Vent de fronde contre la hausse des prix des carburants, en Guadeloupe

Prix des carburants à la hausse
Les transporteurs et une partie du monde politique militent pour la baisse des prix des carburants, en Guadeloupe. Les entreprises ne peuvent pas faire face à l'augmentation effective depuis le 1er novembre. L'occasion pour nous de décrypter la formation des tarifs, fixés sous le contrôle de l'Etat.

Depuis le 1er novembre 2021, les prix des produits pétroliers ont considérablement augmenté, en Guadeloupe.
La hausse du litre de diesel est de 12 centimes ; celle du litre de super sans plomb est de 8 centimes.

Cela n'est pas sans conséquences, pour les professionnels du transport, qui risquent de boire la tasse. Mais ils comptent bien se rebeller.

Quelques politiques montent aussi au créneau, pour que tous les leviers soient activés, afin de revenir à une situation viable pour tous, dans notre petit territoire insulaire, mal desservis par les transports publics.

Le secteur des transports à bout de souffle

Au sein des socio-professionnels, la colère gronde. Les entreprises de taxi, d'ambulance, les auto-écoles, les transporteurs de passagers, d'élèves, ou encore du secteur du Bâtiment travaux publics (BTP) sont tous directement impactés par la hausse des prix des carburants.
Les dépenses induites par cette situation s'ajoutent aux lourdes pertes engendrées par la crise sanitaire toujours en cours. 

C'est le cas de Ludovic Moula, dont la société de transport de passagers, installée à Capesterre-Belle-Eau, passe un peu plus chaque jour de l'instabilité au mode détresse. Sur les 20 salariés d'avant-Covid, il ne lui en reste que 5 encore en activité. Les véhicules sont à l'arrêt.

©Guadeloupe

Même sentence pour les transporteurs de marchandises, qui ne peuvent pas faire face à une telle augmentation des prix, comme le confirme Kévine Rosan, secrétaire du syndicat des transporteurs de marchandises de la Guadeloupe :

©Guadeloupe

 

Ultimatum des socio-professionnels

Ces entrepreneurs n'entendent pas se laisser faire. Ils appellent à l'organisation d'une série de réunions, avec les autorités et élus locaux. Leur but est d'obtenir la baisse des tarifs pratiqués à la pompe, jumelée à un gel des prix, comme le confirme Jean-Yves Ramassamy, porte-parole du Collectif des socio-professionnels :

©Guadeloupe

S'ils n'obtiennent pas satisfaction, l'éventualité de blocages est envisagée. La stratégie du Collectif des socio-professionnels n'est pas précisée. Ses membres ne manqueront pas d'aviser, le moment venu.

Jean-Yves Ramassamy, porte-parole du collectif des socio-professionnels et Simon Vainqueur, président de la Chambre de métiers et de l'artisanat de la Guadeloupe    
Socio-professionnels opposés à la hausse des prix des produits pétroliers


Les politiques montent au créneau

Dans un communiqué titré "Prix des carburants : une triple peine pour les Guadeloupéens", la Fédération guadeloupéenne du Parti Socialiste s’alarme de l’explosion des tarifs des produits pétroliers, dans l'archipel, qui "atteignent des niveaux jamais atteints, dépassant ceux qui avaient précédé le mouvement social de 2009, qu'ils avaient d'ailleurs contribué à déclencher".
Après calculs, le premier secrétaire fédéral du PS, Olivier Nicolas, précise que les hausses intervenues le 1er novembre (+12 centimes pour le litre de gazole et +8 centimes pour le super sans plomb) représentent une augmentation de 6€ pour un plein de 50 litres de diesel et de 4€ pour le même plein de super. Mais, si l’on se réfère aux prix en vigueur au 1er janvier 2021 (1,21€ pour le gazole et 1,37€ pour le super), en dix mois, le plein pour un véhicule diesel coûte 16€ de plus et 19€ de plus pour le sans plomb. Quant à la bouteille de gaz, son prix a bondi de plus de 10 euros, sur la même période.
Or, les Guadeloupéens "ne disposent toujours pas d’un réseau de transports collectifs fiable et régulier sur tout le territoire, ni d’alternatives sérieuses aux énergies fossiles pour se déplacer", rappelle Olivier Nicolas.
Face à cette situation, les Socialistes de Guadeloupe appellent le gouvernement, mais aussi la Région et le Département, à "agir sur tous les leviers à leur disposition" (baisse de taxes, négociations avec les pétroliers, ou encore chèques énergie régionaux).  

