Agro transformation en Guyane : Mélissa Deie innove avec sa semoule de fruit à pain

Mélissa Deie
Habituée à fabriquer et consommer des semoules telles le couac (fait à partir de manioc), Mélissa Deie a eu l’idée de travailler un aliment inédit : le fruit à pain. Après deux ans et demi de tests, elle est parvenue à créer un produit goûteux dont elle est fière. Cette semoule de fruit à pain, elle l’a nommée Enala, qui signifie « elle parmi toutes » en businenge. Une manière de perpétuer son héritage boni.

L’histoire n’est pas banale. Après les durs mois de confinements, Mélissa, son mari et leurs trois enfants partent en vacances, profitant d’une liberté dont nous étions tous privés. Cette fois, la famille opte pour la Guadeloupe. « Dans l’avion, on nous a proposé du quinoa, se souvient la jeune femme de 36 ans. Les enfants n’ont pas apprécié et ne l’ont pas mangé. »

Au-delà du côté gustatif, ce que regrette la mère de famille, c’est le choix même de ce produit. « On ne nous a pas mis au parfum de la destination. Pourquoi nous proposer du quinoa et ne pas nous sensibiliser aux produits locaux ? »

Dès leur descente d’avion, un aliment s’impose : le fruit à pain ! Si, en Guyane, il ne fait pas partie des habitudes de la famille, l’arbre et son fruit sont incontournables en Guadeloupe. « Sur la route qui nous menait à notre commune de résidence, nos trois filles criaient "fruit à pain !" à chaque fois qu’elles en voyaient un ! », s’esclaffe Mélissa Deie.

Une formation de géographe

Après avoir entendu plusieurs dizaines de fois le nom, une idée commence à germer dans l’esprit de la mère de famille : « et s’il y avait quelque chose à faire de ce produit présent en abondance ? »

Il faut dire que Mélissa Deie a l’habitude de laisser courir son imagination. Alors qu’elle suivait un cursus de géographe à Orléans, la jeune femme, originaire de la vallée du Maroni, revient au pays pour son mémoire de fin d’études. Elle travaille alors sur le développement agricole sur le Haut-Maroni. Cette expérience est révélatrice.

Géographe de formation, Mélissa Deie a choisi de se tourner vers la valorisation de produits agricoles

« Je me suis rendu compte qu’en dehors du cadre familial, les produits n’étaient pas valorisés. Il y avait énormément de choses à faire. J’avais envie de faire comprendre aux agriculteurs comment à partir de leur manioc ils pouvaient produire autre chose, avec une forte valeur ajoutée. »

On parle d’autonomie, mais si on n’a pas l’autonomie alimentaire, on n’ira pas loin

Mélissa Deie

Mélissa Deie aime à le rappeler : « la base du développement économique est agricole. » À cette volonté de développement, s’ajoute une envie, comme un besoin, de valoriser sa culture. En 2017, elle se forme à la pâtisserie. De son imagination et de ses mains, naissent ses « boni kuku », galettes des rois à base de farine de manioc, des « goma », galettes roulées fourrées aux légumes, au poisson ou au poulet, des cocktails à base de gingembre… « Je combine ma tradition et ma formation », résume Mélissa Deie, qui, depuis, a lancé ses marques La maison d’Isis et Kwaka.

Qu'il s'agisse du fruit à pain, comme ici, ou d'autres produits, Mélissa Deie est mue par un objectif unique: valoriser les ressources présentes sur le territoire

Faire de la semoule, une technique usuelle dans la culture businenge

Lors de ces vacances en Guadeloupe, Mélissa Deie décide de concrétiser son idée. « La ressource était là, partout. On a mangé du fruit à pain à l’eau, en crème, en migan… Mais chez moi, on a l’habitude de consommer des semoules. »

Premiers tests en Guadeloupe

Alors la jeune femme commence ses tests. Durant son séjour guadeloupéen, elle parvient déjà à produire quelque chose. Mais il lui faudra attendre de revenir en Guyane pour trouver la bonne formule… au bout de deux ans et demi et de nombreux tests auprès de ses filles et son mari. « Il fallait un produit qui soit bon, mais qui tienne aussi, sans conservateur. » Car pour Mélissa Deie, l’aliment doit être le plus naturel possible et lié à la disponibilité de la ressource, selon la saison. Le verdict auprès des premières « testeuses » est sans appel : « mes filles ont adoré ! »

Acoupa, semoule de fruit à pain et sauce chie:le plat proposé par Mélissa Deie a du succès auprès des premiers clients

Une recette tenue secrète

Aujourd’hui, Enala, sa semoule de fruit à pain, dont la recette est tenue secrète, est en phase d’analyse auprès du laboratoire Bio Stratège, étape importante avant sa commercialisation à plus grande échelle. Pour l’heure, Mélissa Deie prépare et commercialise de temps à autre, des repas qui intègrent la fameuse semoule, cuite à la vapeur, parfois avec de l’acoupa et accompagnée d’une sauce chien. Si l’odeur d’Enala rappelle un peu le fruit à pain, difficile, au goût d’imaginer qu’il s’agit du produit de base. Les premiers clients sont bluffés et apprécient à la fois la texture, le goût et l’originalité du produit. Pari réussi pour la créatrice.