Réduire l’anxiété liée à l'épidémie de Covid-19 grâce au dispositif d'aide et d'écoute des psychologues de Guyane

La permanence téléphonique de soutien durant la crise sanitaire du Covid-19 est toujours active. Une ligne gratuite anonyme mis en place par l’association des psychologues dont l’objectif est l’écoute. Depuis deux semaines, les appels redoublent.

 "Ingrid" a 47 ans. Depuis deux semaines, elle ne sort pas de chez elle. Célibataire, ses enfants sont hors du département. Elle se fait livrer ses courses pour ne pas avoir à quitter son appartement. Et quand elle n'a pas d'autre choix, elle est en mode commando : masque, visière, pancho, gants, lingettes désinfectantes à portée de main. Ingrid rase les murs. Elle a peur. Une peur déraisonnée, déraisonnable. Ingrid a peur d’attraper le Covid-19. Cette maladie qu’elle ne comprend pas, cette menace invisible qui la terrorise. Ingrid travaille dans une banque, au guichet. Elle est en arrêt de travail, après avoir été en absence autorisée par son entreprise. Elle appelle souvent la plateforme des psychologues pour trouver une aide anonyme. A chaque fois, Ingrid, se sent mieux car parler lui permet de mettre en perspective les maux dont elle souffre. 

« J’appelle souvent car j’essaie de me raisonner. Je me considère comme une battante, femme djôk , j’ai élevé mes enfants toute seule. Au début de l’épidémie, j’étais comme tout le monde, je suivais les gestes barrières et puis progressivement à force d’aller sur les réseaux sociaux, de regarder la télé, j’ai pris conscience que je pouvais mourir, j'ai peur de mourir. J’ai beau travailler sur moi, me dire que c'est comme une grippe, depuis le renforcement du confinement, j’ai peur. Je me dis qu’en ne bougeant plus de chez moi, il ne peut rien m’arriver»


Libérer la parole

Ils sont nombreux comme Ingrid, à être en détresse psychologique. Il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’épidémie, mais quand la crise sera passée, il y aura sans doute beaucoup à dire. La plateforme d’écoute anonyme et gratuite n’a jamais été aussi active. Le nombre d’appels avait diminué juste avant le déconfinement, depuis ils ont repris en force. L’association des psychologues de Guyane a mis en place une permanence téléphonique gratuite afin que la parole se libère. Peur, anxiété, inquiétude, panique…les maux de l’âme sont nombreux, les temps difficiles. Parler permet de dépasser les traumatismes. Il ne faut pas avoir peur, d'avoir peur. 

Joyce Dechamp présidente de l'association guyanaise des psychologues
Joyce Dechamp est une des psychologues à l’origine de la plateforme. Elle dresse un bilan :

« Il est un peu difficile de tirer une analyse maintenant car la situation évolue tous les jours, je vais faire un constat qui m’est personnel,  je me suis rendue compte que ce qui joue un grand rôle dans l’inquiétude c’est l’incertitude de la situation. Effectivement les décisions prises pour le collectif demandent beaucoup d’adaptation au niveau familial, personnel, professionnel et chacun doit s’adapter très rapidement. Cela nécessite une flexibilité que tout le monde n’a pas. Il y a des contraintes de moyens, de ressources, de finances, selon que l’on soit très entouré ou pas…C’est un contexte très difficile qui peut questionner.»

-Quel est le profil des personnes qui appellent ? 

« Nous avons beaucoup d’appels de personnes qui sont dans un mal être existentiel, qui font de l’introspection, des gens qui s’interrogent sur leur vie, leur trajectoire…Il y a beaucoup de personnes en isolement, de situation de solitude, ils ont le sentiment de se sentir incompris, impuissant. Cela va générer des situations de panique, de peur, de stress et d’angoisse. Les rythmes de vie, les habitudes sont bouleversés, résultat : des insomnies, un manque de repères…Les salariés font face à des situations professionnelles incertaines. Télétravail ou présentiel ? Les salariés n'arrivent pas toujours à s'adapter. Ils manquent de projection. Nous avons beaucoup d’étudiants qui nous appellent aussi. Ils doivent passer des examens les dates et les horaires sont soumis au décalage horaire. Certains doivent passer des examens à 3h du matin. C’est très compliqué à gérer. Nous avons beaucoup d’appels également de parents dont les enfants sont en primaire, en plein apprentissage des liens sociaux, c’est très compliqué pour les parents car ils doivent gérer ces enfants en pleine découverte, en pleine croissance et qui se retrouvent seuls.»

-Quelles sont les conséquences que vous parvenez aujourd’hui à discerner ?

« Les conséquences sont difficiles à mesurer actuellement. Avec ce tableau, les inégalités se creusent et l’agressivité augmente face à une situation qui n’est pas maîtrisée. Les réseaux sociaux, l’information, les fakes news, génèrent  beaucoup de conflits et d’agressivité. La population a le sentiment de ne pas être entendue, il y a beaucoup de colère. Ces derniers temps, la Guyane est sous les projecteurs, les médias nationaux lui donnent une mauvaise image. Cela amène des sentiments exacerbés, la population se sent méprisée, elle est très en colère du regard des autres, et se sent stigmatisée. Les répercussions psychologiques se feront sentir à long terme. Les personnes puisent dans leurs ressources, c’est un effort que l’on demande à chacun, cela pèse sur le bien être : être flexible, s’adapter … c’est beaucoup. La population est divisée sur la gestion de la crise et a le sentiment d’être laissée pour compte. Il y a une dichotomie. Au début de la crise, c’était différent, tout le monde avait envie de s’entendre, aujourd’hui c’est différent il y a un manque flagrant de confiance. Cela joue sur le moral de chacun. »
 

Dans quelques mois, années peut-être, il sera effectivement possible de mesurer les conséquences de cette épidémie sur le moral des Guyanais. 
Le 4 juillet, l'association fera un nouveau bilan. En attendant, la ligne gratuite anonyme est joignable du lundi au dimanche de 10h à 12h et de 17h à 19h au numéro vert suivant : 

0800 444 973.