-elle souligné.
Shabia Mantoo, porte-parole pour le HCR, a souligné pour sa part lors du même point de presse que la demande d'asile était "un droit de l'homme fondamental".
"Nous appelons à ce que ces droits soient respectés", a-t-elle dit.
Rythme plus soutenu des expulsions
Le président américain, Joe Biden, a annoncé samedi qu'il allait accélérer le rythme des expulsions par avion des près de 15 000 migrants, surtout des Haïtiens, regroupés depuis des jours sous un pont au Texas.
Les expulsions d'Haïtiens avaient été provisoirement suspendues après un séisme qui a dévasté leur pays le mois dernier.
"La grande majorité des migrants continue à être expulsée" immédiatement en vertu d'une règle sanitaire adoptée au début de la pandémie pour limiter la propagation du virus, a précisé le ministère américain de la Sécurité intérieure.
La porte-parole du HCR a rappelé l'opposition totale de l'agence à cette politique et réitéré l'appel à tous les pays à "accorder le droit d'asile à tout ceux dont la vie en dépend".
"Il y a d'autres moyens de gérer la santé publique (...) et en même temps de garantir le droit à demander l'asile. C'est tout à fait possible", a-t-elle insisté.
Parallèlement, le HCR avait salué l'annonce lundi par la même administration Biden que les Etats-Unis accueilleraient 125 000 réfugiés en 2022, le double par rapport à cette année, pour répondre aux besoins générés par les crises humanitaires dans le monde.
"Ce plan reflète l'engagement du gouvernement américain et du peuple américain à aider les réfugiés les plus vulnérables à reconstruire leur vie en toute sécurité", a déclaré Shabia Mantoo.