Les Pays-Bas se penchent sur leur passé esclavagiste et colonial au Suriname, au Brésil, dans la Caraïbe, en Afrique du Sud et en Asie. Le célèbre musée national Rijksmuseum d'Amsterdam y consacre une exposition inédite uniquement accessible sur internet en raison du covid.
«… Il vivait et travaillait dans la plantation de canne à sucre de Palmeneribo. Son nom m’est familier. Je suis Remy Bonjasky, ancien champion du Monde de kickboxing. Mes ancêtres travaillaient dans la même plantation que Wally… »
Ce sportif célèbre dont on entend la voix et dont on voit la photo sur une vidéo, évoque l'histoire de Wally : un esclave du Surinam, brûlé vif avec d'autres pour s'être révolté, en 1707.
Anastacia Larmonie, chanteuse de Sint Maarten (la partie hollandaise de Saint Martin), elle, parle de Lohkay une esclave qui eut le sein coupé pour s'être enfui. La musicienne présente par ailleurs, entre autres, des perles servant de monnaie aux asservis. Elles furent lancées à la mer, lors de l'abolition de l'esclavage en 1863.
On entend aussi l’actrice néerlandaise, Joy Delima. Son nom vient de déformations de Delmina, car son ancêtre esclave avait transité par Fort Elmina, dans l’actuel Ghana. Elle nous fait découvrir João Mina qui avait suivi le même parcours. Il s’était ensuite enfui de la partie portugaise du Brésil et avait rejoint la zone sous contrôle des Pays-Bas (une occupation qui s’est étalée entre 1630 et 1654). Joy explique aussi la traite négrière, les relations entre responsables du commerce triangulaire et rois africains…
Au total, 10 histoires réelles d'esclaves, mais aussi d'adversaires de cette servitude, ou encore d'autres personnages en ayant profité. Certains récits sont donc contés par des personnes ayant un lien avec ce passé.
« …Il s'agit d'une histoire nationale, pas seulement pour un petit groupe mais pour chacun d'entre nous. »
Ces récits structurent l'exposition du Rijksmuseum d’Amsterdam, qui n'est pour l'instant visible que sur Internet. Via de nombreux objets, documents et œuvres d’art, la manifestation retrace ainsi l'histoire de l'esclavage dans les ex-colonies néerlandaises. Un esclavage qui a sévi au Brésil, au Surinam, dans les Caraïbes, comme en Afrique du Sud, et en Asie. Valika Smeulders, directrice du département d'histoire au Rijksmuseum a réaffirmé à l’AFP l’importante de cette période et la démarche de l’établissement : « Nous voulions que les gens puissent s'identifier à cette histoire et qu'ils voient qu'il s'agit d'une histoire nationale, pas seulement pour un petit groupe mais pour chacun d'entre nous. » Dans la traite transatlantique, les Pays-Bas, autrefois Provinces Unies, se classent en 4ième position après le Portugal, la Grande Bretagne et la France, pour le nombre d'esclaves déportés : près de 528 000.
Contribuer au débat sur le passé esclavagiste et colonial dans le royaume
La déportation de masse est symbolisée au musée par une création de l’artiste béninois Romuald Hazoumé, en forme de pont d’un navire négrier. Des jerrycans alignés représentent ceux qui ont perdu leur nom comme leur liberté. L'œuvre est baptisée « La Bouche du Roi ». Comme un clin d'œil à sa majesté Willem-Alexander venu inaugurer l'exposition. Cette présence du souverain néerlandais, est un signal fort, dans un pays qui ne s'est jamais formellement excusé pour l'esclavage. Mais Black Lives Matter et d'autres mouvements, ont relancé le débat sur cette période. A en croire Eveline Sint Nicolaas, conservatrice du Rijksmuseum, celui-ci veut y apporter sa pierre : « C'est l'un des objectifs de notre exposition : fournir davantage d'informations sur cette histoire afin de permettre un meilleur débat. » Un débat entamé à sa façon par Isaline Calister, célèbre chanteuse originaire de Curaçao, une ancienne colonie caribéenne des Pays-Bas. Lors de l’inauguration, dans les locaux du musée, elle a accueilli le roi par un chant dans sa langue maternelle, le papiamento. Un créole parlé notamment aux Antilles Néerlandaises. Il est issu du guene, un pidgin portugais utilisé par des esclaves africains...