L’épopée de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique a commencé voici soixante ans

Extrait de la bande annonce du film : "La Martinique au Martiniquais, l'affaire de l'OJAM"
Le Manifeste de la jeunesse martiniquaise donnant une forte visibilité à une organisation militant pour l’émancipation du peuple ne cesse de provoquer de l’intérêt, six décennies après sa publication la veille du réveillon de Noël 1962.

"La Martinique aux Martiniquais".  Ce slogan de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique suscite, six décennies après son apparition, curiosité, fierté, admiration, nostalgie. Et aussi crainte. Ces quatre mots ont servi de signature au "Manifeste de la jeunesse martiniquaise" placardé sur les édifices publics de toute l’île dans la nuit du 23 au 24 décembre 1962.

La surprise est totale. La stupeur aussi. Surprise de la part des forces politiques organisées partisanes de l’autonomie et de l’autogestion. Le Parti communiste et le Parti progressiste sont supposés canaliser les revendications de la population et en particulier, des plus jeunes.

Or, la frustration est telle après les espoirs déçus après l’instauration du système départemental, une quinzaine d’années auparavant. Une explosion sociale paraît inévitable.

Les mouvements politiques favorables à l‘approfondissement du processus de la départementalisation, les socialistes de la SFIO et les gaullistes de l’UNR, paraisssent incapables de proposer des solutions aux jeunes sans qualification ou sans emploi, livrés à eux-mêmes, sans perspective d’insertion.

Un texte provoquant surprise et stupeur

La stupeur est palpable chez le préfet, Michel Grollemund, et parmi les policiers, surtout chez ceux chargés de surveiller les plus politisés des jeunes. Les autorités sont inquiètes depuis la tentative de tenir une conférence de la jeunesse, en août 1961.

L’initiative est interdite par le préfet. Ce qui n’empêche pas une structure de se mettre en place peu à peu. L’année suivante, le 10 octobre 1962, l’OJAM tient sa réunion constitutive à la Maison des syndicats, en plein jour.

Militants de l'OJAM et leur avocat dans les années 60.

Ses dirigeants ne souhaitent pas oeuvrer dans le secret. Leur ambition est de réunir des adhérents de toutes opinions politiques et même ceux qui n’en ont pas. Des militants communistes et nationalistes structurent le mouvement naissant, mais ils ne sont pas les seuls à porter un discours politique.

Les jeunes martiniquais des débuts de la Cinquième République sont, il est vrai, victimes de l’échec scolaire, du chômage massif, des bas salaires, de la dureté des conditions de vie. En outre, ils ont vécu directement ou non des événements dramatiques.

Misère et répression rythment la vie

Mentionnons notamment la répression de la grève des ouvriers agricoles de La Chassaing en 1951, les émeutes de décembre 1959 à Fort-de-France ou encore la mitraillade meurtière de la foule au sortir de la messe au Lamentin le 24 mars 1961. Le fond de l’air est un condensé explosif de misère généralisée et de répression des contestataires de l’ordre post-colonial.

Il ne doit rien au hasard que le Manifeste de l’OJAM soit rendu public à cette date. Trois ans après le lourd bilan des événements de décembre 1959 - trois jeunes tués par les forces de sécurité - les miliants de l’organisation diffusent leur affiche du nord au sud.

Le Front antillo-guyanais pour l’autonomie n’est pas étranger à cette action d’éclat. Fondé par Edouard Glissant, Cosnay Marie-Joseph et Albert Béville, le Front presse certains militants étudiants de France à contribuer à l’organisation des jeunes au pays afin de cristaliser sur des objectifs précis les courants anticolonialistes.

Dans les mois qui suivent, la police se mobilisera pour tuer dans l’œuf les initiatives des dirigeants insaississables de l’OJAM. Le Parti progressiste et le Parti communiste les considèrent avec distance, bien que des militants de ces deu formatins soiernt proches du cercle dirigeant ojamiste.

Une fulgurance qui se pérennise

La suite de l’histoire est connue. En février et mars 1963, dix-huit militants présumés de l’OJAM sont arrêtés à tour de rôle. Ils sont transférés dans une prison parisienne et comparaissent devant le tribunal correctionnel en novembre de la même année.

Risquant dix ans de prison, ils sont poursuivis pour avoir tenté de saper l’autorité de l’Etat. Huit inculpés sont relaxés et cinq condamnés. Ces derniers restent incarcérés jusqu’à leur procès en appel, en avril 1964, avant dêtre relaxés à leur tour.

L’OJAM est démantelée après l’arrestation et la condamnation de certains de ses militants. Néanmoins, le sentiment national et le combat anticolonialiste ne cessent de prendre de l’ampleur durant les deux décennies qui suivent.

MANIFESTE DE L'OJAM

(ORGANISATION DE LA JEUNESSE ANTICOLONIALISTE DE LA MARTINIQUE)

En décembre 1959, 3 fils de la Martinique, BETZI, MARAJO, ROSILE, tombaient victimes des coups du colonialisme français. Ce sacrifice montra à la jeunesse de notre pays la voie de l’émancipation, de la fierté, de la dignité.

Depuis, notre peuple, si longtemps plongé dans les ténèbres de l’histoire, offre une résistance de plus en plus grande à l’oppression coloniale. Mais le colonialisme français, suivant ses intérêts, accentue chaque jour son potentiel répressif, voulant ainsi maintenir notre peuple sous le joug colonial.

Aujourd’hui l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique déclare :

Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. Ce qui se traduit par :

1) Une économie uniquement agricole, à caractère féodal.

2) La prépondérance d’une minorité béké, liée au colonialisme français, monopolisant la terre, les usines, le commerce et les banques.

3) Un déficit permanent de la balance commerciale.

4) Un revenu individuel moyen les plus bas du monde.

5) Le chômage et la misère.

6) L’insuffisance d’écoles, de bibliothèques, de stades, d’installations sportives.

7) La déformation de l’histoire martiniquaise à des fins assimilationnistes.

8) L’étouffement de tout effort pour développer une culture martiniquaise populaire et authentique. L’aggravation de la répression (Décembre 59, Mars 61), l’augmentation des forces policières, le renforcement constant de l’appareil administratif français, et l’immigration de plus en plus considérable de civils et militaires français.

9) La révocation de fonctionnaires martiniquais ayant résisté aux arbitraires tentatives d’exil.

10) Les condamnations de patriotes martiniquais.

Condamne définitivement le statut de département français comme contraire aux intérêts du peuple et de la jeunesse de la Martinique, et rendant impossible tout développement.

Proclame la nécessité de la collectivisation des terres et des usines.

· Le droit de notre peuple d’exploiter ses richesses et ses ressources et d’industrialiser le pays.

· Le droit de tous au travail et à un salaire décent.

· La nécessité inéluctable de l’entrée de la Martinique dans le vaste mouvement de décolonisation totale.

En conséquence l’O.J.A.M. (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) affirme que le malaise économique et social qui sévit à la Martinique ne pourra disparaître que grâce à un programme martiniquais au profit des martiniquais.

Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires.

Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans la libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais.

Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique.

LA MARTINIQUE AUX MARTINIQUAIS !