Ecoutez ici le magazine de la rédaction réalisé par Véronique Bedz et Jessy Xavier :
Le contexte
28 mars 2017. Des hommes, des femmes, des enfants. Ce jour là, ils sont des milliers à défiler habillés de noir dans les rues de Cayenne. Le mouvement social a commencé il y a huit jours. Syndicats et organisations patronales sont mobilisés. A cette date, trois barrages sont érigés. Celui du rond-point de la Carapa avec le collectif des Toukans, l’UTG éclairage et l’UTG d’Endel, celui de la Collectivité territoriale tenu par les socioprofessionnels, et celui du port avec les transporteurs.
Ce 28 mars, à l’appel des "500 frères", un raz-de-marée humain envahit les rues de Cayenne. 12 000, 15 0000, peut être 20 000 personnes. Peu importe le chiffre, c’est historique. "Le peuple de Guyane est déterminé", scandent les manifestants.
Regardez ci-dessous le Facebook Live de Guyane 1ère dans la marche :
Historique
Ce mouvement n’est pas le premier en Guyane. Auteur d’un texte intitulé "Les Racines de la mobilisation de mars avril 2017 en Guyane", Serge Mam Lam Fouck, professeur émérite à l’Université de Guyane, et Jean MOOMOU, maître de conférences à l’Université des Antilles, estiment que ce mouvement social s’inscrit "dans une longue tradition des outremers". Une tradition qu’ils font remonter au 19ème siècle avec la volonté des peuples de faire respecter le principe d’égalité des citoyens. Leur message : les Guyanais ne sont pas des citoyens de seconde zone.
Regardez ci-dessous le reportage de Guyane 1ère sur cette marche du 28 mars :
Octobre 1992
En octobre 1992 déjà, la Guyane connait une semaine de blocage. Une intersyndicale et le Medef travaillent ensemble pour le développement économique de la Guyane. Ils demandent notamment une politique de grands travaux, des logements sociaux, et des recrutements dans l’enseignement. Des revendications similaires à celles de 2017, pourtant, la mobilisation est incomparable.
"Les revendications étaient légitimes à l’époque, mais seuls les sympathisants du Medef et ceux de l’UTG se sentaient concernés, pas le reste de la population, se souvient Henri Neron, ancien journaliste, ancien directeur régional de RFO Guyane. Cette fois, la Guyane est touchée dans son cœur".
Les manifestants réclament tous plus de sécurité. Ce mot d’ordre touche chaque Guyanais. "C’était une manifestation à l’appel d’un groupe d’homme qui en avait marre d’une situation de violence qui faisait suite à plusieurs meurtres, et tout le monde s’est senti concernés. Tout le monde a été touché par les meurtres d’amis, de proches, de gens qu’il a connu, poursuit Henri Neron. Avec les assassinats de ces deux dernières années, chacun se dit - ça aurait pu être moi - et - on a intérêt à être derrière ce mouvement -". Cette fois, la population est touchée "dans sa chair" et les 500 frères incarnent sa souffrance.
Les "500 frères"
Les "500 frères contre la délinquance" ont été le moteur de la mobilisation. Avant eux, les collectifs "Femmes Dibout" et "Citoyennes et citoyens" ont essayé, mais leurs actions n’avaient pas rassemblé. Les "500 frères" c’est d’abord l’histoire d’un groupe whatapps intitulé "contre la délinquance" et créé le 13 février. Deux jours plus tôt, un jeune homme est mort devant une laverie du quartier Eau Lisette à Cayenne parce qu’il résistait à un voleur.
Le 16 février, les "500 frères" descendent dans les rues de Cayenne habillés de noir et encagoulés. Ils voulaient surprendre. Ils provoquent étonnement et stupéfaction. Les "500 frères" et "Trop Violans" commencent alors à discuter avec le préfet et les services de l’Etat. Leur revendication est avant tout sécuritaire. "C’est la suite logique, nous sommes les enfants du pays et nous avons vu évoluer les choses", explique Mickaël Mancée, qui est alors l'un des leaders des "500 frères".
Les clés de la mobilisation
42 homicides en 2016, plus de 2300 vols avec violence : en Guyane, l’insécurité touche tout le monde et c’est la clé de cette mobilisation. "On est tous touché, il n’existe pas de havre de paix, aucun communauté n’est épargnée, remarque Isabelle Hidair-Krivsky, socio-ethnologue et maître de conférences à l’Université de Guyane. Par ailleurs, trois piliers de la société se sont effondrés en même temps : la sécurité, l’éducation, et la santé. Ça ne peut que fédérer autour de la thématique de l’avenir de la Guyane. "Où va-t-on ?" c’est la question que tout le monde s’est posée".
Le mardi 28 mars, "Nou Bon Ké Sa" devient un hymne repris en cœur par toute une population. Alors cette mobilisation fait-elle un peuple ? "Le peuple ne se décrète pas, affirme Elie Stephenson, écrivain et intellectuel Guyanais. Il existe lorsque des individus sur un territoire prennent conscience qu’ils forment une identité, qu’ils ont des objectifs communs, et une histoire commune qui se déroule selon des péripéties. C’est une manifestation de conscience collective".
Les symboles
Le 28 mars au terme d’une marche historique, l’immense cortège humain arrive devant la Préfecture. Leader des "500 frères", Mickaël Mancée prend la parole. Cette manifestation sera sa force. Ce 28 mars marque une prise de conscience, comme un déclic dans la population.
La construction d’un peuple ne se résume pas à la mobilisation. Il faut aussi partager des valeurs et des symboles. Parfois contesté, le drapeau Guyanais, ne souffre désormais d’aucune récrimination. La signature de l’Accord de Guyane s’est fait sur une table couverte par ces couleurs de la Guyane. Durant cette mobilisation, la Guyane a aussi trouvé sa Marianne. Une simple photo, prise sur un barrage, est devenue virale. Ce visage est celui de Gwendoline Dekon. Regardez ci-dessous le reportage de Guyane 1ère.
Un esprit fissuré
L’esprit du 28 mars peut-il durer ? Au lendemain de la mobilisation, cet esprit prend du plomb dans l’aile. Peu à peu, l’union sacrée se fissure. Le gouvernement et le collectif campent sur leurs positions. Plus le mouvement dure, plus le collectif est en proie aux divisions. Sur les réseaux sociaux, les insultes fusent. Pro et anti-barrages s’affrontent. Les communautés se rejettent la faute et la belle unité semble voler en éclat."En Guyane, on a une division ethnique des activités professionnelles derrière laquelle il y a de la compétition et de la concurrence. On ne peut pas mettre tout cela à plat du jour au lendemain, remarque Isabelle Hidair-Krivsky, socio-ethnologue et maître de conférences à l’Université de Guyane. Il y a eu une prisesde conscience que nous avions des revendications communes, mais nous n’avons pas que des points communs. Les divisions sont donc revenues rapidement, mais une semaine d’unité c’est déjà pas mal. Aujourd’hui les divisions existent, mais il ne faut pas les exploiter, il faut travailler sur une société commune".
Retrouvez ici l'intégralité de l'interview d'Isabelle Hidair-Krivsky :
Travailler sur une société commune
Que restera-t-il de l’esprit du 28 mars dans 6 mois, dans un an, dans 10 ans ? Difficile, aujourd’hui, de répondre à cette question. Comme le souligne Isabelle Hidair-Krivsky, tout dépendra du travail qui sera accompli. Si rien n’est fait pour poursuivre le chemin, le 28 mars n’aura été qu’une belle journée, un souvenir auquel les militants penseront avec nostalgie.