Cela pourrait ressembler à une scène ordinaire de la vie : après un passage au centre commercial, une jeune cheffe d’entreprise patiente avant son prochain rendez-vous à la terrasse d’un café. Pourtant, tandis qu’elle s’entretient avec nous depuis Beyrouth, à une heure et demie de route de sa résidence dans le nord du Liban, Stéphanie Ghaleb Abchée rappelle la réalité. « Toutes les nuits, on entend les avions qui passent au-dessus de nos têtes. Parfois, on les voit lâcher des choses qui font comme des boules de feu. On ressent les vibrations. On sait qu’après, on recevra des notifications pour dire que telle ou telle région a été touchée. »
Née en Guyane, Stéphanie, 36 ans, a fait le choix de s’installer au Liban il y a moins de dix ans, en tant qu’experte en beauté holistique. « Comme la majorité des Libanais de Guyane, j’y allais pour les vacances. Après mes études et mes premières expériences professionnelles, j’ai fait beaucoup d’allers-retours depuis la Guyane.» Deux raisons la motivent à faire du Liban son port d’attache: l’insécurité grandissante en Guyane, qui se manifeste pour elle par plusieurs vols à l’arraché, ainsi qu’une meilleure ouverture sur l’international. La situation pourrait sembler en contradiction avec le contexte géopolitique du pays et son instabilité tant politique qu’économique. Mais à l’entendre, ce paradoxe fait partie désormais d’une composante du Liban. « Le Libanais a une capacité d’adaptation incroyable, forcément influencée par son environnement, avance la jeune femme. Je le vois, ici à Beyrouth : la vie continue, tout fonctionne autour de moi. C’est comme si la guerre était juste un élément dans l’équation, mais que malgré tout cette équation fonctionne. Actuellement, je ne suis pas 100% sereine, mais je ne suis plus dans le même état d’anxiété qu’au début du conflit. »
Les jeunes générations qui ont 40 ans, n’auront jamais connu autre chose que la guerre
Michel Chaya
À des milliers de kilomètres de là, en Guyane, le même fatalisme est perceptible. Installé ici depuis 42 ans, Michel Chaya, 64 ans, entrepreneur bien connu de la place, évoque la beauté du Liban qu’il a quitté à l’âge de 16 ans. « Les Libanais sont malheureusement habitués à ces situations. Il y a eu la guerre en 75, la crise économique en 2019, l’explosion du port… Maintenant, nous voilà victimes collatérales de cette guerre qui n’est pas la nôtre. Je me dis que les jeunes générations qui ont 40 ans, n’auront jamais connu autre chose que la guerre. » À ce fatalisme, s’ajoute une tristesse que le sexagénaire ne cherche pas à dissimuler. « Le Liban, c’est un pays magnifique, mais qui périclite. Quand j’y pense, c’est comme une blessure que j’ai depuis tout petit et qui ne guérit pas. »
Aujourd’hui le Liban est crucifié
Antoine Darjani
Consul honoraire du Liban depuis 1980, Antoine Darjani est revenu il y a quelques semaines d’un séjour au pays. « Tous les jours, on est en lien avec la famille là-bas. Nous, dans les montagnes, ça va. Mais on est triste pour le reste du pays. Moi, je me sens Guyanais. Mon épouse est Guyanaise, mes beaux-parents aussi. Mais mes racines sont là-bas et je me fais un devoir d’y aller régulièrement. Depuis quatre ans, le Liban subissait déjà une crise économique sans précédent : sa monnaie a été fortement dévaluée, puis le port a été détruit... Désormais, le pays est entraîné dans une guerre qu’il n’a pas voulue.» Regrettant « la folie des gens qui veulent le pouvoir à tout prix » Antoine Darjani tient à souligner un point important : le soutien venu de partout. « Les gens prient pour nous, que ce soit en Guyane ou ailleurs. Aujourd’hui, le Liban est crucifié, mais il faut espérer qu’après le Vendredi saint arrive la résurrection. » Ce qu’espère le consul honoraire du Liban, c’est une intervention de Macron « parce que la France a toujours protégé le Liban. »
J’ai l’impression que tous les vingt ans on détruit puis on reconstruit
Georges Karam
Depuis Cayenne, Georges Karam est suspendu aux chiffres. Le gérant du restaurant libanais Le Karbet de Beyrouth suit les chaînes d’actualité pour connaître le nombre de morts, de blessés et de déplacés. « La situation est compliquée. On attend la fin de la guerre pour reconstruire une fois de plus. C’est ainsi : j’ai l’impression que tous les vingt ans on détruit puis on reconstruit… Aujourd’hui, comme on n’a pas de président (le président libanais Michel Aoun a quitté ses fonctions en octobre 2020 dans un contexte de crise politique ; malgré quatre tentatives, le Parlement n'a pas été en mesure d'élire son successeur, ndlr), on a l’impression que personne ne parle pour le Liban, que tous les pays sont avec Israël. Mais nous, notre armée n’est pas assez forte pour se battre contre Israël. » Barhalioun, le village dont il est originaire, au nord du pays, a accueilli une centaine de réfugiés.
Le Liban est un phénix : il renaît toujours de ses cendres
Stéphanie Ghaleb Abchée
Cet élan solidaire, salué par tous, Stéphanie Ghaleb Abchée le mesure au quotidien. « Dans tout le Liban, les gens ouvrent leur maison, donnent des vêtements à ceux qui ont tout perdu. La femme d’ailleurs joue un grand rôle dans cette aide apportée via les ONG sur le terrain. On dit que le Liban est un phénix, qu’il renaît toujours de ses cendres. Je pense que c’est grâce à son peuple et à cette main tendue qui ne fait pas de différence entre les religions ou les partis politiques. Ce peuple Libanais, c’est ce qui fait la force et la liberté du pays. C’est ce qui lui permettra de se relever. »