En Martinique, la filière de la banane cherche des solutions pour assurer sa survie

La plantation de bananes d'Alex Boifer, un agriculteur du Lorrain en Martinique.
Victimes de la cercosporiose et du dérèglement climatique, les planteurs de bananes s'interrogent sur le devenir de la filière. Certains ont déjà cessé leur activité, alors que d'autres se tournent vers la diversification agricole. Mais pour d'autres, il faut aussi repenser l'agriculture, en Martinique.

Alex Boifer cultive la banane, depuis 30 ans. L'activité était plutôt florissante, jusqu'à l'arrivée de la cercosporiose. Au début, il y avait la jaune, puis, il y a eu la noire, "plus virulente" disent les agriculteurs.

La cercosporiose, un fléau pour la banane

Un régime de banane victime de la cercosporiose

Depuis près de 10 ans, Alex Boifer se bat contre ce parasite, sans grand succès, sur son exploitation de 2 hectares, au Lorrain. La cercosporiose est un champignon microscopique, lequel attaque les feuilles de bananier, ce qui accélère le mûrissement du fruit et provoque une diminution des rendements.

Il y en a qui ont beaucoup de terrain et qui n'arrivent pas à 10 tonnes l'hectare. Je suis pratiquement à 70 tonnes. Cela veut dire que je suis presqu'à 35 tonnes, l'hectare. Mais ce n'est pas vraiment la réalité, parce que quand j'envoie ma banane dans l'hexagone, j'ai pas mal de fruits mûres. Mais à chaque fois, on enlève sur mon tonnage. J'estime que je suis à 53 tonnes, en ce moment ; c'est pratiquement 10% de mûres. Et cette année, c'est vraiment catastrophique.

Alex Boifer

Exploitation bananière d'Alex Boifer, au Lorrain

Les planteurs de bananes disposent d'un atomiseur pour lutter contre la cercosporiose. Mais les résultats sont "loin d'être probants" selon eux. Sur la plantation d'Alex Boifer, de nombreux bananiers jonchent le sol, victimes de ce champignon parasitaire.

"L'activité dans la filière banane a considérablement ralenti", depuis le scandale de la chlordécone et l'interdiction des produits chimiques, pour traiter cette cercosporiose.

Traitement de la cercosporiose dans la banane au Lorrain (Martinique). ©Christine Cupit

La science pour lutter contre le parasite

Les scientifiques du CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) tentent de trouver des solutions respectueuses de l’environnement, pour lutter contre le champignon.

Parmi les techniques utilisées par ces spécialistes, il y a l’avertissement biologique.
Il consiste à observer les premiers symptômes de la cercosporiose et à identifier les pics épidémiques. Mais il existe aussi une autre méthode appliquée par les planteurs eux-mêmes, à savoir l’effeuillage sanitaire.

Il y a une méthode qui s'inscrit dans la transition agroécologique qui est l'effeuillage sanitaire, laquelle consiste à couper les symptômes de la maladie dans les parcelles. La recherche scientifique ne contrôlera pas le phénomène. Par contre, elle pourra étudier la façon dont il affecte les bananiers.

Simon Gibert - chercheur en phytopathologie au CIRAD

Les chercheurs du CIRAD proposent également d’aménager des haies sur les plantations de bananes, pour freiner la propagation. L’étude sera présentée aux planteurs, prochainement.

La diversification agricole, une solution ?

Sur sa plantation de banane, Alex Boifer a planté des arbres fruitiers

La diversification est une solution à laquelle Alex Boifer réfléchit. Il envisage de se diriger vers l'agritourisme, sans pour autant abandonner totalement la banane. L'exploitant agricole du Lorrain a commencé à planter des arbres fruitiers et des fleurs tropicales sur sa parcelle.

Alex Boifer n'est pas le seul à avoir amorcé une reconversion vers d'autres cultures. Certains producteurs ont choisi de se tourner vers la canne. Par exemple, sur la route nationale entre Carrère au Lamentin et l'entrée du François, la canne a remplacé la banane par endroits. La canne à sucre permet aussi de dépolluer les terres contaminées par la chlordécone et les autres pesticides.

Tandis que d'autres planteurs s'orientent vers le maraîcher, mais comme dans la canne et la banane, il y a des difficultés.

Dans la canne aussi, il y a des problématiques puisqu'ils ne peuvent pas faire face à l'enherbement. On peut faire du maraîchage, mais lorsqu'on a connu des périodes climatiques extrêmement compliquées, là aussi, il y a des difficultés. Beaucoup d'agriculteurs expérimentent d'autres solutions, d'autres cultures. A part quelques solutions de niche, nous ne voyons pas de production de masse qui puisse remplacer les cultures que nous avons, en ce moment. On entend beaucoup parler de cacao, de café et de plantes médicinales. Mais pour chacune de ces productions, il y a des difficultés aussi.

Louis Daniel Bertome, Président d'ECODIAM (traitement des déchets agricoles)


Pour la Collectivité Territoriale de la Martinique, la diversification agricole ne constitue pas une réponse "efficace" aux problèmes de la filière banane.

Vers une refonte du modèle agricole 

La plantation de bananes d'Alex Boifer, un agriculteur du Lorrain en Martinique.

Dans le secteur, certains ont bien conscience que la cercosporiose est un problème, parmi d'autres.

Christian Dachir, secrétaire général de l'OPAM (l'Organisation Patriotique des Agriculteurs Martiniquais), est un ancien planteur de bananes qui a également évolué dans la production florale et arboricole, avant de se diriger vers le maraîcher.

D'après lui, il faut revenir aux modèles de production qui ont déjà fait leurs preuves.

Il faut remettre sur pied les Cumas et les Sicas. Avant, il y avait des tracteurs à chenilles. Ces engins pouvaient travailler en travers des pentes. Des groupes d'agriculteurs formaient une Cuma. On avait le matériel qui était mutualisé. On n'était pas là, en train de s'endetter.

Christian Dachir, secrétaire général de l'OPAM

De son côté, la Collectivité Territoriale de Martinique souhaite orienter la filière agricole vers l'agroécologie. Mais elle veut aussi, modifier l'organisation de la filière banane.

Comment expliquer qu'une filière comme la banane qui a reçu tant de subventions, tant de soutiens publics, de l'Europe et de l'Etat, se retrouve dans ces difficultés là ? Nous avons l'ambition, à la CTM, de faire en sorte que nous puissions dire qu'il faut de petites exploitations. Il faut faire évoluer les soutiens publics à l'agriculture, pour que les producteurs puissent continuer à produire, quel que soit le produit. Ce n'est pas un problème de fonds européens, ce n'est pas l'Europe qui nous a imposé d'affecter autant d'argent à la canne ou à la banane. Ce n'est pas l'Europe qui nous a imposés de mettre si peu pour la diversification .

Nicaise Monrose, conseiller exécutif en charge de l'agriculture et de l'alimentation

La chambre d'agriculture a prévu de lancer une réflexion sur le devenir de l'agriculture martiniquaise, dès le début de l'année 2024. Ce rendez-vous est fortement attendu par les professionnels du monde agricole.