L'autosuffisance alimentaire en 2030 pour la Guyane mais avec une nécessaire structuration de la filière végétale

Gilles Sanchez, exploitant maraîcher, président de l'IFIVEG, cultive des poivrons, des concombres, des choux et de la salade sous serre
Pour Gilles Sanchez, le président de l’IFIVEG (Inter profession des filières végétales en Guyane), la Guyane peut parvenir à une autosuffisance alimentaire si les agriculteurs de la filière végétale s’unissent pour réduire les coûts de production et travaillent ensemble. C’est l’objectif de l’association créée depuis 2012 afin de structurer cette filière végétale et d'en coordonner les actions.

Avec le conflit russo–ukrainien nombre de constats existentiels sont posés à l'Europe et la question de l’autosuffisance alimentaire se trouve au cœur des préoccupations des gouvernants. Les céréales essentielles à bien des produits manufacturés vont manquer.

En Guyane, chaque grève ou blocage au Grand port maritime du Dégrad des Cannes entraîne dans les supermarchés des ruptures d’approvisionnement. La crise du transport mondial avec la pandémie covid n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Depuis des mois, certains produits se sont raréfiés dans les rayons et les produits maraîchers dont la salade, augmentent.

Sur sa propriété, Gilles Sanchez, président de l'IFIVEG, produit principalement des tomates, des concombres, des choux, des poivrons et des salades en pleine terre. Une unité hors d’eau et sous serre qui lui assure 12 à 15 tonnes de légumes par an. 

Des poivrons cultivés en pleine terre et sous serre

Pour cet exploitant agricole, très investi dans le développement de la filière végétale, notamment le maraîchage, l'autosuffisance alimentaire ne doit pas être un vain mot.

Peut-on parvenir à une autosuffisance alimentaire en Guyane ?

« Nous faisons tout pour y arriver dans les 10 ans qui viennent avec un programme du développement de l’agriculture guyanaise qui arriverait en 2030 à 80% d’autonomie alimentaire. Cela vaut prioritairement pour les produits qui peuvent être cultivés facilement en Guyane, tout ce qui est racines comme le manioc, le choux, le concombre, la salade. Ce sont des produits prioritaires pour arriver à cette autosuffisance alimentaire. Dans un premier temps nous souhaitons combler le marché local du consommateur, dans un deuxième temps, travailler pour les cantines scolaires et les collectivités. Cela représente de gros volumes à traiter avec de l’aide technique. Il faut mettre en place un calendrier de culture. Un agriculteur seul ne peut décider d’une production sans en connaître les débouchés. Tout cela se travaille en amont avec des industriels qui vont transformer si on arrive à produire beaucoup pour revendre aux cantines ou encore surgeler. »

Il existe des projets de découpe de légumes notamment à Rémire-Montjoly. C’est une initiative privée qui s’accouple à une autre qui concerne la surgélation de légumes (des racines essentiellement). L’interprofession a fait des simulations sur les 10 ans qui viennent sur l’évolution des populations et des marchés. Cela a permis d’évaluer les quantités de légumes susceptibles d’être cultivées en Guyane en mettant de côté ce qui est trop cher ou trop difficile à produire. « Nous ne nous intéressons pas aux niches mais aux productions de masse et de volume qui peuvent permettre de fournir les industriels qui vont les transformer »

Les légumes péyi comme le manioc ou la dachine font l’objet d’une grosse demande notamment pour les cantines. Mais les agriculteurs ne sont pas encore prêts à faire face. Pour l’export : « Ce sont plutôt les agrumes, le citron notamment qui est exportable facilement aux Antilles. C’est d’ailleurs le seul produit qui nous intéresse. Nous sommes en contre saison donc les Antilles importent le citron d’Amérique du Sud. Nous pouvons, à terme, nous introduire sur ce marché. »

Une indispensable structuration de la filière végétale

Selon Gilles Sanchez, les légumes et fruits du Suriname qui arrivent illégalement ne sont, pour l’instant, pas trop gênants puisque la production locale est encore incomplète, sauf pour la banane où cela commence à être problématique pour certains producteurs locaux :

« Cette entrée de marchandise est inquiétante surtout lorsque nous souhaitons augmenter nos volumes de production locale. L’Interprofession végétale est importante car elle regroupe tous les acteurs de la filière végétale. Famille production, famille agro transformation, famille restauration hors domicile, distribution négoce. Nous pouvons donc connaître les besoins de chacun, et leurs difficultés. Par exemple en ce moment c’est l’augmentation du coût des matières premières en lien avec la crise covid et le conflit en Ukraine qui préoccupe.  En Guyane nous avons des coûts de production très élevés, quand il faut rajouter les imprévus sur les engrais, les produits phyto sanitaires ou les serres, les matériels d’irrigation cela donne charges mensuelles importantes et lourdes à supporter. »

Parmi les solutions envisagées par l’IFIVEG, l’une est de solliciter l'ODEADOM l'organisme qui gère les fonds européens pour les Dom Tom avec le POSEI, l'aide européenne spécifique pour l'agriculture en Outre-mer.

Depuis 2017, rappelle Gilles Sanchez, la Guyane a enchaîné les crises à la fois sociale, économique et sanitaire. A cela s’est ajoutée la contrainte climatique avec des saisons des pluies ravageuses qui ont entrainé une diminution du rendement des cultures de 30%. Aussi certains agriculteurs ne sont pas en ce moment en capacité de produire et les importations de Rungis ou d’Amérique du sud se sont accentuées pour combler les manques.
Le mois de septembre s’annonce très incertain pour les producteurs avec la multiplication de ces facteurs handicapants. La réorganisation par petits groupes pour faire face est indispensable : « Dans le secteur du maraîchage, nous essayons de regrouper les commandes pour réduire les coûts à l’achat, tirer les prix vers le bas. Jusqu’à présent chacun se débrouillait dans son coin mais si nous n’anticipons pas sur les commandes groupées, nous n’y arriverons pas ! »

D’est en ouest, il est nécessaire de sortir de la posture individualiste pour s’adapter aux nouvelles règles avec des objectifs communs à respecter selon des calendriers fixes. Tout ce travail associatif s’effectue conjointement avec le soutien technique de la Chambre d’agriculture, de la DAAF (Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt), la Collectivité territoriale de Guyane.
Pour les agriculteurs, il est impératif que l’Accord de Guyane qui prévoyait 10 millions d’euros versés en 4 ans pour l’agriculture soit respecté. En 5 ans, 2,5 millions ont été accordés pour l’appui technique. Une première tranche versée en 2019 qui vient seulement  d’être réalisée.

La prochaine tranche devra répondre aux objectifs que s’est fixés l’IFIVEG dont celui de l'auto suffisance alimentaire :

« Nous mettons en place un centre technique interprofessionnel des fruits et légumes qui va être un appui non négligeable pour aider notamment les agriculteurs à choisir les variétés. Un travail  à effectuer produit par produit dans les 10 ans à venir. Les priorités sont les racines qui peuvent être travaillées partout puis les agrumes en optimisant les rendements grâce à une meilleure connaissance technique et aussi le maraîchage. »

L’agriculture guyanaise se trouve à tournant qu’elle ne doit pas manquer, sinon les deux voisins frontaliers le Suriname et le Brésil s’empareront définitivement du marché agroalimentaire.