Le mois du créole est le moment idéal pour prendre des initiatives originales, au-delà des actions habituelles. Conférences, ventes de livres, projections de films, prestations artistiques font florès. Et c’est heureux, vu de là où nous venons. Et parmi les rendez-vous incontournables, la traditionnelle et recherchée dictée créole.
À ce propos, il serait fort opportun de se souvenir du Professeur Jean Bernabé. Certains l’ignorent, mais il convient de retenir de la vie et de l’œuvre de ce professeur agrégé de grammaire et docteur en linguistique, sa contribution majeure aux recherches sur la langue créole. Il a mis au point, en 1975, un système d’orthographe adopté par la suite dans la plupart des pays créoles.
Nous lui devons la dictée créole dans la mesure où il a synthétisé et diffusé une méthode simple pour écrire notre "langue co-maternelle", pour reprendre l’une de ses expressions. Jean Bernabé a réuni autour de lui une modeste équipe de chercheurs en sciences humaines, le GEREC (Groupe d’études et de recherches en espace créolophone), devenu au fil du temps une multinationale disséminée là où la langue créole est valorisée.
L’école et les médias doivent démocratiser le créole
L’un de ses dignes continuateurs, le Professeur Raphaël Confiant, par ailleurs romancier prolifique, estime que Jean Bernabé était "un inventeur de concepts", sa pensée l’ayant amené sur les plus hautes cimes de la recherche conceptuelle. Ce qui ne l’empêchait pas de militer en même temps pour la démocratisation de l’apprentissage de la langue créole à l’école et par sa large diffusion par la presse, quitte à ce que cette mission concerne plusieurs générations.
Ceux qui l’ignorent doivent savoir que Bernabé avait publié quatre romans et plusieurs nouvelles. Le scientifique à la rugueuse rigueur se transformait aussi en raconteur d’histoires. Un de ses confrères universitaires le considère comme "un très grand penseur martiniquais". Un autre le voit comme "un intellectuel ouvert sur la société civile".
Pourquoi ne pas lire ou relire son dernier essai, publié en 2016, La dérive identitariste ? Il y explique que l’identité est un attribut affecté à un individu, et non à une communauté. L’identité collective n’existe pas, mais n’interdit pas que chaque peuple soit spécifique. Une proposition à méditer, alors que le refuge dans la plus petite de ses pensées est la tendance du moment.
Retenons, en ce mois du créole, que Jean Bernabé a su être un passeur d’idées subversives. Cet éveilleur de conscience a expliqué au monde que le monde créole a généré une civilisation. Woulo, Bravo pou Jan Bernabé !
Les œuvres de Jean Bernabé à (re) lire
Essais
Fondas kréyòl-la. Grammaire créole, Editions L’Harmattan, 1983
Fondal-natal. Grammaire basilectale approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais, Editions L’Harmattan, 1983
Éloge de la créolité, en collaboration avec Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Editions Gallimard, 1989
La fable créole, Editions Ibis Rouge, 2001
La graphie créole, Editions Ibis Rouge, 2001
Précis de syntaxe créole, Editions Ibis Rouge et Presses universitaires créoles, 2003
Obidjoul. Approche écologique et cognitive au service du mieux lire-écrire le créole, Editions Le Teneur, 2013
Prolégomènes à une charte des créoles, K Editions, 2013
Approche cognitive du créole martiniquais, Ramboulzay (Révolution I), Editions L’Harmattan, 2015
La France, pays de race blanche. Réponse à Madame Nadine Morano, Editions L’Harmattan, 2015
La dérive identitariste, Editions L’Harmattan, 2016
Œuvres de fiction
Matinoia, oratorio dramatique en créole, revue Europe n°612, 1980
Le Bailleur d’étincelle, roman, Editions Ecriture, 2002
Partage des ancêtres, roman, Editions Ecriture, 2004
La Malgeste des mornes, roman, Editions Ecriture, 2006
Litanie pour le Nègre fondamental, roman, Editions Mémoire d’encrier, 2008
Chimenn, nouvelle en créole dans Drive. L’errance ensorcelée, textes réunis par Gerry L’Etang, HC Editions, 2009
Dépi avan Zélam, dépi avan Akad, nouvelle en créole dans Ô Ayiti o, K Editions, 2012.