Le projet de loi adopté il y a quelques jours par les députés de l'Assemblée nationale pourrait changer la donne en matière de réponse pénale aux délits routiers. C'est en tout cas ce qui animait les députés, issus de différentes sensibilités politiques, qui avaient déposé en octobre dernier la proposition de loi introduisant dans le Code pénal la notion d'"homicide routier". Elle a été adoptée à la majorité.
Pour le député de la première circonscription, Philippe Dunoyer, à l'origine d'un amendement rendant applicable cet article en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française, il s'agissait "d’une urgence absolue". Cet amendement, lui, a été adopté à l'unanimité de la représentation nationale.
Les circonstances aggravantes
La modification du Code pénal proposée par le projet de loi concernera les accidents de la route conduisant à la mort ou à des blessures graves avec des circonstances aggravantes telles que :
- violation délibérée du code de la route
- état d'ivresse ou refus d'un contrôle d'alcoolémie
- consommation de drogues ou refus de test salivaire
- consommation volontaire de substances psychoactives de façon détournée ou manifestement excessive (usage détourné du protoxyde d'azote par exemple ou surconsommation de médicaments)
- conduite sans permis
- excès de vitesse de 30 km/h ou plus
- délit de fuite
- non-assistance à personne en danger
- utilisation d'écouteurs ou d'un téléphone à la main
- refus d'obtempérer
- participation à un rodéo routier
Attendu par les associations de victimes
Une mesure attendue et demandée de longue date par les associations de victimes, qui considéraient le terme d'homicide "involontaire" comme choquant, voire insultant à l'égard des victimes.
Pour Philippe Dunoyer, "ces circonstances démontrent un comportement délibéré du conducteur, qui rend insupportable pour les familles de victime la qualification actuelle du Code pénal d'homicide involontaire." Le député se félicite que son amendement ait été adopté à l'unanimité, "faute de quoi, pour des raisons assez techniques, son application dans nos territoires aurait été retardée et compliquée".
Les sanctions ne sont, de toute façon, jamais à la hauteur de la peine subie par les victimes.
Mireille Münkel, présidente de l'association Prévention routière Nouvelle-Calédonie.
Une satisfaction, mais "qui ne change pas grand-chose", selon Mireille Münkel, présidente de l'association Prévention routière Nouvelle-Calédonie. "Il y aura une petite évolution des peines maximales, mais malheureusement elles ne sont que très rarement appliquées, se désole-t-elle. Les sanctions ne sont de toute façon jamais à la hauteur de la peine subie par les victimes."
Mesure symbolique
Une mesure symbolique, mais qui ne "résoudra pas l'insécurité routière en Calédonie", poursuit Mireille Münkel. Pour l'association, c'est la prévention et l'éducation qui feront bouger les lignes. "On pèche par manque de continuité. Il y a un vrai souci à ce niveau en Calédonie. La répression est importante mais ce n'est pas notre priorité. Il y a pourtant énormément de choses à faire. Il y a un vrai problème de gouvernance et de volonté politique, des discours pas assez suivis d'actions et également un souci d'exemplarité, que ce soit de la part des parents ou de nos représentants." Mireille Münkel en appelle à "une prise de conscience de tous de notre propre responsabilité, à un travail commun" pour lutter contre ce fléau.
"Une mesure forte", selon le parquet
Alors si cette modification de la loi ne fera pas baisser à elle seule la mortalité et les comportements inconscients sur nos routes, "c'est une mesure forte qui vise dans l'esprit du législateur à donner une qualification pénale beaucoup plus juste concernant la responsabilité des auteurs d'accidents mortels aggravés, souligne Yves Dupas, le procureur de la République. En prenant le volant en étant alcoolisé ou sous l'effet de stupéfiants, le conducteur commet une faute volontaire, étant conscient qu'il n'est pas en capacité de conduire son véhicule dans des conditions légales."
Même si le conducteur qui se rend coupable d'une telle conduite à risque n'a pas l'intention de tuer ou de blesser quelqu'un, "il est pleinement conscient des risques qu'il fait courir aux autres quand il prend le volant dans ces circonstances", insiste le procureur, qui estime que cette mesure "va dans le bon sens".
Les peines maximales inchangées
A noter que la proposition de loi ne modifie pas les peines maximales encourues (sept ans de prison et 12 millions de francs d'amende en cas de circonstance aggravante et 10 ans de prison et 18 millions de francs en cas de cumul de circonstances aggravantes) et que, sans circonstance aggravante, on restera sur une qualification d'homicide involontaire.
Certaines peines complémentaires viendront compléter le dispositif pénal pour ces homicides routiers et blessures routières, sensiblement les mêmes que celles déjà appliquées en cas d'homicide involontaire (confiscation du véhicule, annulation du permis). Une prise en charge des condamnés pour accompagner leur réinsertion a également été ajoutée au texte initial.
Triste record
C'est désormais aux sénateurs de se prononcer sur le projet de loi avant qu'il soit promulgué. En Nouvelle-Calédonie, il y a presque cinq fois plus de morts sur les routes que la moyenne métropolitaine. 51 personnes sont mortes sur nos routes en 2023.