Dans la perspective d’une évolution de la législation française sur le cannabis à usage médical, la Guadeloupe se positionne, avec un ambitieux projet de production et de recherche. Il est porté par la FTPE, en partenariat avec une société canadienne, Manitou, et l'accompagnement de l'INRAE.
Il ne s’agit pas d’une idée fumeuse, mais d’un projet très sérieux et ambitieux : la Guadeloupe va bientôt produire du cannabis, à usage thérapeutique (appelé aujourd’hui cannabis médical), dès que la législation française le permettra…
Le projet, déjà bien avancé, est porté par la FTPE (Fédération des très petites entreprises), qui s’est rapprochée d’un groupe québécois : les entreprises Manitou, spécialisées dans la cannabiculture et dans la fabrication de bâtiments agricoles intelligents. Ce sont des filiales de l’agence Léveillé Conseil, une firme de relations publiques et de communication stratégique, basée à Montréal, et spécialisée en infrastructures et santé. Elle a accompagné l’Etat canadien lors de la légalisation du cannabis dans ce pays en octobre 2018. Félix-Antoine Léveillé, président de Léveillé Conseil, nous en dit plus sur le groupe Manitou :
Qui est Manitou ?
« Nos travaux de recherche en cannabiculture sont axés sur les thérapies combinatoires, afin d’offrir aux patients une alternative à la consommation d’opioïdes »
Une plateforme de production et de recherche
La culture de cannabis destinée à la fabrication de médicaments sera menée en milieu fermé et contrôlé, en l’occurrence dans des « bâtiments-serres » de haute technologie, fournis par Manitou. Aucune donnée n’est communiquée pour l’heure sur le lieu d’implantation de cette production guadeloupéennne, ni sur le montant de l’investissement et les quantités produites. En revanche, la FTPE indique que les études ont déjà été réalisées concernant les variétés de chanvre qui seront cultivées.
Cette production, expliquent les porteurs du projet, sera adossée à un laboratoire de recherche sur l’utilisation thérapeutique du cannabis, comme alternative aux opioïdes (dont la morphine) dans le traitement des douleurs, notamment celles liées aux crises des patients souffrant de drépanocytose. Ecoutez cette présentation du projet par les présidents de Manitou et de la FTPE :
Présentation du projet
« Le projet de développement industriel de cannabis thérapeutique en Guadeloupe est un projet d’exportation vers l’Amérique du nord et l’Europe, et ensuite vers la France, quand cela sera autorisé »
Création d’emplois
Ce projet s’inscrit dans une démarche de relance économique défendue par la FTPE, qui veut développer à l’export une série de produits agro-transformés innovants et porteurs d’emplois. Avec le projet de cannabis thérapeutique, la FTPE table sur la création de 1 000 à 1 500 emplois directs et indirects. « Sur la partie recherche, nous allons travailler avec le Centre caribéen de la drépanocytose, le CHU, l’Université des Antilles… », indique le président de la FTPE Guadeloupe, Alan Nagam.
L’investissement sera assuré par le groupe Manitou, mais une société d’exploitation autonome, Manitou Antilles SA, va être créée, avec un actionnariat majoritairement local, comme le précise Alan Nagam, qui évoque aussi d’autres projets concurrents dans la Caraïbe :
Manitou Antilles
L’INRAE partenaire du projet
L’INRAE Antilles-Guyane accompagne la FTPE et le groupe Manitou dans ce projet de production de cannabis à usage thérapeutique, mais aussi dans les autres projets en cours en matière d’agriculture sous abri à partir des prototypes développés par l’entreprise canadienne. Harry Ozier-Lafontaine, directeur de recherche à l’INRAE Antilles-Guyane :
Harry Ozier-Lafontaine
Une délégation canadienne était attendue en Guadeloupe en avril 2020, pour présenter officiellement le projet. Re-programmée pour mars prochain, cette visite a dû être à nouveau reportée, en raison de la crise du COVID. Les partenaires espèrent pouvoir démarrer d’ici 2022, en comptant sur une prochaine légalisation de ce cannabis médical par la France…
Que dit la législation française ?
A ce jour, la culture de cannabis, même à des fins médicales, reste interdite sur le territoire français. S’agissant de l’usage thérapeutique du cannabis, une prochaine étape vers sa légalisation est prévue avec des expérimentations sur 3 000 patients, qui doivent démarrer d’ici fin mars 2021. Elles ont été autorisées par un décret du ministère de la Santé, publié le 9 octobre 2020.
Ces essais, qui vont durer deux ans, seront réalisés dans un cadre contrôlé et limité, auprès de patients souffrant de maladies graves. Cinq indications thérapeutiques ont été retenues : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non), certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes, certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou aux traitements anti-cancéreux, les situations palliatives (de fin de vie), et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
Cannabis médical : THC et CBD
Les médicaments utilisés pendant l’expérimentation contiendront du THC et du CBD. Ils seront administrés sous forme d’inhalation ou d’ingestion orale (capsules ou huiles.) Le cannabis à fumer est exclu du protocole. Ces médicaments seront importés, en attendant l’autorisation d’en produire en France.
Le THC, molécule psychoactive du cannabis, est la substance qui provoque l’effet euphorisant, recherché dans l’usage récréatif du cannabis. Le CBD, ou cannabidiol, qui n’a pas d’effet psychotrope ni addictif, est utilisé pour ses propriétés relaxantes, dans ce que l’on appelle le « cannabis bien-être ». Il présenterait également des vertus antalgiques, anti-inflammatoires et antispasmodiques. Des médicaments à base de cannabidiol de synthèse sont ainsi commercialisés en pharmacie. Mais on trouve désormais aussi des produits dérivés à base de CBD (à plus faibles doses) en libre accès dans des boutiques spécialisées. Car la Cour européenne de justice a estimé en novembre 2020 que ce cannabidiol n’était pas classé comme stupéfiant. Sa production à partir du chanvre reste cependant illégale. Le laboratoire de recherche qui sera implanté en Guadeloupe étudiera les propriétés des deux molécules.
Le cannabis à usage médical est aujourd’hui autorisé dans 22 pays européens…