Pourquoi le statut à la carte va bousculer le débat de l'évolution statutaire ?

Dans son rapport "Différenciation territoriale outre-mer, quel cadre pour le sur-mesure ? "le sénateur de Saint-Barthélémy Michel Magras, bouscule les codes du débat de l'évolution statutaire. Pour Victorin Lurel, les élus disposent, enfin, d'une bonne base de travail.

Guadeloupe 1ère : Quelle est votre analyse de ce nouveau rapport remis par la commission sénatoriale présidée par M.Magras ?

Victorin Lurel : C’est un bon rapport. Un rapport d’audition, d’analyse, qui recueille la parole de tous les élus sauf Mayotte et la Réunion, mais tout le monde a donné son point de vue. D'ailleurs, lors du dernier congrès des élus avec le président Chalus, la présidente Borel, nous pensions déjà qu'une évolution passerait par l’assouplissement de la constitution des deux articles 73 et 74. En fait, il fallait touver une solution laissant le libre choix aux élus. Ce rapport est donc parfaitement conforme avec ce que les deux congrès organisés en Guadeloupe ont conclu.

Guadeloupe 1ère : Cette solution dite "à la carte" est-elle, selon vous, de nature à lever les blocages idéologiques qui paralysaient le débat autour de cette question ?

Victorin Lurel : Sur le plan national, il faut se souvenir que le président Macron avait commencé un processus qu'il a arrêté en raison de la crise des gilets jaunes. Il a dit vouloir reprendre cette réforme. Cependant, les parlementaires de la droite n’ont pas attendu et ont présenté une proposition de Loi « Pour le plein exercice des libertés locales » qu’ils nous ont soumise.
Nous avons fait venir des experts et notamment le constitutionnaliste Stéphane Diémert qui a travaillé en Polynésie pour rédiger des amendements à proposer à cette loi. Tout cela pour dire que si ça ne bouge pas au niveau national, derrière les élus et la population ne bougeront pas. Une belle occasion s’est présentée au Sénat sous la forme de ce rapport. 

Mais ce n’est qu’une proposition. Elle devra aller à l’Assemblée et peut-être qu'elle ne va pas prospérer compte tenu de la majorité. Mais en tout cas nous, élus de la Guadeloupe, la Guyane, la Polynésie, nous sommes d’accord pour dire que le texte est excellent. Il permet de choisir sa voie, son statut son régime législatif, l’étendue des compétences que l’on peut déléguer, chacun demandra en fonction de ses capacités. Enfin, une organique sera proposée, le texte sera soumis à la population et elle décidera.
 

Il faut montrer à la population qu'on ne part pas à l'aventure

Victorin Lurel



Guadeloupe 1ère : Justement, de quelle manière le texte sera-t-il proposé aux électeurs ?

Victorin Lurel : Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à la question posée, on ne devra pas simplement cocher "Oui" ou "Non", puisqu'on ne sait jamais ce que ces mots cachent. En réalité, un texte sera soumis, un texte entier. Il s'agira de dire "Voilà ce que l’on vous propose". Cette solution permet de vaincre la peur de la population en démontrant que l'on ne part pas à l'aventure mais que l'on s'inscrit bien dans le cadre de la Constitution.

Guadeloupe 1ère : Vaincre nos blocages c'est une chose, mais qu'en est-il de ceux de l'Etat ?

Victorin Lurel : Traiter de manière identique des situations différentes est une discrimination. Il faut adapter, déroger, libérer. C’est ce qui est proposé là. Le 73 comprend la notion d’adaptation mais est traitée de manière restrictive par le Conseil Constitutionnel et on casse vite les choses. L’uniformité des politiques est contre-productive c'est un fait. Nous cherchons une solution plus souples.  Il faut pacifier et les cœurs et les esprits car la raison doit l’emporter.

C'est bien la crise sanitaire qui a démontré ce besoin de délibérer au local.On peut comprendre, voire approuver les mesures prises par le Préfet ou l’ARS mais c’est limité. Nous, élus, sommes consultés par visioconférence, mais beaucoup de choses nous échappent. Le meilleur exemple ce sont les "Dotations d'équipement des territoires ruraux". C’est le préfet qui reçoit les demandes et il ne communique pas sur les dossiers reçus mais non traités ou non élligibles. C’est le préfet qui décide et on ne sait pas combien d’argent retourne à l’Etat. Au final, l’Etat décide s’il applique ou non, s'il paie ou pas.

C'est pourquoi nous avons voulu constitutionnaliser le principe de qui paie décide. Je m'explique, vous avez une compétence sur les routes, si l’Etat décide de changer les normes de construction, ensuite, il ne met pas à disposition les fonds nécessaires pour appliquer ces nouvelles normes. Or, il doit assumer à l’euro près les compétences supplémentaires qu’il délègue.
 

On crée une nouvelle collectivité, les Pays d’Outre-Mer qui choisiront leur statut par loi organique et référendum.

Victorin Lurel



Guadeloupe 1ère : A quelques mois d'échéances électorales locales importantes, est-ce le moment politique de travailler un tel texte ?

Victorin Lurel : On m'a souvent accusé d'agiter la peur sur cette question et j'ai toujours dit que c'était faux. J'ai aussi dit que j'attendais d'avoir un bon texte. Aujourd'hui, nous avons l'avons. Lors du dernier congrès des élus nous avions aussi un accord a minima, même si certains ont très peur. Mais il faut être courageux . Nous devions d'ailleurs avoir un nouveau congrès en décembre 2020, mais le président Chalus ne semble pas pressé de l'organiser. Il y aura à la place un congrès sur la santé, pourquoi pas, c'est opportun et d'actualité. 

Mais d'une manière globale, nous devons oser. Nous avons fait le choix de retravailler le 6ème article du texte traitant de la fusion des articles 73/74 dont l'original était fort mal rédigé. Nous avons substitué à ce texte imparfait par celui de Stéphane Diémert qui est audacieux mais équilibré. On choisit son mode de fonctionnement sans perdre en argent ou en dotation.

On crée une nouvelle collectivité, les Pays d’Outre-Mer qui choisiront leur statut par loi organique et référendum.
Il faut poser la question de la cartographie des communes EPCI et compétences locales. Pourrions-nous faire des transferts transversaux ? Il y a une vraie réflexion à mener.

Pour (re)voir le sujet d'Hervé Pédurand et Rony Maléty