En Guyane, la surface de la mangrove évolue chaque année en fonction des phénomènes d’érosion et d’envasement. Elle progresse ou disparaît à une vitesse unique au monde : jusqu’à cinq cent mètres par an. La mangrove est un écosystème vital pour la biodiversité aquatique.
La mangrove est un refuge
Avec leurs hautes racines courbées, les palétuviers de la mangrove forment un dédale impénétrable, une muraille végétale où les alevins de poissons et crevettes viennent s’abriter des prédateurs. Ce milieu est la nursery de la vie marine : de nombreuses espèces viennent s’y reproduire.
D’autres en font leur résidence principale : c’est le cas des crabes, ou encore des oiseaux qui nichent à la cime des grands palétuviers. Ces arbres peuvent atteindre quarante-cinq mètres de haut. Là où la mangrove se développe, les animaux s’installent. L’abondance de la pêche côtière dépend donc directement de la présence des mangroves.
À l’Institut de Recherches pour le Développement (IRD) de Cayenne, Christophe Proisy étudie ce milieu aussi extrême que foisonnant. Dans le cadre d’un projet de recherche en partenariat avec l’IFREMER et le CNRS, Christophe Proisy et son équipe tendent d’immenses filets pour comprendre quelles espèces sont présentes, en quelle quantité. Avec ces données, ils tentent de mesurer l’évolution des ressources halieutiques. Les chercheurs mesurent aussi méthodiquement les palétuviers de la côte et des fleuves. La taille de ces arbres les renseignent sur l’ancienneté des mangroves et sur leur état de santé. Pour ces scientifiques, l’enjeu n’est pas uniquement d’évaluer la biodiversité des mangroves, mais également de comprendre finement leurs dynamiques.
Anticiper les changements du littoral guyanais
Sur les trois-cent cinquante kilomètres de côte, la mangrove dépend des immenses bancs de vase qui se déplacent d’est en ouest, à une vitesse moyenne d’un kilomètre et demi par an. Chaque année, 280 millions de mètres cubes de sédiments du fleuve Amazone sont poussés jusqu’en Guyane par le courant océanique. Ils s’accumulent pour former des bancs de plusieurs kilomètres de long et de large, pour une épaisseur moyenne de dix mètres.
Chaque banc de vase représente deux à trois milliards de mètres cubes de sédiments. Lorsque ces masses gigantesques dépassent suffisamment le niveau des vagues, les palétuviers s’y implantent. Ils peuvent alors pousser de deux à quatre mètres par an et forment rapidement des forêts compactes. La houle océanique vient parfois les arracher, laissant apparaître des cordons sableux.
Mais peut-on prédire ce cycle d’apparition et de disparition de cette mangrove nomade ? C’est la question qui préoccupe l’équipe du Dr. Proisy. Les observations de terrain sont croisées avec des images satellites de la mangrove qui retracent son évolution depuis les années 50.
Les scientifiques développent un modèle informatique qui devrait, à terme, réussir à anticiper l’évolution de la mangrove sur cinq ans. L’objectif de cet outil est d’aider les décideurs politiques à prendre les bonnes décisions, car le littoral est un espace stratégique où se concentre la majeure partie de la population guyanaise. Connaître les zones les plus à risque d’érosion a donc son importance.
La mangrove et le changement climatique
Le constat du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est clair : le niveau des océans monte. Ce phénomène est dû à deux facteurs. Premièrement, l’eau se dilate quand elle se réchauffe. Ensuite, la fonte des glaciers fait augmenter la quantité d’eau liquide sur notre planète. La cadence s’accélère, si le niveau de l’eau augmentait de 1,9 millimètres par an entre 1971 et 2006, c’était 3,7 millimètres entre 2006 et 2018. Le changement climatique entraîne aussi une multiplication des phénomènes extrêmes, dont les tempêtes océaniques. Lorsque la houle déferle sur le littoral et emporte la plage ou le sol au large, c’est ce que l’on appelle l’érosion. Les vagues ont aussi un impact sur les mangroves : si elles sont trop hautes par rapport au banc de vase, les palétuviers ne peuvent pas s’enraciner.
Bien entendu, les scientifiques restent prudents. Ces phénomènes sont extrêmement complexes et dépendent de nombreux facteurs, il est pour l’heure difficile d’affirmer que le changement climatique menace la mangrove guyanaise. Inversement, dire que la mangrove protège le littoral de notre territoire est un raccourci dangereux. La mangrove est avant tout un indicateur des forces qui le travaillent.
Mais les spécialistes de la mangrove observent cependant qu’à certains endroits, les bancs de vase peinent à se solidifier pour atteindre le niveau nécessaire à l’implantation des palétuviers. Christophe Proisy et son équipe observent l’évolution de ces zones avec attention, car une modification profonde du cycle des mangroves pourrait bouleverser les équilibres naturels dont dépendent de nombreuses espèces…Parmi lesquelles, l’espèce humaine.