Communiqué de presse du PS Guadeloupe - prix des carburants - 02/11/2021


La hausse des prix des carburants est aussi dénoncée par le secrétaire général de l'Union pour la Libération de la Guadeloupe (UPLG), comme étant "injuste et inacceptable". Le parti indépendantiste mentionne, dans son communiqué "Halte au racket sur les prix des produits pétroliers", les "conséquences gravissimes sur la santé financière des ménages, en particulier les familles les plus démunies".
"Toutes ces augmentations ne doivent pas être acceptées sans réactions (...) le peuple guadeloupéen ne peut accepter d'être spolié et écrasé sans réagir", tonne Gaston Samut, le secrétaire général de l'UPLG, qui appelle à "agir pour contrer cette nouvelle atteinte à la vie de notre peuple".
Parallèlement, il appartient à la population, mais aussi à "nos scientifiques, nos chercheurs, nos investisseurs" de "s'engager et promouvoir des solutions durables nouvelles, qui nous retirent de l'option du tout pétrole, option qui nous met à la merci des multinationales et du colonialisme français", selon l'UPLG. 
Le parti prône donc une forme de décroissance, qui n’est pas sans rappeler le discours de certains écologistes.

Communiqué de l'UPLG - Prix des produits pétroliers - 31/10/2021


Auparavant aussi, la députée Justine Bénin (apparentée MoDem) a fait savoir, dans un courrier adressé au Premier ministre, Jean Castex, son souhait de procéder à une "concertation très large", afin de renégocier les éléments de fixation du prix des carburants : refonte des marges, soutien aux professionnels, mise en place de dispositifs pour les plus nécessiteux, remise à plat de l'organisation du transport public... "Les territoires d'Outre-mer sont extrêmement dépendants de la voiture individuelle et le transport représente près du tiers des dépenses de consommation des ménages guadeloupéens et martiniquais", a écrit Justine Bénin.

Lettre de Justine Bénin à Jean Castex - augmentation du prix du carburant - 01/11/2021

 

Hausse des prix des produits pétroliers : décryptage

La hausse des prix des carburants résulte de trois facteurs qui s’additionnent :

  • L’augmentation du cours du baril de brut, soit +14% au cours mois d’octobre, avec un pic à 86 dollars, le 26 octobre dernier. Il est, depuis, redescendu à 81 dollars ;
  • A cela s’ajoute la parité euro-dollar, qui est moins est moins favorable. En clair, il faut plus d’euros pour acheter du dollar, qui demeure la monnaie de référence dès que l’on parle de pétrole ;
  • Enfin, on y ajoute une augmentation de la demande de produits hydrocarbures, avec la reprise de l’activité économique, qui suit l’allègement des mesures de confinement.

Est-ce que ces hausses vont se poursuivre ? 
Oui, malheureusement pour les consommateurs. La tendance reste orientée à la hausse.

Est-ce qu’il y a un moyen de freiner ces hausses ou de les geler ? 
Dans l’absolu, oui, parce que c’est l’Etat qui fixe les règles. En pratique, c’est extrêmement compliqué. Le système de fixation des prix des carburants, aux Antilles-Guyane, est régi par le décret Lurel. Ce texte est la réponse de l’Etat à la crise sociale de 2009, qui était aussi et d’abord une crise de l’essence. Un texte difficile à mettre en place. Sa mise en œuvre a été effective, en janvier 2015, soit près de 6 ans après la grève générale du LKP. 
Pour résumer, le texte impose une diminution des marges, aux pétroliers et à la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) mais, en contrepartie, sanctuarise la marché et le jeu des acteurs.

Justement, qui sont ces acteurs ?
Prenons un exemple : celui du super sans plomb, dont le litre coûte 1,75 euro, depuis le 1er novembre 2021. Ce tarif couvre :

  • La matière première : le brut représente 72 centimes du prix ;
  • Le paiement de la SARA : 22 centimes (à noter la distinction faite entre la part industrielle et logistique et la rémunération garantie) ;
  • Les distributeurs (grossistes et gérants de station-service) sa partagent 20 centimes ;
  • Les taxes : 61 centimes. L’essentiel va aux collectivités locales et 4 centimes reviennent à l’Etat, au titre du certificat d’économie d’énergie.
Prix des carburants ; qui gagne quoi ?


Quels sont les acteurs qui peuvent bouger ?

  • Le premier (la matière première) est totalement autonome. Aucune prise sur le marché mondial ;
  • Les deux suivants (SARA et distributeurs) sont régis par le décret Lurel. Compliqué. Faisable, mais compliqué... et cela va prendre du temps ;
  • Reste les derniers (collectivité et Etat) et là, il y a des marges. Mais le Conseil Régional verrait alors diminuer l’une de ses recettes. Nous avons contacté le cabinet d’Ary Chalus, qui nous a indiqué que rien n’est prévu en ce sens, pour l’instant.