L’autonomie politique de la Martinique est-elle un mirage ou sera-t-elle un miracle ?

Réunion du Congrès des élus de Martinique (12 juillet 2022).
Chacun s’accorde à dire que le cadre juridique et modèle de développement économique ont atteint leurs limites. Est-ce à dire qu’un nouveau statut est envisageable à court terme ? Les 100 membres du congrès des élus pourraient porter une première réponse.

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Le congrès des élus de Martinique va-t-il réclamer l’autonomie politique pour la Martinique ? Rien n’est moins certain. Tout d’abord parce que la réunion de ce mois de juillet 2022 a pour objet d’arrêter le cadre de travail et d’arrêter la liste des revendications des élus. Ils doivent établir un calendrier allant jusqu’en octobre 2022 à raison de plusieurs séances.

Ensuite parce que le sujet du changement de statut n’est pas à l’ordre du jour. Et il risque de le demeurer encore longtemps, tant la frilosité, le manque de lucidité et la peur de l’inconnu guident nos élus. Ils sont le reflet du peuple qu’ils sont censés représenter et guider.

Il faut l’avouer, nous craignons de perdre notre statut juridique de collectivité territoriale unique régie par l’article 73 de la Constitution. Ce dispositif permet que toutes les lois s’appliquent de plein droit sur notre territoire. Du moins, sur le papier. La réalité est plus nuancée. Nous le constatons chaque jour depuis l’abrogation du statut de colonie en 1946.

Nous avons peur de l’autonomie dont les deux pôles sont la responsabilité et le sacrifice. Responsabilité, car il ne sera plus possible de se défausser sur l’Etat, sur le gouvernement, sur le colonialisme, sur l’Europe ou sur quelque autre puissance tutélaire imaginaire.

Responsabilité et sacrifice

Sacrifice, car notre niveau de vie sera nécessairement réduit du fait de la nécessaire réorientation de notre modèle économique et social. Qui, aujourd’hui est capable de résister à cette remise en cause ? Qui est volontaire pour s’appauvrir ou, en tout cas, pour vivre plus modestement ?

Il ne s’agit pas ici des familles les plus modestes condamnées à vivre d’expédients et à un revenu mensuel inférieur à 1 000 euros. Les classes moyennes, ou ce qui en tient lieu, pourront-elles supporter les privations générées par les atteintes à ses droits de consommatrices de produits importés ?

Sur le plan intellectuel et théorique, combien de formations et de dirigeants politiques sont capables de mettre en pratique notre faculté de penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes ? Aimé Césaire n’est plus de ce monde. Ses enseignements ne sont pas appliqués par ses supposés continuateurs. Le Parti communiste martiniquais, le premier à avoir revendiqué l’autonomie, n’est plus que l’ombre de lui-même.

Marc Pulvar n’est plus de ce monde. Le promoteur du "Protocole d’accession à l’indépendance" et de la revendication d’une "assemblée régionale unifiée", vus comme des dispositifs transitoires vers l’indépendance nationale, n’a pas de successeur.

Inventer de nouveaux schémas

Nous sommes donc condamnés à inventer le cadre de pensée et d’action nous menant vers une autogestion souhaitée. Nous pouvons nous inspirer des discours des nationalistes corses, aux affaires depuis 2015. Nous pouvons aussi nous renseigner auprès de nos politologues sur le processus ayant amené les anciennes colonies britanniques de l’archipel à la souveraineté après une période de "self-government".

Nos élus peuvent même tirer parti des conclusions de la Convention du Morne-Rouge d’août 1971. Son cinquantième anniversaire approche, ce serait une coïncidence intéressante. A l’initiative du Parti communiste, les organisations politiques et syndicales des quatre départements d’Outre-mer réclamant l’autonomie se sont réunies en Martinique pour proposer les voies et moyens d’un nouveau programme de développement économique. Un projet adossé à un nouveau code institutionnel. La Convention du Morne-Rouge est restée dans les tiroirs.

Cependant, ces exemples, en dépit de leur utilité, doivent être enrichis de l’expérience d’aujourd’hui. Qui s’en sent capable ? Nos partis politiques étant transformés en machines électorales pour la gestion des collectivités se sont appauvris sur le plan de la théorie. Ils ne forment plus leurs militants qui ne possèdent pas la culture politique, les références historiques, la capacité de pensée et le libre-arbitre nécessaires à l’action politique. Laquelle a pour objectif la transformation du monde.

La pensée politique en panne

Il existe bien, isolés çà et là quelques intellectuels – un vilain mot en cette époque d’obscurantisme revendiqué – qui réfléchissent à la question. Leur jonction avec les cercles dirigeants, cependant, n’est pas acquise. Sans compter que le corps social est trop profondément aliéné sur les plans de la culture et de l’éthique pour imaginer un autre horizon que celui de rester inséré, ad vitam aeternam, à la mère-patrie, comme nos grands-parents appelaient la France.

Un autre argument militant pour la non prise en compte de la marche vers l’autonomie est le poids des maires au sein du congrès. Ils en sont membres de droit, alors qu’ils ne figuraient pas dans la première formule de cette instance de débats. Ces élus de proximité pourront enrichir les discussions à la lumière de leur vécu, étant au contact quotidien de la population.

Certains édiles peuvent être tentés de modérer les ardeurs des plus résolus des partisans des évolutions des institutions locales. De plus, plusieurs d’entre eux ont été élus sur une base apolitique, ou sans étiquette, ou sans le soutien d’une quelconque formation politique. Libres à eux d’avancer l’argument qu’ils n’ont pas été choisis pour trancher des sujets éminemment politiques.

S’il semble évident désormais que le cadre juridique dans lequel nous vivons est un carcan, il existe des freins à son déverrouillage. Nous verrons bien, durant ces deux premières journées de travail de nos élus, s’ils ont en ligne de mire un mirage, ou s’ils s’engagent pour accomplir un miracle.

Congrès des élus de Martinique

Lucien Saliber, le Président de l’Assemblée de Martinique convoque la première session du Congrès des élus de Martinique, mardi 12 et mercredi 13 juillet 2022 à 9 heures à la salle Émile Maurice, hôtel de l’Assemblée, avenue des Caraïbes à Fort-de-France (ex bâtiment du Conseil Général).

À l’ordre du jour :

  • Allocutions
  • Méthodologie de travail
  • Identification des thématiques à débattre
  • Calendrier des travaux