"Injuste, discriminant, humiliant": la colère monte contre le dispositif "100% contrôle" de l’aéroport Félix Eboué en Guyane

Les contraintes du 100% contrôle à l'aéroport Félix Eboué
Destiné à lutter contre le trafic de drogue, le dispositif "100% contrôle" mis en place depuis deux ans à l’aéroport Félix Eboué en Guyane, est fortement critiqué ces derniers jours. Suite au témoignage de Milo, publié sur nos réseaux sociaux, vous êtes nombreux à témoigner en expliquant en avoir aussi été "victimes".

Lundi 24 février, "Tròp Violans" a interpellé la mairie de Matoury pour dire "non au dispositif 100% contrôle". Mobilisée devant la mairie, l’association a mené cette action pour échanger avec les acteurs politiques, et notamment la municipalité de Matoury, commune sur laquelle se situe l’aéroport Félix Eboué.

Le témoignage de Milo, jeune déficient visuel

Aux côtés des membres de l’association, Milo, un jeune homme déficient visuel raconte son histoire. Il devait prendre l’avion le 14 février, mais l’embarquement lui a été refusé à la suite du contrôle à l’aéroport Félix Eboué.

Originaire de Kourou, il devait se rendre dans l’Hexagone pour voir sa compagne et suivre une formation de clavier pour déficient visuel.

Je vois très flou de l’œil droit et je ne vois rien de l’œil gauche. Je partais en France pour suivre une formation au clavier avant de suivre une formation d’éducateur spécialisé.

Milo

"Stigmatisés et discriminés"

Ce motif aurait été jugé "non valable" par les policiers. Milo écope d’une interdiction de voyager. "Il faut arrêter avec le 100% contrôle, c’est de la discrimination plus qu’autre chose", s’indigne Milo qui veut que des "solutions soient trouvées".

"La population est stigmatisée, discriminée et surtout empêchée de voyager, notamment Milo, a réagi Olivier Goudet, président de l’association "Trop Violans". Le 8 décembre 2024, nous avions défini des bases à l’aéroport Félix Eboué, avec la volonté d’apaiser ce contrôle discriminant par rapport à la population, mais depuis, rien n’est fait".

Regardez leurs réactions sur Guyane La 1ère :

Trop violans opposé au 100% contrôle à l'aéroport

En déplacement à Paris, le maire de Matoury, Serge Smock doit rencontrer dans les prochains jours des conseillers d’Emmanuel Macron pour échanger autour "d’enjeux de sécurité".

"La municipalité tient à rappeler qu’elle n’est ni responsable de la mise en place du dispositif 100% contrôle, ni de sa gestion. (…) Cette mesure relève de l’Etat. Toutefois Serge Smock profitera des rencontres prévues avec les autorités pour aborder la question des trafics et du phénomène des mules sur le territoire guyanais", explique la municipalité.

Une vague de témoignages

Il y a deux ans, les forces de l’ordre ont commencé à contrôler les passagers quittant la Guyane pour l’Hexagone. Ce dispositif "100% contrôle" a été mis en place pour lutter contre le trafic de drogue.

Selon les autorités, son efficacité est avérée, car il a permis de diminuer fortement les saisies de stupéfiants à l’arrivée à Paris. Mais ce dispositif est fortement critiqué, jugé "injuste, discriminant ou encore humiliant" par de nombreux passagers qui s’en disent "victimes". Suite au témoignage de Milo sur Guyane La 1ère, vous êtes nombreux à avoir fait part de votre colère et vos expériences personnelles sur nos réseaux sociaux.

"Je suis venue en vacances découvrir la Guyane, raconte une jeune femme. Je suis noire, locksée et tatouée. Bizarrement dans la salle d’attente de leur soi-disant "contrôle aléatoire", on avait tous le même profil.

J’aime beaucoup la Guyane, mais se faire fouiller comme une criminelle quand on n’a rien à se reprocher, ce n’est pas pour moi. Je reviendrais quand ils sauront que les touristes noires existent et qu’on a aussi le droit de devenir découvrir la Guyane, sans faire de délit.

Une touriste

"Humiliant et rabaissant"

Pour Bernard, un autre jeune homme qui témoigne sur Guyane La 1ère, "c’est humiliant et rabaissant de se faire embarquer devant tout le monde comme si l’on était déjà suspect"

J’ai des amis qui ont pris des arrêtés d’interdiction de vol pour cinq jours sans rien avoir fait d’illicite et qui ont perdu l’argent de leur voyage, c’est dégueulasse.

Bernard, voyageur

De nombreux passagers expliquent aussi que les forces de l’ordre ciblent souvent des voyageurs qui ont acheté leur billet à la dernière minute. "Le souci n’est pas le 100% contrôle, estime l’un d’eux. Le souci c’est la discrimination qu’il y a derrière, l’humiliation, le refus de laisser embarquer, les faux tests positifs, et le non-remboursement des billets".

Des faux tests positifs

Plusieurs voyageurs font part de faux tests positifs. L’un d’eux raconte avoir écopé à trois reprises d’une interdiction de voyage. Il réside en France et venait voir sa mère hospitalisée en Guyane. Il aurait été testé positif, mais assure n’avoir ingéré aucune drogue. Il aurait alors demandé une vérification à l’hôpital, mais faute d’équipe de police disponible, rien n’a été fait, raconte-t-il en assurant qu’il a engagé des poursuites devant le tribunal administratif.

Une mère de famille raconte aussi comment son fils a été "victime" du dispositif. "Il a été menotté devant son père qui l’avait déposé à l’aéroport et qui était triste de penser que son fils lui mentait, raconte la mère de famille sur Guyane La 1ère. Le premier test était positif". Son fils aurait alors demandé avec insistance qu’un second test soit effectué. Il s’est avéré négatif. Tous ces passagers dénoncent de "l’acharnement et de la discrimination".

Hier j’ai encore été victime de cela à l’aéroport, comme à chaque fois que j’y mets les pieds. J’ai pas mal voyagé et il n’y a qu’en Guyane, qu’on me fait ce genre de coup là.

Un passager

Plusieurs arrêtés contestés devant le tribunal

Depuis la mise en place du dispositif 100 % contrôle, le tribunal administratif de Cayenne a traité plusieurs affaires en lien avec ces arrêtés préfectoraux interdisant de sortir du territoire. Les victimes saisissent le tribunal qui, après enquête, peut décider de valider ou non le maintien de l'arrêté d'impossibilité de quitter le territoire.

Depuis la mise en place du dispositif, le 1er décembre 2022, plus de 13 000 arrêtés préfectoraux ont été émis. D'après le président du tribunal administratif de Cayenne, vingt référés de liberté ont été déposés en 2023 concernant les refus d'embarquement. Neuf personnes ont obtenu gain de cause avec une suspension de l'arrêté.

En octobre dernier, Davy Rimane, le député de la 2e circonscription de la Guyane, dénonçait l'illégalité de ce type de "contrôles au faciès". Il pointait du doigt l'incapacité du gouvernement à lutter contre le trafic de drogue.